Sang-froid et prise de recul : des qualités nécessaires

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 5 décembre 2018 à 10h55
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@shutter - © Economie Matin
10 CENTIMESLe taux d'État à 10 ans a perdu jusqu'à 10 centimes en séance, aux États-Unis.

La conjoncture aux Etats-Unis a de quoi inquiéter entre une baisse du taux d'Etat à 10 ans et une perte de l'indice S&P 500 supérieure à 3%, mardi 4 décembre. Voici le point sur les marchés !

Journée difficile mardi 4 décembre sur les marchés de capitaux, surtout aux Etats-Unis. Le taux d’Etat à 10 ans a perdu jusqu’à 10 centimes en séance et à la clôture l’indice S&P 500 affichait une perte de 3,24%. Que se passe-t-il ? Deux craintes très présentes dans le regard jeté par les investisseurs et les opérateurs sur l’environnement de marché ont « raisonné » fortement ; la fin de la phase haussière du cycle et les tensions commerciales sino-américaines.

Puisque la phase haussière du cycle conjoncturel en cours aux Etats-Unis dure depuis longtemps (ne va-t-elle pas avoir 10 ans au printemps prochain ?), il n’est pas anormal que les observateurs scrutent les signes avant-coureurs d’un retournement. Du côté de l’économie réelle, les indicateurs les plus regardés (des leading indicators aux anticipations de résultats des entreprises, en passant par la dynamique de l’activité logement) n’envoient pas le signal d’un retournement imminent Celui-ci ne devrait pas se produire à l’horizon des prochains trimestres. Du côté des signaux de marché, le plus regardé est la courbe des taux, avec la conviction bien établie que l’inversion est un signe précurseur de basculement de la phase haussière du cycle dans la récession. Et voilà que depuis le début de la semaine le taux à 2 ans est marginalement supérieur à celui à 5 ans. N’a-t-on pas ici une première indication d’un environnement cyclique en voie de dégradation ?

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L’argument est-il si pertinent que cela ? Historiquement, oui ; encore faut-il à la fois regarder les choses précisément et prendre la mesure de ce qui différencie l’épisode cyclique en cours des précédents. Commençons par ce deuxième point, pour rappeler que la gestion « exceptionnelle » de la politique monétaire depuis maintenant 10 ans a aplati les primes de termes et force à relativiser les messages envoyés par les courbes de taux en matière d’inflexion du cycle conjoncturel. Passons au premier point, pour rappeler que l’écart de taux qui envoie le meilleur signal pour ce qui est de l’évolution du cycle est celui entre le taux à 10 ans et le taux à 3 mois. Certes, il se réduit et ceci depuis un certain temps. Mais il reste en territoire positif, sur fond d’indicateurs d’activité économique toujours bien orientés (le NAPM PMI par exemple). En fait, la dynamique en cours de la différence entre taux à 10 ans et 3 mois nous dit que le taux directeur de la Fed s’approche de la zone de neutralité et qu’à ce titre les deux taux doivent se rapprocher. Pour le moment au moins, un réglage monétaire restrictif à même d’enclencher un retournement cyclique n’est pas à l’ordre du jour.

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Passons aux relations commerciales sino-américaines. Le marché s’interrogeait hier sur le manque de précisions en provenance des membres du Cabinet de Donald Trump, relativement au contenu du communiqué de la Maison Blanche publié après le dîner de samedi soir à Buenos Aires. Le Président avait-il été une fois encore trop optimiste ? Et le même de brusquement dramatiser l’enjeu par un nouveau « tweet vengeur » : « je suis un tariff man, quand les autres pillent la grande richesse de notre Nation, … nous avons raison de prélever des milliards de taxes ». Est-ce une invite à considérer que les négociations à peine ouvertes sont déjà refermées par un des parties prenantes ? Sans doute pas. En fait, il s’est passé deux évènements qui ont sans doute incité le Président américain à réagir. D’abord, il circulait à Washington l’idée que, lors de ce fameux dîner, les Américains avaient fait plus de concessions que les Chinois. Ensuite, les officiels à Pékin ne paraissaient pas très actifs à communiquer sur leur volonté de faire avancer les dossiers. Depuis, mais trop tard pour éviter le mouvement de marché, ceux-ci envoient les messages qui vont bien : confiance que les choses vont bien se passer et mesures pour assurer une meilleure protection des droits de propriété intellectuelle. Ce matin le Future de l’indice S&P 500 est à la hausse.

Quelle leçon tirer de ce qui est surtout une mésaventure ? La grande sensibilité de la communauté financière à un dossier compliqué et assurément à rebondissements. Alors à quoi le marché devra-t-il être attentif ? Disons, même si c’est un peu en vrac : la cote de popularité du Président Trump (avec la contradiction entre avancer dans les négociations – ce qui est utile économiquement – et afficher une fermeté vis-à-vis de la Chine – ce qui « paye » politiquement), les annonces sur davantage de produits américains achetés par la Chine, les inflexions de politique industrielle par Pékin (du type de l’annonce de ce matin en matière de propriété intellectuelle), les mesures en termes d’embargo (cela ne facilitera pas les discussions si cette voie est empruntée) et les tensions géopolitiques (en mer de Chine principalement).

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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