Najat Vallaud-Belkacem a annoncé une augmentation de salaires pour les instituteurs. Ceux-ci vont voir leurs primes alignées sur celles des enseignants du second degré. Cette mesure représente une hausse de 800 euros annuels pour l’ensemble des professeurs des écoles. La dépense globale pour cette seule catégorie devrait s’élever à 350 millions d’euros. Elle constitue un scandale électoraliste qui appelle cinq remarques.
Une opération électoraliste
Chacun comprend les raisons électoralistes qui poussent le gouvernement à sortir cette mesure de son chapeau: les élections approchent et il faut réparer autant que faire se peut les dégâts d’une politique désastreuse menée depuis 4 ans. Le calendrier de la revalorisation n’étonnera donc personne:
Un premier geste de 200 euros pourrait être fait en octobre 2016, suivi d’un autre du même montant en avril ou mai 2017 (c’est ainsi qu’avait procédé Vincent Peillon en 2013-2014 lors de l’instauration de la prime).
Voilà un calendrier qui ne pouvait pas mieux tomber! François Hollande pourrait même proposer une prime supérieure pour tous ceux qui votent pour lui…
Un vrai sujet de rémunération
Au passage, la mesurette du gouvernement continue à faire un pied de nez au véritable problème de rémunération qui existe dans l’enseignement primaire en France. Les études de l’OCDE montrent en effet que la rémunération des instituteurs est trop basse en France, notamment par rapport à l’Allemagne ou aux Etats-Unis.
On le voit, après 15 ans de carrière, un instituteur français gagne 5.000 euros annuels de moins que ses collègues européens, et surtout 13.000 euros de moins que ses collègues américains ou 25.000 euros de moins que ses collègues allemands.
Il ne serait donc pas choquant de procéder à une très forte revalorisation des enseignants, à condition de faire entrer ceux-ci dans une logique de performance et de rémunération différenciée sur les résultats. Cette évolution supposerait bien entendu une vision et une ambition politiques à la hauteur des enjeux. Pour beaucoup de ministres, il est plus simple de limiter l’ambition à une aumône qui évite d’affronter les syndicats enseignants sur le fond.
Un pied de nez aux absences non remplacées
Une fois de plus, le gouvernement décide de distribuer à ses fonctionnaires de l’argent par hélicoptère officiel: tout le monde en profitera indistinctement, quelle que soit sa performance. Cette décision est proprement hallucinante au moment où même la FCPE descend dans la rue pour se plaindre de l’absentéisme enseignant dans certains endroits, comme la Seine-Saint-Denis.
« La réalité du terrain, c’est que tous les jours, dans les écoles, les collèges, les lycées, des élèves se retrouvent sans enseignement, ce qui les pénalise dans leurs études. Pour les parents qui n’ont soit pas les capacités intellectuelles ou de temps, soit pas la possibilité de recourir à des cours extérieurs, il y a une vraie inégalité du service public d’éducation nationale », a estimé le vice-président national de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), Hervé-Jean Le Niger
Dans la mesure où la revalorisation annoncée par le gouvernement concerne des primes et non le salaire de base, il est logique que l’employeur attende une contrepartie de la part des bénéficiaires de la mesure, en termes de productivité. Tout aussi logiquement, la ministre aurait pu réserver cette augmentation aux seuls enseignants qui ne sont pas absents pendant l’année.
Manifestement, l’Etat-employeur, qui adore donner de grandes leçons à tous les employeurs de France, n’a pas l’ambition d’inciter ses salariés à remplir effectivement la mission de service public pour laquelle ils sont payés. C’est un beau pied de nez aux contribuables et aux usagers qui vient d’être fait par Najat Vallaud-Belkacem.
Des performances cataclysmiques dans l’enseignement primaire
Cette mesure est d’autant plus choquante que toutes les études (quel que soit leur commanditaire) montrent l’effondrement éducatif dont l’enseignement primaire est le théâtre. Voici notamment ce qu’une étude de l’INSEE de 2011, dont les résultats ne se sont pas améliorés depuis, affirmait sur les performances éducatives de l’école primaire en France:
Depuis une dizaine d’années, le pourcentage d’élèves en difficulté face à l’écrit a augmenté de manière significative et près d’un élève sur cinq est aujourd’hui concerné en début de 6e . Si le niveau de compréhension de l’écrit des élèves moyens n’a pas évolué, la plupart des évaluations témoignent d’une aggravation des difficultés parmi les élèves les plus faibles.
Malgré ce cataclysme éducatif, qui se traduit par une augmentation des inégalités sociales à l’école, le gouvernement décide de récompenser les enseignements en améliorant leur rémunération sans aucune stratégie pour améliorer leurs résultats…
La réforme existe, certains l’ont rencontrée
Il existe en France un fatalisme vis-à-vis de l’effondrement éducatif, y compris dans l’enseignement primaire. Ce fatalisme est absurde, puisque tous les systèmes qui ont fait le choix de se réformer intelligemment sont parvenus à améliorer la performance finale des élèves. L’Allemagne l’a montré après avoir réagi à ses mauvaises performances, il y a dix ans, dans les enquêtes PISA.
On lira ici utilement une étude Mc Kinsey sur les réformes des politiques éducatives, dont je cite un extrait:
Recruter, manager, évaluer avec le chef d’établissement: voilà les piliers d’une école primaire qui fonctionne. Tout le contraire de ce qui est fait en France.
Ainsi passe la gloire d’école républicaine.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog