Depuis 2015, Emmanuel Macron propose de fondre le régime social des indépendants (RSI) dans le régime général de la sécurité sociale. Cette idée folle (qui compte un certain nombre de partisans, notamment parmi les candidats à la présidentielle) est un démenti puissant à toutes les promesses (non chiffrées et non détaillées) qu’Emmanuel Macron a faites jusqu’ici sur la protection sociale. Il est temps que celui qui se présente volontiers comme le candidat des entrepreneurs jette le masque et revienne à la cohérence de ses propositions.
La fusion du RSI avec le régime général posera un problème juridique
Expliquons d’abord clairement pourquoi la fusion du RSI avec le régime général sera compliquée à défendre.
Par nature, la sécurité sociale est un dispositif conçu pour les salariés, et financé d’ordinairement conjointement (dans des proportions diverses) par les salariés et leur employeur. C’est notamment ce que prévoit ou suggère la convention n°102 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT)
Intégrer dans un système de ce type les employeurs eux-mêmes posera un problème d’égalité de traitement. On voit mal en effet comment calculer la juste contribution de l’employeur à sa propre protection. Sauf à expliquer clairement que la sécurité sociale est un système de solidarité où la cotisation est indépendante du risque… mais dans ce cas, il faudra tenir des capacités contributives de chacun et reconnaître que le financement se fait par l’impôt et non par une cotisation. On souhaite bon amusement à celui qui mettra le doigt dans cette toile d’araignée: la poudrière risque bien d’exploser ce jour-là.
L’assimilation des entrepreneurs aux salariés est un suicide
Autre problème: l’absorption des entrepreneurs par le régime des salariés finira de décourager les premiers, et constituera un nouvel impôt au bénéfice des seconds. Les entrepreneurs sont en effet moins malades et partent moins à la retraite que les salariés. Intégrer les entrepreneurs dans le régime général signifie donc, purement et simplement, une augmentation brutale et injustifiée de cotisations pour les entrepreneurs, et un transfert de ce surplus vers des salariés déjà fortement subventionnés par leur employeur.
Tout ceci s’appuiera sur une fonction: le besoin de protection serait le même entre des gens qui louent leur force de travail à un patron et les patrons eux-mêmes.
Ah! le grand rêve soviétique de la dékoulakisation enfin réalisé en France!
Les entrepreneurs ne veulent pas supprimer le RSI, ils veulent supprimer son monopole
La suppression du RSI n’a jamais été demandée par les entrepreneurs. Ce qu’ils souhaitent simplement, c’est la fin de son monopole. Ce que souhaitent les entrepreneurs, c’est pouvoir adhérer à la caisse de protection sociale de leur choix, y compris à une caisse étrangère.
De cette façon, ils pourraient rejoindre les plusieurs dizaines de milliers d’entrepreneurs déjà « libérés » qui cotisent parfois pour dix fois moins cher qu’au RSI, dont les frais de fonctionnement sont par ailleurs délirants.
Les entrepreneurs sont sur une ligne « Macron »
Au fond, que demandent les entrepreneurs? qu’on les laisse en paix, et qu’on les laisse choisir leur protection sociale sur une base individuelle.
Qui avait proposé de fonder la protection sociale sur cette idée? Emmanuel Macron, dans son discours de Montpellier, en octobre 2016. Il avait alors déclaré:
«Pour ne laisser personne au bord de la route, la protection sociale doit désormais se fonder sur l’individu.»
Macron, meilleur ennemi idéologique de Macron?
Depuis ce discours d’avant-candidature officielle, Emmanuel Macron a donc effectué un virage à 360° sur un sujet sensible, qui touche à la fibre entrepreneuriale en France. Après avoir promis une réforme structurelle de la protection sociale, très prometteuse, le voici occupé à colmater les brèches du système existant, et même occupé à lui assurer son expansion.
La suppression du RSI et son absorption par le régime général n’est en effet rien d’autre qu’une nouvelle conquête menée par un système de sécurité sociale pourtant coûteux et inefficace.
Cette idée est à rebours de l’intérêt des entrepreneurs.
Macron dans la lignée de la technostructure
Ce faisant, ce ralliement discret mais dangereux d’Emmanuel Macron au tout Sécurité Sociale n’est pas complètement surprenant. Il rejoint ici la longue lignée des membres de la technostructure qui portent l’idéologie du jardin à la française. Cette idéologie est fondée sur une détestation de la « concurrence éparpillée » qui prévalait dans la protection sociale française avant 1941.
Rappelons que, contrairement à la légende dominante à gauche, la sécurité sociale n’est pas une conquête de la Résistance en 1945, mais une invention de la technostructure par conseillers d’Etat interposés, datant de 1940.
Emmanuel Macron rejoint aujourd’hui cette tradition.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog