RSA : pour une vraie assurance pauvreté

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Par Jacques Bichot Modifié le 23 mars 2023 à 9h56
Rsa Nombre Beneficiaires France Etat
@shutter - © Economie Matin
1,6 millionSelon les chiffres du gouvernement, 1,6 million de personnes bénéficiaient du RSA en 2014.

Le financement du RSA, qui a succédé au RMI en 2009, est un poème. Un poème aux vers boiteux. Il incombe en effet aux départements pour la partie RSA "socle" (destiné aux ménages sans aucun revenu) et pour les services qui aident au retour à l’emploi, tandis que l’État doit pourvoir aux besoins du RSA activité, celui qui vient compléter un faible revenu.

Ce financement étatique s’effectue par l’intermédiaire d’un fonds : le Fonds national des solidarités actives (FNSA). Un troisième groupe d’acteurs intervient, en principe sans en être de sa poche, pour l’instruction des dossiers (appréciation des droits à prestation) et pour le versement des sommes dues : les CAF (Caisses d’allocations familiales) et la caisse nationale qui les chapeaute, la CNAF.

Ce fractionnement des responsabilités ne facilite pas le déroulement des opérations. D’autant plus que le financement du RSA est hétéroclite : une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques est affectée aux départements pour le RSA ; les droits de mutation sur les transactions immobilières peuvent être mis à contribution par les départements en utilisant la possibilité récemment accordée de relever le taux de ces prélèvements ; et le FNSA bénéficie de la taxe au taux de 1,1 % qui pèse sur la plupart des revenus financiers. Cette situation débouche sur de sérieuses difficultés : une dizaine de départements auraient fait part de leur incapacité à verser aux CAF ce qui leur revient au titre du mois de décembre ; il semblerait qu’ils négocient une aide étatique d’urgence. Cette péripétie confirme que le statut et l’organisation de la lutte contre la pauvreté n’a pas fait l’objet d’une réflexion stratégique adéquate.

Quand on se réfère au but de la sécurité sociale, comme nous y invite son 70ème anniversaire, il est clair que le RSA et les autres minima sociaux, comme l’allocation aux adultes handicapés et le minimum vieillesse, devraient faire partie de cette institution. L’article 1er de l’ordonnance du 4 octobre 1945, texte fondateur, dispose en effet : "Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou supprimer leur capacité de gain". Cette formule figure en tête (article L. 111-1) du Code de la sécurité sociale. La "sécu" a donc vocation à couvrir le risque de ne pas réussir à vivre décemment des revenus de son travail, ce qui est précisément l’objet du RSA et de l’assurance chômage.

Que cette dernière et les dispositifs dits "minima sociaux" ne soient pas englobés dans la sécurité sociale est par conséquent une grave anomalie. Plus généralement, comment peut-on présenter sérieusement des "comptes de la sécurité sociale" qui ne comprennent ni les retraites complémentaires par répartition, ni l’assurance chômage, ni le RSA ? Il est absurde (et de plus illégal) que la couverture de l’un des risques majeurs en matière de revenu, à savoir ne pas trouver à gagner sa vie en travaillant, soit en dehors du champ de la sécurité sociale. Il en va de même pour l’ARRCO, l’AGIRC et les autres régimes de retraite complémentaire obligatoire, sans lesquels le "risque vieillesse" – expression au demeurant fort critiquable – serait très mal couvert, et qui sont considérés comme relevant de la sécurité sociale au regard du droit international quand cela est nécessaire pour justifier l’adhésion obligatoire. Cela ne signifie pas qu’il faille simplement coller l’étiquette "sécurité sociale" sur l’assurance chômage et sur les minima sociaux, mais que l’architecture d’ensemble de notre protection sociale est à revoir.

Cette remise en ordre doit respecter le principe assurantiel. De même que chacun doit cotiser pour l’assurance maladie parce qu’il se procure ainsi une couverture contre le risque de ne pas pouvoir payer les soins nécessaires à sa santé ou à celle de ses proches, de même chacun doit-il cotiser pour être protégé contre le risque de ne pas trouver d’activité lucrative. Ce principe assurantiel a été compris pour le chômage résultant de la perte d’un emploi, et pour l’inaptitude au travail causée par un accident ou une maladie, mais il ne l’a pas été pour le chômage et le sous-emploi qui adviennent dans d’autres circonstances – entrée ou rentrée dans la vie professionnelle, chocs psychologiques ou relationnels. Pourtant, nous sommes quasiment tous à la merci d’un événement de ce type.

Le principe assurantiel exige de mettre un terme à l’évolution désastreuse dans laquelle le pays a été engagé en assimilant les cotisations sociales à des impôts et en déconnectant les droits à prestation du paiement de ces primes d’assurance que devraient être les cotisations. Il exige pareillement d’élargir le champ des assurances sociales à la couverture du risque de pauvreté.

Pourquoi les assurances sociales sont-elles dites "sociales" ? D’une part en raison de la solidarité dont elles sont porteuses (cotiser au prorata de ses moyens), d’autre part du fait qu’elles ont vocation à couvrir des risques qui ne sont pas explicitement formulés : par exemple celui d’être formé dans des conditions lamentables, ou encore celui d’être victime de sévices tels que les maltraitances à enfant et les viols, qui entraînent très souvent des syndromes post-traumatiques très éprouvants et très handicapants.

Bref, la sécurité sociale est un ensemble d’assurances qui nous couvre ou devrait nous couvrir depuis la conception jusqu’à la mort, et contre toutes sortes de risques. Cela veut dire (ou devrait vouloir dire) que si vous êtes pauvre parce que de mauvais enseignants ne vous ont rien appris, ou parce que vous avez été brisé psychologiquement par un inceste, ou pour toute autre cause, vous êtes assuré contre ce risque et ne serez pas abandonné à votre triste sort.

Nous devons finaliser la mise en place d’une sécurité sociale réellement universelle quant aux risques couverts. Une sécurité sociale tout à fait différente de l’État providence qui nous conduit à la catastrophe en assimilant les cotisations sociales à des impôts ; une sécurité sociale qui, parce qu’elle aura comme ressources des cotisations constituant vraiment l’achat de services d’assurance, pourra être développée dans tous les domaines où des besoins existent – et qui donc couvrira la plupart des situations de pauvreté.

Article publié sur Magistro

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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