La machine est-elle l’homme idéal ?

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Par Georges de La Ville-Baugé Publié le 6 novembre 2015 à 5h00
Humain Travail Remplacement Robot
@shutter - © Economie Matin
90 %90% des activités de production seront effectuées par des machines, rurales et industrielles.

La meilleure définition à donner du Transhumanisme, c’est le blurring de l’homme et de la machine. En bon français, le floutage, le brouillage, l’effacement des limites. Jusqu’à l’effacement de la limite ultime, la mort elle-même.

En cherchant des explications sur l’origine de ce mot, on découvre qu’il a été créé en 1957 par le biologiste Julian Huxley, frère d'Aldous, pour désigner « un homme qui reste un homme, mais se transcende lui-même en déployant de nouveaux possibles pour sa nature humaine »...

Si on suit les applications concrètes, il faut remplacer « possibles » par « technologiques », étape par étape.

Réparer des capacités par rapport à une norme

Les jeux paralympiques accueillent désormais des athlètes handicapés équipées de prothèses qui courent ou nagent comme s’ils avaient des jambes ou des bras. Dans la même logique, des aveugles ou des malvoyants peuvent voir avec un œil bionique relié au canal optique et au cerveau.

Oscar Pistorius, premier athlète paralympique à disputer les JO

Augmenter des capacités par rapport à une activité

Il s’agit de rendre possible, de faire plus et de repousser les limites (fatigue, contraintes physiques, etc.) avec des exosquelettes d’abord, des systèmes intégrés ensuite. Le bûcheron coupera plus d’arbres, le soldat sera éveillé plus longtemps, verra dans le noir comme en plein jour, et sera, au premier sens du terme, une machine de guerre.

Les premiers pas de HAL, l'exosquelette robotisé (c) Cyberdyne

Augmenter l’intelligence et libérer de la mémoire

Pour cela, deux techniques sont possibles et apparaissent successivement dans le temps : - Externes, avec un équipement aisément identifiable, comme les Google Glass qui peuvent filmer et stocker tout ce que vous voyez, sans en être forcément conscient. Alors, si vous cherchez, par exemple, quelque chose qui a été dans votre champ de vision, mais que vous avez oublié, comme vos clefs, il vous suffit de demander « où sont mes clefs ? » pour avoir la réponse « dans le frigo, à côté de la confiture d’orange »... - Internes, avec une puce et une caméra injectées dans la boîte crânienne qui rendent le même service, mais en étant invisibles. Ce qui le rend socialement acceptable, contrairement aux appareillages externes, type « Glassholes ».

La visite de l'exposition Niki de Saint Phalle à Paris à travers des Google Glass (c) Joël saget AFP

Remplacer au fur et à mesure les parties déficientes, mécaniques ou intellectuelles

On parlera ici de « l’homme immortel » dont la vie est prolongée indéfiniment parce que tout est remplacé, augmenté, déployé au service du principe vital avec tous les moyens envisageables, de la prothèse classique au nanorobot qui capte, anticipe et traite tous les types de situations de l’intérieur du corps, cerveau compris. Ce modèle commence à s’approcher de la notion de « nouveaux possibles », le vieillissement étant éliminé. La dégradation naturelle ainsi maitrisée, il reste à prévenir l’accident, ou du moins garantir l’accès à une copie de sauvegarde parfaitement équivalente. Un clone.

Film The Island où des humains payent pour fabriquer des clones afin de remplacer leurs parties défaillantes

Délivrer l’homme du temps et de l’espace

A ce stade, il est devenu impossible de distinguer l’homme et la machine : c'est la Singularité. Parce que l’homme n’a plus de limites physiques ou cérébrales et parce que la machine a tout d’un humain : le charme, la spontanéité, la répartie, l’humour, etc. Point commun : une beauté parfaite… si l’homme dispose encore d’une enveloppe charnelle.

Film Terminator Genesys où l'homme est complètement asservi par la machine

On peut en effet imaginer qu’à ce stade, l’homme – ayant dépassé les limites biologiques – se soit aussi libéré de son corps et se connecte aux stimuli qui l’intéressent. Au sens propre, il fait corps avec l’univers (un univers d’informations en tout cas), pas avec un système organique en particulier qui le contraint.

Avez-vous eu peur en lisant jusque-là ? Si oui, à quelle étape cette peur s’est-elle déclenchée ? La première a dû vous sembler une fantastique évolution. Vous êtes sans doute resté étranger à la deuxième, sauf si vous êtes bûcheron ou soldat… La troisième vous a intrigué par ses aspects pratiques. La quatrième est tentante, ou absolument inacceptable d’un point de vue spirituel. La cinquième relève de la Science-Fiction et paraît folle...

Ajoutons une remarque : les étapes 1, 2, 3 sont d’ores et déjà en action et caractérisaient la plupart des contenus de la littérature fantastique il y a une soixantaine d’années. L'étape 4 est en cours. La 5e est une perspective pour 2035, dans vingt ans, voire moins selon Ray Kurzweil*, l’homme qui a théorisé la Singularité.

Le robot qui vivait sa vie publié en 1970

THX II38 réalisé par Georges Lucas en 1971

Evidemment, le Transhumanisme pose des questions qui interrogent l’histoire de l’Humanité, avec un grand H ou le "h+" qui symbolise son devenir.

Que restera-t-il du travail de l’homme dans un siècle ? 90% des activités de production seront effectuées par des machines, rurales et industrielles. Qui sera concerné ? Tout un chacun, ou quelques nantis ? Quelques élus seulement ? Selon quels critères de sélection ? Que va faire l’homme de ce temps libéré, en particulier dans les pays où l’on considère le travail comme une servitude ? Sera-t-il plus libre ? De jouer dans des mondes virtuels, de philosopher, de réfléchir et de s’épanouir dans d’autres formes d’activités, comme les artistes ? De ne rien faire ?

De quoi, financièrement parlant, vivra-t-il ? A quoi et sur quels critères sera conditionnée sa rémunération ? Que restera-t-il des activités biologiques naturelles, si l’on peut déléguer à des machines des fonctions telles que la gestation, avec en arrière-plan la tentation de l’eugénisme ?

Quelle sera sa liberté de choix si la machine anticipe des attitudes négatives ou positives qui rendent le bien obligatoire et « contraignent à la vertu ».

Jusqu’à quand restera-t-il le maître des machines parce que lui, et lui seul, contrôle le code ou l’action ultime ? La question se pose avec les drones, qui peuvent détecter l’ennemi, être sûrs à 100% que c’est la personne à éliminer, savent qu’il faut la supprimer. Techniquement, le drone peut tuer. Le gouvernement américain a dû passer un décret de loi pour imposer que le déclenchement effectif du tir soit soumis à une action humaine. C’est un soldat qui appui sur un bouton, pas un calculateur. Pour le moment.

Quel que soit le stade du blurring homme-machine, nous sommes encore les maîtres de la machine. Le point de non-retour sera franchi lorsque les machines sauront créer de nouvelles machines sans avoir recours à l’homme. Les machines auront à ce moment-là la capacité de le dominer et l’humanité devra alors se trouver un nouveau nom. Avec l’aide d’une machine…

Tribune initialement publiée sur ipsos.fr dans "Ipsos Flair", le point de vue d'Ipsos sur la société, et reproduite ici avec l'aimable autorisation de l’auteur

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