Les besoins de financement élevés des États européens leur imposent d’accroître leurs programmes d’emprunts. Démesurément pour certains d’entre eux, avec en retour une détérioration accentuée de leur niveau d’endettement pour les années à venir.
On ne peut que se réjouir de la convalescence de la zone Euro. Souvenons-nous qu’à l’été 2012, l’Union monétaire vacillait encore, exposée à des risques de crise systémique sans précédent qui mettaient en péril son bien-fondé politique et l’existence même de sa devise. L’élan insufflé depuis par la Banque Centrale Européenne, inconditionnelle dans sa volonté de garantir la liquidité du système financier a participé à stabiliser les marchés.
Si ce constat permet légitimement un peu plus d’optimisme, il faut toutefois garder à l’esprit l’extrême sensibilité des économies nationales au fardeau de la dette. Au moment où les différents gouvernements peaufinent leur budget 2014, le gonflement notable des programmes d’émissions obligataires des États d’Europe du sud interpelle. Compte tenu du poids actuel du service de la dette, encore trop lourd dans ces pays, de tels besoins de financement sont difficilement soutenables.
L'Italie et l'Espagne continuent d'emprunter à tour de bras
Prenons les cas italien et espagnol. Les programmes d’émission de dette italienne ne cessent d’augmenter, 465 milliards d’euros en 2012, 470 milliards cette année, pas moins en 2014. Plus précisément, la hausse du volume d’émissions en bons du trésor est tangible sur la partie longue de la courbe obligataire, ce qui n’est pas sans conséquence puisque les emprunts à moyen et long terme sont les plus « coûteux » en termes d’intérêts. Depuis le début de l’année, le Tresoro italien a déjà émis près de 200 milliards d’euros en obligations à moyen-long terme, sur un total annuel de 236 milliards concernant ce segment. Et l’année prochaine, c’est un montant de 240 milliards de dette à moyen-long terme que compte lever le pays, record absolu parmi les programmes de financement en zone Euro.
L’Espagne n’est pas en reste. Le Trésor espagnol n’a pas hésité, récemment, à promouvoir la syndication d’un nouvel emprunt de référence à 30 ans, très probablement motivé par l’inflexion des taux à long terme espagnols sur les marchés obligataires. En 2012, l’Espagne levait 113 milliards d’euros via l’émission de titres à moyen-long terme. Cette année, la barre des 120 milliards sera franchie, tandis que l’objectif dévoilé pour 2014 devrait avoisiner 125 milliards. Ici, le déséquilibre est notable entre émission de dette remboursable à court terme d’une part, qui devrait représenter 40% du programme total d’emprunt (210 milliards d’euros), et émission de dette de maturité longue d’autre part.
La dette italienne atteint des sommets dangereux
En somme, les deux pays sollicitent les marchés avec le même appétit. Cela va affecter davantage leur niveau d’endettement dans les années à venir. Dans des proportions et avec des conséquences toutefois bien différentes. Le poids de la dette publique espagnole devrait avoisiner 96% du PIB à la fin de l’année prochaine, alors qu’il n’excédait pas 70% en 2011. Toutefois, l’Espagne dispose désormais – mais pour combien de temps ? − d’une marge de manœuvre un peu plus confortable en termes de coûts de financement. La réduction linéaire de son déficit budgétaire est salutaire (de -5,3% du PIB à fin 2011 à -3,2% estimé en 2015). Surtout, pour la première fois depuis près de deux ans, le taux de rendement à dix ans espagnol est redevenu inférieur à son homologue italien. Ce renversement des spreads au profit des emprunts espagnols, reflète essentiellement une situation politico-économique plus stable, plus rassurante pour les créanciers. Disposant d’une majorité confortable, le gouvernement ibérique a davantage d’atouts pour tenir le cap des réformes budgétaires et tenter de restaurer la compétitivité économique du pays.
Ce n’est pas vraiment le cas de l’Italie, ultrasensible au risque politique. Le gouvernement d’Enrico Letta est régulièrement menacé par les coups d’éclats des différents protagonistes de la coalition. Dans ce contexte, en accélérant le rythme de ses emprunts la troisième économie européenne prend ouvertement le risque de laisser filer son ratio dette/PIB, sans être tout-à-fait certaine de pouvoir s’assurer des conditions d’emprunt plus avantageuses à l’avenir. La dette publique italienne devrait dépasser 131% du PIB national à la fin de cette année − contre 127% à fin 2012 et 120,8% à fin 2011 −, tandis que le déficit budgétaire, estimé à -3,3% du PIB, est aussi en voie de détérioration par rapport à l’année passée (-3%, à fin 2012). Une orientation préjudiciable, d’autant que l’Italie se situe d’ores et déjà parmi les pays dont la dette totale, somme de la dette des agents économiques privés et de la dette publique, est la plus importante au monde.