Pouvez-vous faire confiance à votre banque ? #3

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Par Simone Wapler Publié le 1 avril 2014 à 4h00

Comment nous sommes devenus des cobayes

« Les banquiers centraux […] ont pris des décisions expérimentales dont on ne mesure pas les conséquences à terme. » (Mohamed A. El-Erian, gérant du fonds obligataire Pimco, cité dans Les Échos du 19 septembre 2013.) « Soyons clairs. Nous avons intentionnellement gonflé la plus grande bulle obligataire de l’histoire. » (Andy Haldane, directeur de la stabilité financière à la Banque des règlements internationaux, cité dans The Guardian du 12 juin 2013.) Le stock de dettes grossit et une faible hausse des taux amènerait donc des défauts en chaîne, qui eux mêmes conduiraient à l’anéantissement des monnaies dans lesquelles sont libellées ces dettes.

La plupart des gens souscrivent à la bonne parole officielle selon laquelle les manipulations monétaires des banques centrales sont faites pour aider l’économie réelle. En réalité, il n’en est rien et il est très malaisé d’expliquer de façon rationnelle comment la création monétaire peut créer des emplois sources de création de richesse. La lutte contre le chômage par la planche à billets est une ineptie, comme le prouvent les statistiques, même très arrangées. Ce que la langue de bois politico-médiatique nomme « mesures non conventionnelles » ou « assouplissement monétaire » ou « quantitative easing » ne poursuit qu’un seul et unique but : empêcher des institutions « trop grosses pour faire faillite » et en grave difficulté de faire faillite.

Ces manoeuvres poursuivent en réalité deux buts : d’abord manipuler les taux d’intérêt courts, ce qui augmente les possibilités de marge des banques, ensuite fournir des « liquidités » qui vont permettre aux banques de faire des profits dont on espère qu’ils vont masquer les pertes passées. J’emploie le terme « liquidités » car il ne s’agit pas d’argent représentatif d’un capital existant. Il s’agit simplement d’unités de compte monétaires qui ne représentent rien. Par le passé, des opérations comme celles qui ont été conduites par la Fed, la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne, la Banque nationale suisse, auraient déjà dû conduire à une hausse des prix monstrueuse. Mais la nouveauté de l’expérience actuelle est que ces liquidités sont essentiellement cantonnées dans les marchés financiers, qui se sont comportés jusque-là comme une poche assez étanche. Voyons comment marche cette mécanique.

Vous êtes un banquier et vous avez une mauvaise créance. Vous avez accordé un prêt à un fabricant d’huile d’olive qui est en faillite. Vous le savez, vos concurrents banquiers le savent aussi, et ils ne sont pas chauds pour vous prêter lors des classiques opérations de crédit interbancaires. En temps normal, vous seriez acculé à la faillite. Vous seriez d’abord victime d’une crise de liquidités car vous ne pourriez pas rembourser quelqu’un qui en ferait la demande sauf à emprunter sur les marchés, et cela vous coûterait trop cher car on commence à douter de votre bonne santé financière. Ensuite, il deviendrait patent que vous n’êtes plus solvable et que ce fichu fabricant d’huile d’olive vous a
planté. Vos gros déposants prendraient alors la poudre d’escampette. Il ne vous resterait plus qu’à mettre la clé sous le paillasson et laisser le Fonds de garantie des dépôts et les contribuables rembourser vos déposants. Vous vous tireriez peut-être même une balle dans la
tête, ne supportant pas l’opprobre de votre famille, de vos amis et de vos voisins, la conscience ravagée par la ruine de ces petits épargnants qui voient partir en fumée le fruit de leur vie de travail… Mais, heureusement, plus maintenant !

Vous allez au guichet de votre banque centrale et vous lui tendez cette créance pourrie de votre vendeur d’huile d’olive. Le banquier central, Mario ou un autre, fait mine d’examiner cette créance pour voir si elle est « éligible ». Il se dépêche de conclure que oui, lorsque, en consultant son registre, il constate que vous êtes classé « trop gros pour faire faillite ». Il sort alors de sous son comptoir une énorme liasse de billets et vous demande de signer le registre de prêt. Votre taux d’emprunt sera le taux directeur de la Banque centrale, soit entre 0 % et 0,25 %. Et hop ! Votre situation initiale était une grosse créance pourrie qui paralysait toute votre activité et vous voilà à la tête d’un prêt qui ne vous coûte presque rien. La vie est belle. Revenu dans votre bureau à la porte capitonnée et à la moquette au poil épais, vous méditez. Comment allez-vous employer ce bel argent ? Votre but est d’engranger de juteux bénéfices, si possible rapidement. Vos brillants résultats feront pâlir d’envie ces fripouilles de concurrents qui ont bien failli vous faire couler à cause de ce misérable fabricant d’huile d’olive indigeste et ramèneront la confiance de votre clientèle. Allez-vous prêter à la PME du coin ? Il faudrait être fou, les données économiques sont mauvaises et ses marges sont sous pression à cause des Chinois et de la parité euro/dollar. Vous allez acheter quelques emprunts d’État de la zone euro. Ça ne rapporte pas grand-chose, mais c’est mieux que rien. Ensuite, vous allez vous livrer à quelques activités profitables de spéculation sur les marchés pour votre compte propre. C’est ainsi que, finalement, l’argent généreusement créé par les banques centrales ne se transforme pas en hausse des prix généralisée. Il y a bien inflation monétaire mais, pour le moment, elle ne transparaît que dans les prix des actifs financiers.

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Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora, spécialisées dans les analyses et conseils financiers. Ingénieur de formation, elle a quitté les laboratoires pour les marchés financiers et vécu l'éclatement de la bulle internet. Grâce à son expertise, elle sert aujourd'hui, non pas la cause des multinationales ou des banquiers, mais celle des particuliers. Elle a publié "Pourquoi la France va faire faillite" (2012), "Comment l'État va faire main basse sur votre argent" (2013), "Pouvez-vous faire confiance à votre banque ?" (2014) et “La fabrique de pauvres” (2015) aux Éditions Ixelles.

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