Trois ans après que la taxe sur les métaux précieux a vu son taux grimper de 7,5 à 10% (ce qui représente tout de même une progression relative de 33%), vous souhaitez aujourd'hui revaloriser de nouveau cette TMP en la portant à 11%. Cette augmentation viendrait s'ajouter à plusieurs autres mesures visant à davantage taxer "les signes extérieurs de richesse" dans le cadre d'un amendement à l'article 12 du projet de loi de finances 2018 supprimant l'ISF.
Votre intention de préserver une forme de solidarité des plus riches vers les plus pauvres est louable, et l'objet de cette lettre n'est pas de contester la légitimité de votre démarche. Néanmoins, il semble évident que vous ne connaissez pas la nature exacte de ce que vous souhaitez taxer, et encore moins le profil social des gens que vous allez pénaliser en réalité.
Le 8 octobre dernier, le magazine L'Express se faisait l'écho de votre opinion selon laquelle "des biens comme les yachts, les voitures de grand luxe ou les métaux précieux ne concourent pas à l'économie productive". Tout d'abord, sachez si vous ne le savez pas déjà que les produits de prestige concourent bel et bien à l'économie productive, dans le sens où ils soutiennent l'industrie du luxe, l'un des rares secteurs d'activité qui résiste encore en France, tout en rayonnant à l'international. Quant aux métaux précieux, vous ignorez visiblement le rôle essentiel de l'or et de l'argent dans un grand nombre de processus industriels de pointe (informatique, robotique, médecine, aéronautique, télécommunications, etc.)
Mais surtout, vous paraissez convaincu que les métaux précieux sont à ranger dans la même catégorie que les produits de luxe. Il n'y a donc selon vous aucune différence entre une berline suréquipée et une bague de famille qu'il faut se résoudre à porter au Crédit municipal pour finir le mois ? Rien qui distingue un bateau de plaisance de 30 mètres de long et une pièce de 50 francs Hercule en argent ? Pensez-vous réellement que les quelques 14 millions de Français qui déclarent détenir de l'or et de l'argent sont des nantis qui accumulent des richesses sous forme de lingots dans des coffres blindés ? Quant aux 8% parmi eux qui indiquent posséder ce que l'on appelle des métaux précieux d'investissement (la plupart du temps sous forme de pièces d'or ou d'argent), croyez-vous qu'il s'agisse des principales fortunes du pays ?
Pas du tout. Et c'est même très souvent l'inverse. L'or et l'argent ont toujours été, et sont encore, les premières formes d'épargne populaire, celle que l'on garde pour les moments difficiles, celle que l'on cède aussi à ses proches pour les aider à démarrer dans la vie ou pour faire face à un coup dur. Selon une étude d'OpinionWay pour AuCoffre.com que Challenges a dévoilée le 28 septembre dernier, la première classe d'âge détenant le plus d'or d'investissement est constituée des 25-34 ans (1 sur 8), juste devant les 65 ans et plus (1 sur 9). En clair, les plus jeunes et les seniors, les deux catégories les plus vulnérables de notre société en termes de finances, d'emploi, de logement, d'accès aux soins, etc.
En augmentant la taxe sur les métaux précieux, vous pénalisez donc surtout celles et ceux qui comptent sur cette réserve souvent modeste (la moyenne d'or détenu par Français est comprise entre 105 et 130 grammes, soit l'équivalent de 4200 euros au cours du jour) pour faire face à d'éventuelles difficultés financières : perte d'emploi, maladie, divorce... la liste des risques "sociaux" en France est plutôt riche, elle.
Les personnes que vous visez, les plus riches, celles qui roulent en voitures de luxe et qui achètent des yachts, lorsqu'elles possèdent de l'or et qu'elles souhaitent le revendre, pensez-vous qu'elles fassent ce genre de transaction en France, et qu'elles paient les 10% de TMP auxquelles viennent s'ajouter 0.5% de CRDS ? Nous sommes dans l'Union Européenne, terre de la libre circulation des biens et des personnes ; il leur suffit d'aller revendre leur or en Belgique pour échapper le plus légalement du monde au fisc français.
Ne restent plus en France que ceux qui n'ont pas les moyens de passer la frontière ou qui ne connaissent pas les subtilités de la "désharmonisation" fiscale européenne. Ceux-là mêmes qui sont déjà taxés à 10% sur les quelques pièces ou bijoux qu'ils revendent, même en cas de moins-value ! Certes, il existe une taxe de 34.5% sur les plus-values réelles, et qui ne s'appliquerait donc pas en cas de vente à perte. Mais elle est réservée à ceux qui disposent d'une facture prouvant le prix et la date d'acquisition du bien qu'ils souhaitent revendre. Pas de facture pour le Napoléon que Philippe a reçu de son grand-père quand il avait dix ans. Pas de facture non plus pour l'argenterie de famille que Nicole et François doivent finalement vendre pour payer la première année d'étude de leur fils. Pas de facture enfin pour les trois bagues et le collier de Marie, veuve depuis quatre mois, et qui a repoussé autant qu'elle le pouvait le moment où elle serait obligée de vendre pour faire face.
Monsieur le député, chaque jour, je suis amené à côtoyer ces Françaises et ces Français qui cherchent simplement à protéger leur patrimoine, à épargner tandis qu'on leur promet des lendemains difficiles, à s'en sortir aussi parfois. Comme vous, je suis un chef d'entreprise engagé, mais pas en politique, pas sous les ors de la République (qu'on ne taxe pas, ceux-là, bien au contraire). Je suis engagé dans un combat beaucoup plus modeste et terre-à-terre, celui de la sécurité financière de mes concitoyens.
Aujourd'hui, les grands argentiers des pays européens, la France en tête, appellent de leurs vœux une inflation qui devrait les aider à maintenir l'équilibre précaire d'une économie basée sur la dette. Mais pendant ce temps-là, tout en bas de l'échelle, il y a les Français à qui cette inflation fait peur parce qu'elle se traduira par une hausse des prix. Il n'y a que deux choses qui n'augmenteront pas : leur salaire et le taux de rendement de leurs placements de "bon père de famille". Il y a longtemps que le Smic n'est plus indexé sur le coût de la vie, le livret A se traîne à 0.75% par an et l'assurance-vie attire chaque jour un peu plus l'appétit d'un fisc qui n'aime pas l'idée de voir 1600 milliards d'euros échapper à l'impôt.
Restent l'or et l'argent, dont tout le monde sait qu'ils ne rapportent rien. On ne spécule pas avec les métaux précieux (c'est pour cela qu'ils n'intéressent pas les investisseurs professionnels), on s'assure simplement de préserver son pouvoir d'achat à venir. L'or et l'argent sont les outils de l'épargne populaire de précaution, et ils concernent dans une écrasante majorité des gens de catégorie sociale moyenne, voire basse.
Monsieur le député, en augmentant la taxe sur les métaux précieux, vous ne vous attaquez pas aux "signes extérieurs de richesse", vous pénalisez juste un peu plus ceux qui comptent sur leur modeste épargne en or ou en argent (4200 euros en moyenne, rappelons-le) pour garder la tête hors de l'eau.
En conservant cette augmentation de la TMP dans votre amendement à la loi de finance 2018, vous proposez donc tout simplement une mesure anti-pauvres, car eux-seuls ne pourront s'y soustraire.
Je vous demande donc respectueusement de bien vouloir réviser votre position et de ne pas taxer davantage les transactions en métaux précieux des particuliers, afin de laisser au peuple d'en bas la possibilité de se protéger des bouleversements économiques et boursiers dont il n'est pas responsable, mais bien au contraire la première victime.