Le COR – Conseil d’orientation des retraites – vient de publier son quatrième Rapport annuel sur les évolutions et les perspectives des retraites en France, et la presse en a fait ses choux gras avec des titres alarmistes : « Nouvelle dégradation en vue des retraites », ou « Retraites : le ciel s’assombrit avant la réforme de Macron ».
L’inquiétude journalistique se concentre sur l’équilibre financier du système, comme en témoignent les sous-titres : « Selon les nouvelles projections du COR, l’équilibre du système ne sera pas atteint avant les années 2040 », ou encore : « Les perspectives financières des régimes de retraite se dégradent. Dès 2021, le besoin de financement atteindrait 9 milliards d’euros ».
Ce ciblage journalistique du résultat d’un hypothétique compte d’exploitation de notre système de retraites par répartition est regrettable, car il concentre l’intérêt sur des chiffres très artificiels. En effet, si le montant global des pensions distribuées est calculable et calculé, il n’en va pas de même, loin s’en faut, des recettes. L’intrication des comptes de l’État et de la sécurité sociale est tel que le résultat dégagé par cette dernière dépend de décisions et de conventions arbitraires : il suffit d’affecter un peu plus de recettes fiscales à tel ou tel régime pour le faire passer du déficit à l’équilibre, voire à un résultat positif ; quant aux pensions des fonctionnaires de l’État, les taux de cotisation employeur incroyables utilisés pour faire monter les recettes au niveau des dépenses (125 % pour les militaires, 74 % pour les civils) montrent que leur régime est de fait en complet déséquilibre, celui-ci étant simplement masqué par une subvention déguisée.
Le rapport du COR étudie la situation financière du système de retraites et ses déterminants dans les points 1 et 2 de sa seconde partie (pages 57 à 86). Les dépenses ont vigoureusement progressé entre 2002 et 2013, de 11,6 à 14,1 points de PIB. Depuis, une légère diminution nous a ramené aux environs de 13,8 points de PIB. Quant aux projections, elles dépendent d’hypothèses, dont la plus importante aux yeux du COR est le taux de progression de la productivité du travail : il retient 4 scénarios, caractérisés par ce taux, imaginé successivement à 1 %, 1,3 %, 1,5 % et 1,8 %. Aucun de ces scénarios ne présente de résultat catastrophique à l’horizon 2030 : le pire (productivité augmentant au rythme de 1 % par an) nous ramènerait simplement à la situation de 2013 (dépenses de retraite égales à 14,1 points de PIB), tandis que le plus agréable ferait redescendre la dépense à 13,5 points.
Donc, rien d’alarmant ? Attention, pas de conclusion hâtive : il faut regarder quelles sont les autres hypothèses. Or il en est une dont l’importance pour les retraités est considérable : maintient d’une revalorisation du montant nominal des pensions limitée au taux de la hausse des prix. Si la productivité du travail progresse correctement, les salaires croîtront plus vite que les prix, si bien que le niveau de vie des actifs s’améliorera agréablement – à la différence de celui des retraités, qui stagnera. La bonne santé financière des régimes de retraite sera ainsi le résultat d’une paupérisation relative des retraités. L’indexation sur l’inflation, et pas plus, non seulement des pensions liquidées, mais aussi des salaires portés en compte (qui sont la base de calcul des pensions futures dans les régimes par annuités), est la source première de la modération des dépenses dans les années à venir.
Il est difficile de protester contre une légère dose de paupérisation relative des retraités, puisque ceux-ci ont actuellement un niveau de vie supérieur de 6 % (en moyenne) à celui des actifs. Néanmoins, quelques années de croissance raisonnable devraient suffire pour descendre à la parité (égalité des niveaux de vie). Donc, pour le quinquennat qui vient de débuter, il n’est pas inenvisageable de mettre les retraités à contribution, que ce soit en maintenant une indexation des pensions qui leur est défavorable, ou en accentuant le débit de la pompe à finances appelée CSG (un projet d’Emmanuel Macron), voire en cumulant ces deux techniques. Les choses se gâteront si cet arbre-là se met à grimper jusqu’au ciel.
Il existe deux choses encore plus inquiétantes que cette paupérisation relative. Premièrement, le méli-mélo entre les comptes d’une bonne partie des régimes de retraite et ceux de l’État. Le COR n’estime avoir à traiter ce sujet délicat, mais il faudra bien un jour nettoyer les écuries d’Augias, remettre de l’ordre dans la boutique, savoir qui est responsable de quoi. Deuxièmement, le déclin de la natalité. De ce problème, le COR ne fait pas abstraction, et il convient de l’en féliciter. C’est l’intérêt de projections allant jusqu’à 2070 : à cet horizon, la générosité des retraites par répartition dépend très fortement de la démographie : naissances survenues entre 2005 et 2050, mouvements migratoires, évolution de l’espérance de vie et de l’espérance de vie en bonne santé. Cette dernière est un facteur à ne pas négliger, car il faudra bien un jour ou l’autre traiter le problème de la dépendance en même temps que celui de la retraite.
Le nombre annuel des naissances, en France, a diminué de 833 000 en 2010 à 785 000 en 2016, rappelle le COR, qui souligne que cela peut encore descendre plus bas, comme en 1994 (741 000 naissances). Ajoutons que la baisse récente (8 % en deux ans, 2015 et 2016) est inquiétante, et que la mauvaise qualité de la formation initiale des jeunes Français et de l’insertion professionnelle des immigrés ne l’est pas moins.
L’avenir des retraites repose sur deux piliers : une réforme systémique de grande envergure, débouchant sur une gestion dépolitisée, et un investissement réussi dans les futurs travailleurs, qu’ils soient nés en France ou venus du vaste monde. Le rapport du COR, sans le dire carrément, contient une bonne partie des éléments nécessaires pour le comprendre : que ses auteurs en soient remerciés !