Retraites : réformer et gérer sont deux choses bien différentes

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h30
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@shutter - © Economie Matin
85%La réforme prévoit de porter le minimum de retraite à 85 % du SMIC net.

Cette fin de quinquennat bruisse de propos relatifs à une « réforme des retraites » en début du nouveau mandat présidentiel. Une fois de plus, certains politiciens – hélas probablement majoritaires – induisent les Français en erreur en leur présentant comme réformes de simples ajustements techniques. Cet abus de langage s’accompagne d’une inflation inquiétante du recours aux propos présidentiels puis à la loi pour annoncer puis prendre des décisions qui relèvent en bonne logique de gestionnaires des caisses de retraite.

Pourquoi substituer le législateur au brain trust des organismes sociaux ?

Pratiquer de légers mais assez fréquents relèvements de l’âge de liquidation à taux plein ou de modestes changements de la « valeur du point » (dans les régimes qui utilisent cet outil, ce qui n’est malheureusement pas le cas du régime général de notre pays) ne requiert nullement, en bonne logique, une intervention du législateur (vote d’une loi) ou du gouvernement (prise de décrets et d’arrêtés) : les gestionnaires des caisses de retraite sont là pour effectuer les modifications de la valeur de certains paramètres, notamment les deux qui viennent d’être cités, lorsqu’il s’avère nécessaire de s’adapter à des phénomènes comme les progrès de la longévité ou la diminution de la fécondité. Politiser la prise de décision, jusqu’à la faire remonter au Président de la République et au législateur, revient à confier le volant d’une voiture à des gens dont le métier n’est pas de conduire, et qui passent leur temps à se disputer pour savoir s’il convient de freiner ou si l’on peut accélérer.

De quelles mesures législatives avons-nous besoin ?

Nous avons besoin de mesures législatives relatives aux retraites pour mettre fin à la stupide multiplicité des régimes de base fonctionnant par répartition, pour donner aux gestionnaires les responsabilités accrues dont nous venons de parler, et pour instaurer des règles équitables en matière d’acquisition des droits à pension – pas pour modifier la valeur d’un ou plusieurs paramètres. De telles modifications relèvent de la gestion courante, et donc de la responsabilité du directeur d’une assurance vieillesse unifiée ; après l’adoption d’une législation adéquate, qui est évidemment un acte politique majeur, il est inutile et néfaste que des politiciens, fussent-ils ministres, viennent se mêler de la gestion paramétrique du système de retraites.

Quant au Président de la République et au législateur, leur responsabilité est de mettre en place une législation rationnelle en remplacement du système de Ponzi qu’ont créé puis développé les cohortes successives d’occupants des palais nationaux, pas de décider si la valeur du point va être majorée de 1 % plutôt que de 1,5 % et si l’âge pivot doit augmenter de trois mois ou de six. Qu’on laisse les managers prendre leurs responsabilités. Et que le candidat Macron, mauvais élève en la matière, copie cent fois la formule qui s’applique en priorité au Président : De minimis non curat praetor. Le grand chef ne doit pas s’occuper de la gestion courante : il est le recours en cas de faute commise par le gestionnaire opérationnel, ce qui implique qu’il soit bien distinct de celui-ci.

Le législateur et le Président ont autre chose à faire : passer d’un système de Ponzi à un système de capitalisation humaine

Il existe un grand problème : le système français de retraites dites par répartition fonctionne à la manière d’un système de Ponzi, comme d’ailleurs la plupart de ses homologues sur notre planète. Rappelons que Ponzi, ce célèbre escroc des années 1930, avait pour méthode de promettre d’excellents rendements aux épargnants pour qu’ils lui confient leur argent, puis de dépenser celui-ci au fur et à mesure pour mener grand train, en comptant sur les apports des nouveaux épargnants pour rembourser leurs prédécesseurs.

Malheureusement pour Ponzi, comme pour son illustre successeur Madoff, en l’absence d’obligation légale faite aux citoyens américains de souscrire à ses emprunts le flux de nouvelles souscriptions devint trop faible pour faire face aux demandes de remboursement.

Heureusement pour eux, les imitateurs étatiques de ces escrocs disposent de ce qui fait défaut aux simples citoyens : la possibilité d’instaurer pour tout travailleur une obligation légale de cracher au bassinet – c’est à dire de payer des cotisations suffisantes pour que soient grosso modo tenues les promesses de pensions faites à leurs prédécesseurs à l’époque où ils étaient en activité. Quasiment tous les pays utilisent cette technique, que l’on peut nommer « Ponzi étatique », consistant à obliger les citoyens à cotiser en théorie pour leur retraite, et en réalité pour payer la pension des personnes ayant quitté le monde du travail. C’est ce système de Ponzi qu’il faut remplacer par la prise en compte de l’investissement dans le capital humain, investissement qui est la base véritable de l’échange entre générations successives et des retraites dites (maladroitement) « par répartition.

Comment se fait-il que les citoyens acceptent des retraites à la Ponzi ?

L’obligation de cotiser est assez bien acceptée, parce que les cotisations versées ouvrent des droits à pension future. Les Etats détiennent un pouvoir qui fait défaut aux escrocs non protégés par la loi : ils peuvent obliger les travailleurs à verser une fraction de leur rémunération. Ils sont de ce fait parvenus à faire du Ponzi à très grande échelle. Ce système de Ponzi géant – les retraites dites « par répartition » - se caractérise principalement par deux dispositions : l’obligation de cotiser, et la prise en charge d’une fraction – plus ou moins importante selon les pays – de la préparation des futurs cotisants (instruction, formation professionnelle, actions en faveur de la santé des jeunes, etc.). Si les cotisations versées aux caisses de retraite ne servent à rien pour préparer les futures pensions, la contribution des Etats à la formation des nouvelles générations, elle, joue un rôle déterminant. L’Education nationale, les Universités, les grandes écoles, les centres d’apprentissage, reçoivent des subsides, dont en France l’ordre de grandeur annuel est la centaine de milliards d’euros, excusez du peu ! Et tout cet investissement est financé par des prélèvements obligatoires sans contrepartie, alors qu’il devrait logiquement être la source des droits à pension.

Deux erreurs de sens inverse commises par les législateurs se compensent grosso modo : certes, il est stupide et injuste que les droits à pension soient attribués au prorata des cotisations versées pour les pensions des aînés, tout comme il est injuste et stupide que les sommes versées pour la formation des enfants et des jeunes ne procurent pas des droits à pension, mais nous assistons à une application intéressante de la règle arithmétique « moins par moins fait plus ». Concrètement, au niveau macroéconomique, l’absence de valorisation de la parentalité sous forme de droits à pension permet d’attribuer ces droits à ceux qui cotisent (volens, nolens) au profit de leurs aînés. La retraite par répartition est le plus formidable des dispositifs législatifs allant totalement à l’inverse du sens commun et de l’équité.

La spoliation des Français plus prolifiques que la moyenne

La compensation dont nous venons de parler s’effectue largement sur le dos des personnes qui mettent au monde plus d’enfants que la moyenne. Les pères et mères de famille bénéficient certes de prestations familiales croissantes en fonction du nombre de leurs enfants, mais ces allocations, nombreuses et compliquées - de façon à justifier, malgré l’informatique, l’emploi d’agents bien plus nombreux que nécessaire - restent très modestes en comparaison de ce que ces enfants, devenus adultes, vont ensuite apporter au système de retraites. La réalité économique ne fait pas le poids face aux fantasmagories politiques et juridiques : l’idéologie de « l’aide à la famille » dissimule la réalité des échanges entre générations successives, que les pouvoirs publics semblent ignorer dans de nombreux pays, dont la quasi-totalité des pays dits « développés ». Dans les pays moins modernes, les enfants ont conservé leur rôle de « capital du pauvre », sur lequel chacun compte pour sa vieillesse. Mais dans les pays riches, ce n’est plus le cas : les enfants de pauvres bien élevés par leurs parents travaillent largement pour payer les pensions des riches, tandis que leurs parents doivent de contenter du minimum vieillesse ou guère plus. Bonjour l’équité !

Comment instaurer la justice en matière de retraites ?

Pour supprimer cette injustice majeure, il conviendrait de baser les droits à pension, non sur les cotisations destinées à l’entretien des personnes âgées, mais sur la production de capital humain. Les titulaires de faibles rémunérations, s’ils ont des enfants nombreux et bien formés, auraient enfin, devenus âgés, les bonnes pensions qu’ils méritent. Et les riches cesseraient de capter indument le produit du travail des enfants de personnes modestes ou pauvres qui ont donné leur maximum pour bien élever leur progéniture.

Voilà la réforme des retraites dont notre pays pourrait se faire le promoteur. Le niveau très faible de l’analyse économique relative aux retraites et aux échanges entre générations successives empêche de se diriger dans cette voie. C’est vraiment dommage ! Le scénario de réforme qui vient d’être évoqué, taillé sur mesure pour une France « mère des arts, des lettres et des lois », restera dans les cartons tant que nous aurons des dirigeants qui ne connaissent rien au fonctionnement réel des retraites dites par répartition !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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