Retraites par répartition : un non-sens économique

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Par Jacques Bichot Modifié le 17 janvier 2013 à 6h05

Le fonctionnement des retraites par répartition est très simple ; c’est en quelque sorte un moteur à deux temps. Premier temps, l’investissement dans la jeunesse : une génération A constituée d’adultes met des enfants au monde, les entretient, les éduque, les aide à se former. Appelons cette seconde génération B. Deuxième temps, le retour sur investissement : les membres de la génération B se mettent à travailler, et ceux de la génération A commencent à s’arrêter ; comme c’est grâce à leurs parents et aux autres membres de la génération A que les nouveaux travailleurs sont capables de produire des biens et des services, la loi leur demande de partager ces biens et services avec les A. Concrètement, les B versent des cotisations et des impôts qu’une ou des caisses de retraite transmettent aux retraités sous forme de pensions.

Que se passait-il jadis ? Avant que l’humanité n’invente les caisses de retraite, cet échange entre générations successives se réalisait surtout au sein des familles : les parents élevaient leurs enfants et ceux-ci avaient ensuite envers eux un devoir filial. Le Code civil napoléonien a formalisé cet usage séculaire en le nommant « obligation alimentaire », expression toujours en vigueur : les parents doivent pourvoir aux besoins de leurs enfants, et ensuite, devenus adultes, ceux-ci doivent prendre soin de leurs parents. Simplement, aujourd’hui l’obligation alimentaire des enfants ne joue plus qu’à la marge, par exemple pour payer une partie du prix de séjour dans une maison de retraite s’il dépasse le montant des pensions.

Comment la retraite par répartition a-t-elle été instaurée ? Au siècle dernier, les pays industrialisés se sont mis à organiser cet échange de bons procédés, cet investissement dans la jeunesse suivi d’un retour sur investissement, de façon collective. La scolarité des enfants a été payée par tous, grâce à l’impôt ; leur assurance maladie aussi ; les familles ont perçu des prestations familiales grâce à des cotisations et impôts payés par tous ou presque tous : l’investissement dans la jeunesse a ainsi été en partie socialisé. Logiquement, le retour sur investissement l’a été lui aussi : au lieu de faire vivre ses propres parents âgés, chaque actif verse des cotisations vieillesse et des impôts qui servent à verser des pensions à toutes les personnes âgées.

Où est le Hic ? Ordinairement, et très logiquement, les retours sur investissement (dividendes, intérêts, remboursements, loyers) se font au profit de ceux qui ont financé l’investissement ou l’ont réalisé en partie par leur activité, et en raison de l’apport réalisé. Mais s’agissant des retraites par répartition, les législateurs ont imposé une formule saugrenue : les droits à pension sont acquis en raison des cotisations vieillesse. Nous avons tellement l’habitude de cette manière de faire que nous ne nous en étonnons pas… sauf si nous nous mettons à réfléchir en économistes. En effet les cotisations vieillesse sont une redevance que nous versons au profit de ceux qui nous ont logés, nourris, soignés, éduqués, instruits, quand nous étions jeunes, ou qui ont payé des cotisations et des impôts pour que des professionnels le fassent. Les droits à pension devraient donc logiquement être distribués au prorata de ce que les adultes (génération B) font et payent en faveur des enfants et des jeunes (génération C), car c’est grâce à leur capacité de production que ces C les feront vivre. Les cotisations et impôts que les B versent pour les pensions de la génération précédente A ne servent à rien pour préparer leurs retraites à eux B : les A seront trop âgés pour travailler, ou même 6 pieds sous terre, quand les B prendront leur retraite ! Au surplus, quand on rembourse (cotisations vieillesse) ce que l’on a antérieurement reçu, on n’accumule normalement aucune créance !

Le plantage des législateurs a de graves conséquences. En effet, on distribue des droits à pension indépendamment du nombre et de la formation des jeunes qui vont les payer. Regardons l’Espagne ou l’Italie, où les naissances sont peu nombreuses depuis plusieurs décennies : il leur a fallu, et il leur faudra encore, revenir (pour les diminuer, bien sûr, et pas qu’un peu !) sur les promesses de pension qui ont été faites aux cotisants. En France, il en va de même dans une moindre mesure : du fait notamment de la loi retraites particulièrement idiote de 1982, nos caisses de retraite ont distribué des droits encore plus importants aux baby-boomers qu’à leurs parents, comme si une génération ayant eu un peu moins de 20 enfants pour dix femmes pouvait avoir de meilleures retraites que la génération précédente qui en avait eu environ 28. Les lois retraites de 1993, 2003 et 2010 sont des banqueroutes partielles, conséquence inéluctable des promesses intenables qui ont été faites ; et ces distributions de promesses irréalistes viennent directement du fait que la législation des retraites par répartition est, dans son principe même, un non-sens économique. Nous subissons les conséquences de principes de droit social complètement déphasés par rapport à la réalité économique dont dépend le versement des pensions.

Comment redresser ce droit des retraites complètement tordu ? C’est ce que nous verrons demain !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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