Une fois de plus, la gestion du système français de retraites rencontre des difficultés. D’un côté, en dépit de la pandémie (qui accélère certains décès), le nombre des retraités progresse ; de l’autre, celui des cotisants n’augmente pas, ou pas assez. Une telle situation, classique, requiert évidemment que des mesures soient prises. Oui, mais quelle sorte de mesures ? Faut-il légiférer, comme certains hommes politiques ont tendance à le faire pour bien montrer qu’ils détiennent le pouvoir, ou suffirait-il de recourir au décret, voire à une simple décision du responsable national des retraites par répartition ?
Légiférer ou gouverner ?
Les gouvernants français, présidents de la République et ministres, ont pris l’habitude d’avoir recours à la loi – loi annuelle de financement de la sécurité sociale, ou loi spécifique – pour procéder aux ajustements paramétriques qu’ils estiment nécessaires. Autrement dit, au lieu de laisser agir la direction de la sécurité sociale, dont l’intitulé suggère sans ambiguïté la vocation à diriger, c’est-à-dire à prendre les décisions nécessaires, le Gouvernement (cornaqué par l’Elysée) s’empare des manettes, et décide abrité derrière le Parlement, en lui faisant voter une loi.
Le recours à la loi est inadapté à la gestion des retraites
Le résultat de cette organisation, année après année, n’est pas fameux. La loi est un instrument peu maniable, inadapté au rôle qui lui est imparti en matière de Sécurité Sociale. Relèvent de la loi les dispositions stables, celles que l’on ne modifie pas chaque fois qu’un réglage paramétrique s’avère utile. Or la gestion de la Sécu consiste précisément, pour une part importante, à modifier la valeur de certains paramètres, par exemple l’âge « pivot » utilisé pour calculer les montants des pensions.
Dans les pays correctement organisés, cet âge constitue une variable de commande, comme la pédale de frein et l’accélérateur dans une voiture : quand l’espérance de vie augmente, la Direction des Retraites réagit en poussant dans le même sens le curseur « âge pivot ». De même, si la natalité fléchit, ce qui promet pour l’avenir une évolution négative du nombre des cotisants, cette Direction prévoit une augmentation future de l’âge pivot. De tels ajustements paramétriques relèvent logiquement de sa responsabilité, pas de celle du Parlement !
Certains pays prennent des décisions « de principe » pour un avenir assez lointain, car le nombre des naissances est connu environ 20 ans avant que son évolution commence à faire sentir ses effets sur le nombre des cotisants. Ces décisions probables ne doivent évidemment pas être gravées dans le marbre, c’est-à-dire prendre la forme d’une loi fixant les valeurs de certains paramètres.
Reagan, une géniale exception qui confirme la règle
Certes, Reagan a jadis fait voter une loi relative à la Social Security – la retraite par répartition américaine – définissant plusieurs décennies à l’avance l’évolution de certains paramètres, et les Etats-Unis s’en sont bien trouvés, parce que les faits ont été assez conformes aux prévisions. Mais il arrive assez souvent que l’avenir à moyen et long terme diffère largement des pronostics que l’on fait à son sujet : il est donc prudent de laisser une possibilité de pilotage, permettant de manoeuvrer si nécessaire le frein ou l’accélérateur, plutôt que de bloquer ces manettes.
Le « mieux » étant classiquement l’ennemi du « bien », il convient évidemment que les gestionnaires s’astreignent à ne pas faire joujou avec les pédales comme des pilotes de formule 1 ! Mais n’oublions pas l’essentiel : autant les réformes systémiques des retraites doivent faire l’objet de lois, autant les ajustements paramétriques sont des actes de gestion courante qui relèvent de « grands commis » de la Sécurité Sociale.