Retraites : Encore un effort, Monsieur Delevoye !

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Par Jacques Bichot Publié le 24 juillet 2019 à 5h04
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28,12%Le taux de cotisation salariale applicable dans le régime unique a été fixé à 28,12%.

La publication des Préconisations pour un système universel de retraites, le 18 juillet 2019, sous la responsabilité de Jean-Paul Delevoye, précise le projet de réforme annoncé par Emmanuel Macron dès sa candidature à la présidence de la République. Ce projet peut certes encore évoluer à la marge, mais les grandes orientations sont désormais fixées.

1/ Jean-Paul Delevoye a raison quand il constate que « personne ne peut garantir l’avenir de sa profession », si bien que les régimes de pension par répartition destinés à des professions spécifiques constituent une erreur à corriger. En revanche, les professions peuvent sans problème se doter de régimes spécifiques par capitalisation ; c’est même hautement recommandable. Pour la répartition, un régime universel est nécessaire ; mais comment doit-il fonctionner ?

2/ Jean-Paul Delevoye préconise d’attribuer les droits à pension sous forme de points, comme cela se pratique à l’ARRCO-AGIRC et dans divers autres régimes. Là encore, il a raison : le point est un instrument qui permet de gérer simplement et facilement le système de retraites, en faisant évoluer la valeur de service du point de manière à préserver l’équilibre financier à court terme, et son prix d’acquisition pour prévenir les problèmes à long terme.

3/ Jean-Paul Delevoye a compris que « dans un régime par répartition, les pensions versées aux retraités sont financées par les cotisations payées par les actifs au même moment ». Dont acte. Mais il n’a pas tiré de ce constat la conséquence qui s’impose : pour que des pensions correctes soient versées dans vingt, trente, cinquante ans, il est indispensable qu’aujourd’hui naissent en nombre suffisant et soient convenablement éduqués celles et ceux qui cotiseront alors. Autrement dit, il n’a pas compris le message pourtant limpide qu’Alfred Sauvy délivrait dans les années 1970 : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ».

4/ Il s’accroche de ce fait à une vielle lune : « à carrière identique, des droits identiques ». Il n’a pas compris que nous vivons dans une économie où l’investissement dans ce que les économistes appellent « le capital humain » est le facteur déterminant des pensions futures. Les pensions sont en quelque sorte le dividende versé par celles et ceux qui ont antérieurement bénéficié d’un investissement dans leur capital humain. Un beau parcours professionnel ne constitue pas une raison valable pour bénéficier d’une forte pension : en répartition, la pension ne doit pas être le prolongement automatique du salaire, mais le dividende tiré d’un investissement dans les nouvelles générations. Autrement dit, les points doivent être attribués en fonction de ce que chacun fait pour que la jeunesse soit suffisamment nombreuse et bien préparée à prendre le relais.

5/ En particulier, Jean-Paul Delevoye n’a pas compris le rôle que jouent dans le système de pensions les mères et les pères de famille. Il en est resté à l’idée absurde selon laquelle attribuer des points en fonction des enfants que l’on élève est une mesure de « solidarité », c’est-à-dire d’aide à ces « pauvres ballots » qui n’ont pas compris que la stratégie individuellement gagnante sur le plan pécuniaire est DINK, Double Income No Kid (deux salaires, pas d’enfant), comme le dit l’économiste Michel Godet. Un haut-commissaire qui prend pour une sorte d’aumône le juste retour sur l’investissement réalisé dans la jeunesse ne peut évidemment pas proposer une réforme adéquate des retraites, c’est-à-dire un fonctionnement équitable de l’échange entre générations successives. Ce fonctionnement équitable peut se schématiser ainsi : durant un temps, actuellement une bonne vingtaine d’années en moyenne, les membres de la jeune génération bénéficient d’un apport en provenance de leurs aînés, puis ensuite ils versent à ceux-ci le dividende de leur investissement, sous forme de cotisations vieillesse destinées à être transformées en pensions et en prise en charge de soins médicaux et de nursing.

6/ La formule phare du rapport du Haut-commissaire est : « Le système universel repose sur une logique d’équité : à carrière identique, des droits identiques ». Cette formule illustre l’ignorance du fonctionnement économique des retraites par répartition. Le maintien d’un niveau de revenu au terme d’une vie professionnelle bien remplie n’est pas un droit en soi, mais le résultat d’un investissement suffisant dans la génération suivante. Le Haut-commissaire a raison de dire « c’est la confiance dans le pacte entre les générations, au fondement de notre système en répartition, qu’il faut rétablir ». Mais ce pacte n’a rien à voir avec le principe actuel d’attribution des droits à pension, à savoir : « puisque nous avons cotisé pour nos anciens, vous, les jeunes, devez cotiser pour nous ». Le seul pacte économiquement rationnel est : « puisque nous vous avons mis au monde, entretenus, formés, rendus capables de produire efficacement biens et services, vous devez cotiser pour nous ».

7/ L’absence de réflexion économique cohérente conduit le Haut-commissaire à vouloir continuer à traiter la maternité de manière humiliante et injuste. Il est en effet prévu (p. 20) « les périodes de congé de maternité donneront lieu à acquisition de points au 1er jour d’arrêt sur la base du revenu de l’année précédente ». Autrement dit, donner naissance à un enfant rapportera beaucoup plus de points à une femme cadre supérieur qu’à une ouvrière ou une employée, à une travailleuse à plein temps qu’à une travailleuse à temps partiel, alors que le service rendu au système de retraites par répartition est le même. Quant à la femme au foyer, rien n’est prévu pour elle ; son enfant n’aura-t-il aucune utilité pour le pays ? Le mépris pour le principe républicain d’égalité se combine avec le mépris pour la femme au foyer !

8/ Le taux de cotisation applicable dans le régime unique a d’ores et déjà été fixé pour les salariés : 28,12 %. Quelle précision pour des « préconisations » encore adaptables ! Il est aussi prévu que cette cotisation sera patronale à 60 % et salariale à 40 % : il est ainsi préconisé de ne pas profiter d’une belle occasion qui s’offrait de commencer (ou même d’effectuer en totalité) la très utile réforme des cotisations sociales, qui devraient devenir exclusivement salariales pour que les Français aient une perception exacte de ce que leur coûte la protection sociale dont ils bénéficient. Au passage, signalons que 60 % de 28,12 % font 16,872 % : bonjour la simplicité !

9/ Le taux des cotisations vieillesse sera scindé en deux parties inégales ; la plus grosse (qui concernera uniquement la partie de la rémunération inférieure à 3 fois le plafond de la sécurité sociale) sera seule retenue pour l’attribution de points ; la plus petite (2,81 %) s’appliquera à la totalité de la rémunération. Elle sera réputée « faire contribuer solidairement les plus hauts revenus au financement du système de retraite ». On mesure là l’ampleur de l’imbroglio provoqué par l’attribution des points au prorata des cotisations vieillesse : dans un système économiquement rationnel, où les cotisations vieillesse (destinées à verser les pensions en cours) ne procureraient aucun droit à pension, les gros revenus paieraient « plein pot », et non à un taux symbolique. Les entreprises ne versent pas des dividendes et des impôts moindres sur la partie supérieure de leurs bénéfices !

10/ En proposant de maintenir un âge « légal » de départ à la retraite, âge qui est en réalité un âge minimal, JP Delevoye souscrit au principe de rigidité qui a fait tant de mal au système actuel. Dès lors qu’il existera un taux pivot, appelé « âge de taux plein » dans le rapport du Haut-commissaire, l’utilisation de coefficients actuariels, surcotes et décotes, rend inutile l’existence d’un âge minimal. Quand une personne a réussi sa vie professionnelle de manière remarquable, si bien qu’elle a beaucoup cotisé, elle dispose à 50 ans d’un nombre de points très important : pourquoi lui interdirait-on de liquider sa pension, ou une partie de sa pension, avec bien entendu la décote actuarielle adéquate ? Il existe des Français généreux et doués qui, à cet âge, voudraient par exemple se consacrer à plein temps à une association caritative ou culturelle ou sportive, ou s’occuper de personnes de leur famille en très mauvaise santé. Et même si c’était simplement pour cultiver leur jardin et bouquiner, pourquoi les obliger à attendre l’énorme pension qui leur sera due à l’âge « légal » ? La France aurait-elle banni de sa devise le mot « liberté » ?

11/ Le rapport Delevoye est encore insuffisant, en dépit de sérieux efforts, pour ce qui concerne la souplesse que permettrait le recours aux points. Il préconise à juste titre « la possibilité de reprendre une activité sans plafond ni limite après sa retraite au taux plein et d’acquérir de nouveaux droits » (p. 50). En revanche, il reste insuffisant sur la possibilité de liquider une fraction seulement de ses points et sur celle de réintégrer des points liquidés dans le portefeuille de points non encore liquidés, ce qui permettrait une bonification de ces points, conformément à la logique actuarielle.

12/ Signalons enfin, à défaut de passer en revue la totalité des problèmes, le traitement de la pénibilité et de la dangerosité de certains métiers. Soyons directs : ce n’est pas à la répartition de régler ce type de problèmes, mais à la capitalisation. Prenons l’exemple de nos soldats en opérations extérieures : actuellement, l’Etat tient compte de la dangerosité de leur métier en leur accordant pour la retraite des années d’ancienneté « gratuites » ; c’est une « astuce » qui permet de ne pas verser immédiatement des cotisations à un fonds de pension, et donc de repousser vers l’avenir une portion du déficit budgétaire.

Il existe pareillement dans le secteur privé des dispositifs de départ anticipé à taux plein, sans provisionnement lors de l’accomplissement du travail dangereux ou particulièrement éprouvant. C’est anormal. Une façon correcte de traiter le problème consisterait en une cotisation d’un montant convenable, versée à un fonds de pension assez souple pour accorder le moment venu, au choix, soit une rente à durée limitée jusqu’à ce que les points de retraite par répartition se soient suffisamment bonifiés, soit une rente à vie, sans oublier la couverture du conjoint et des enfants pour les risques de décès ou d’invalidité du responsable de leur entretien.

Conclusion

Le rapport Delevoye est une tentative intéressante, mais insuffisante, d’aggiornamento du système de retraites français, vétuste et compliqué. Premièrement, il lui manque la reconnaissance du mode de fonctionnement de la répartition, qui est basé sur la formation du capital humain. Deuxièmement, sa reconduction, dans les grandes lignes, de la relation actuelle entre l’activité professionnelle et l’acquisition des droits à pension l’empêche d’être équitable vis-à-vis de ceux qui, par leur progéniture ou par leurs impôts ou cotisations, préparent les cotisants – et donc les pensions – de demain. Troisièmement, son désir louable d’introduire davantage de souplesse et de liberté ne débouche que partiellement en raison de l’insuffisance des connaissances économiques de ceux qui ont participé à la préparation de ses préconisations. L’avancée est certaine, mais il serait tellement dommage de ne pas profiter de cette grande réforme, qu’il sera difficile de renouveler avant longtemps, pour ne pas aller beaucoup plus loin !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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