Retraites : le verre de la réforme est-il à moitié vide ou à moitié plein ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 19 juillet 2019 à 6h53
Retraite Epargne Assurance Vie Avenir France
@shutter - © Economie Matin
70%Au lieu de toucher une pension de réversion, le conjoint survivant verra sa pension recalculée, lui permettant de maintenir 70% du niveau de vie du couple.

Nous aurons évidemment à revenir sur la réforme des retraites quand les dispositions concrètes seront connues de manière plus précise. Mais il est d’ores et déjà possible de signaler une lacune majeure, qui résulte du manque de connaissances économiques des personnes et organismes qui ont contribué à l’élaboration du projet de réforme.

Une attribution des points toujours basée sur un critère sans rapport avec la réalité économique

L’erreur a été commise il y a fort longtemps, en 1941, par le régime de Vichy. Emmanuel Macron l’a reprise à son compte dès son entrée en campagne électorale, en indiquant que chaque euro versé aux caisses de retraite à titre de cotisation vieillesse devrait procurer le même nombre de points de retraite – c’est-à-dire le même droit à pension.

La relation ainsi établie entre les cotisations versées au profit des retraités et l’attribution de droits à pension aux cotisants est une absurdité économique. Cet argent est immédiatement utilisé par les retraités, soit pour leur consommation, soit pour leur épargne ; il ne sert rigoureusement à rien pour préparer le versement de pensions dans plusieurs décennies. Nos retraites par répartition constituent donc un système de Ponzi, comme le disent un grand nombre de mes collègues américains, mais hélas peu de mes collègues français : un système où l’on encaisse l’argent en promettant de le rendre avec intérêt, mais où ledit argent est dépensé improductivement au lieu d’être investi.

En France, c’est le démographe Alfred Sauvy qui a dévoilé le pot aux roses. Dans les années 1970, au moment où la belle fécondité de l’après-guerre cédait la place à une raréfaction des naissances, il poussa un cri d’alarme : les Français ne procréent plus suffisamment, ils n’auront pas de bonnes retraites, disait-il en substance. Il précisait : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Et voici ce qu’il rétorquait en substance à une journaliste qui écrivait dans Le Monde : « moi, je cotise, j’aurais droit à une pension » : merci beaucoup de cotiser, la caisse me transmet ce que vous lui versez, et je le dépense avec plaisir mais, évidemment, vos cotisations disparaissent définitivement. Pour votre future retraite, vous dépendez exclusivement de la venue au monde et de la formation des nouvelles générations.

Le propos de Sauvy n’a pas été entendu. Nos hommes politiques, de droite, de gauche et du centre, ont continué à croire au Père Noël, c’est-à-dire à la préparation des futures pensions par les cotisations actuelles. Il n’y a pas pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir : Macron et Delevoye, comme leurs prédécesseurs, ont opté pour la fantasmagorie et répudié la réalité. Les points continueront à être attribués au prorata des cotisations immédiatement reversées aux retraités actuels, et les cotisations ou impôts qui contribuent à préparer les futurs citoyens et producteurs continueront à être organisés comme des prélèvements obligatoires sans contrepartie.

Attribuer des points en contrepartie de versements destinés à financer la formation, initiale et continue, voilà qui aurait une rationalité économique ! En attribuer aux personnes qui mettent des enfants au monde et prennent soin d’eux jusqu’à ce qu’ils soient des adultes capables de gagner leur vie, voilà qui serait du bon sens ! Mais non ! Ni le président de la République ni le Premier ministre n’ont incité le Haut-commissaire à la réforme des retraites à faire preuve d’un peu de logique économique : la France, au lieu de donner l’exemple d’une réforme intelligente qui pourrait entraîner la planète entière, va s’en tenir à un replâtrage de son système fondamentalement inepte.

Un conservatisme désolant

Conserver ce qui marche, très bien. Mais conserver ce qui dysfonctionne, ou ce qui est injuste, alors que l’occasion se présente d’effectuer des changements astucieux, quel gâchis ! Il semble que ce doive être le cas, par exemple, des pensions de réversion. Tout actuaire connaît le principe des rentes sur deux têtes, formule qui remplacerait élégamment la réversion. Dès lors que l’on a recours à la formule des points pour mesurer les droits à pension, les couples qui le souhaitent pourraient mettre en commun tout ou partie de leurs points, et décider que ces points communs seront le jour venu transformés en rente sur deux têtes. On sortirait de la vision misérabiliste de la réversion qui a cours actuellement, et qui couvre d’un voile pudique des rentes de situation au profit de certaines personnes ayant épousé sur le tard des titulaires de confortables droits à pension.

De même semble-t-il que soit conservé le principe d’un âge minimal pour la liquidation de ses droits à pension. Il y a eu dans les media, à ce sujet, des batailles picrocholines : 62 ans ? un peu plus ? un peu moins ? Il ne semble pas que l’on ait réalisé que l’application du principe de neutralité actuarielle, B.A. BA de l’équité en matière de retraites, rend obsolète la notion d’âge « légal » au sens de « minimal ». Dès lors qu’un âge pivot est mis en place, il n’est nul besoin d’un âge minimal : si quelqu’un a acquis un nombre de points fantastique, pourquoi lui refuser de liquider ses points à 50 ans, sachant que cela ne coûtera rien de plus à la caisse que s’il attend les 62 ans fatidiques car il percevra plus longtemps une pension nettement moindre.

Quant aux importantes questions des liquidations partielles et du retour possible sur une liquidation, elles ne semblent pas faire partie du programme. J’ai étudié dans un ouvrage, La retraite en liberté, paru début 2017 au Cherche-midi, puis tout récemment dans la Revue de droit sanitaire et sociale (numéro de mai-juin 2019) la faisabilité de ces assouplissements, et de certains autres, comme celui du cumul emploi-retraite, mais il est bien connu depuis l’assassinat légal de Lavoisier en 1794 que « la République n’a pas besoin de savants ».

Espérons quand même que cette réforme, qui sera mieux que rien, ne sera qu’un début

En observant les occasions qui semblent devoir être manquées par cette réforme, on pourrait sombrer dans le pessimisme. Il ne faut pas. Le passage aux points de tous les régimes, et l’unicité du point, vont apporter un changement positif dans la gestion de notre système de retraite. Par exemple, les régimes spéciaux vont enfin être pourvus d’un instrument simple et lisible, qui rendra plus difficile la dissimulation des nombreux privilèges actuels – privilèges qui alourdissent les dépenses publiques, provoquant un dilemme cornélien entre le financement par l’emprunt (si tentant en période de taux négatifs) ou par les prélèvements obligatoires.

Une fois abandonné le système vétuste de la durée d’assurance – qui fait de la résistance, au moins dans les esprits de certains hommes politiques qui voudraient encore avoir recours à sa manipulation – les protagonistes du système se rendront compte qu’il est possible de baser l’attribution des droits à pension sur des critères moins bureaucratiques. Le réalisme pourra progresser. Dans un système aussi farfelu que celui dont nous sommes actuellement équipés, les esprits sont englués dans une sorte de bouillie conceptuelle mortelle pour la rationalité. Introduire quelques grains de rationalité résistants à cette bouillie aura sur les acteurs un effet peut-être assez puissant.

Notre système est absurde de A à Z ; s’il ne l’est plus que de A à Y, un premier pas aura été accompli, et le proverbe n’est pas dépourvu de pertinence qui dit « il n’y a que le premier pas qui coûte ». Tout en ayant bien conscience de l’imperfection de la réforme en cours, ayons donc l’espoir que ce passage aux points constituera un point de départ.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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