Retraites : va-t-on encore rater la réforme ?

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Par Jacques Bichot Publié le 9 octobre 2018 à 6h11
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@shutter - © Economie Matin
65Si l'âge pivot est 65 ans, un départ à 60 ans s'accompagnera d'un coefficient nettement inférieur à l'unité, par exemple 0,75.

Les informations relatives à la réforme des retraites parues dans Les Echos de ce lundi 8 octobre ne sont guère rassurantes. On savait déjà que le choix avait été fait de conserver un système de Ponzi, c’est-à-dire d’attribuer les points de retraite au prorata des cotisations vieillesse, qui ne servent absolument pas à préparer les pensions futures. Mais à cette erreur majeure il semblerait que vont s’ajouter diverses sottises, en particulier le maintien d’un âge minimal de liquidation de la pension, et la fixation par le législateur de l’âge pivot.

Neutralité actuarielle et âge pivot

Dans un système par points respectant le principe de neutralité actuarielle (principe fondamental pour disposer d’un système équitable et efficace), le calcul de la rente s’effectue en deux temps : on calcule d’abord le montant mensuel de la pension qui serait due si l’assuré social liquidait ses droits à l’âge pivot, puis on multiplie ce montant par un coefficient actuariel dépendant de l’âge de liquidation effectif. Si l’âge pivot est 65 ans, un départ à 60 ans s'accompagnera d'un coefficient nettement inférieur à l'unité, par exemple 0,75, et un départ à 70 ans donnera un coefficient bien supérieur à l'unité, par exemple 1,25. Il s’agit de laisser chacun libre et responsable de sa décision, sans risque ni possibilité d’être lésé ou avantagé : à chacun de voir s’il veut percevoir plus longtemps une pension mensuelle plus modeste, ou moins longtemps une pension plus conséquente.

L’âge minimal à la liquidation, stupidité bureaucratique

Dans un tel système, un âge minimal à la liquidation ne sert à rien pour l’équilibre financier du régime. Il manifeste simplement la tendance du législateur à multiplier les règles destinées à protéger les citoyens contre eux-mêmes. Liquider à 50 ans, avec une pension de misère, quelle horreur, il ne faut pas que ce soit possible, estiment les dirigistes, oubliant la diversité des situations. Quid de la personne qui vient d’hériter de son oncle d’Amérique ou de gagner le gros lot à la Française des jeux ? Quid de celle qui veut continuer à travailler, mais à temps partiel, et qui de ce fait acquerra encore des points, que cette fois elle liquidera à 70 ans ? Quid de celle dont le conjoint est bien parti pour disposer d’une très confortable pension, et qui veut se rendre totalement ou partiellement libre pour s’occuper de ses vieux parents au lieu de les envoyer en maison de retraite ? N’oublions pas qu'un grand avantage des retraites par points est de rendre possible les liquidations partielles et le cumul emploi/retraite avec totale liberté de choix pour les intéressés[1].

S’il s’agit d’éviter que des citoyens, après avoir liquidé trop tôt une pension modeste, viennent ensuite quémander des secours publics, un entretien personnalisé suffit pour détecter le problème et déjouer ce comportement de pique-assiette. Les militaires ont heureusement compris, dans certains pays, que l’usage de munitions intelligentes était préférable à celui du tapis de bombes tuant les civils comme les soldats ennemis. Que nos réformateurs civils en prennent donc de la graine !

La confusion de la loi et de la gestion

La fixation de l’âge pivot doit-elle relever de la loi, ou constitue-t-elle une décision de simple gestion, dont la responsabilité revient à la direction générale du système unifié de retraites par répartition ? La réponse à cette question devrait être : au législateur de définir quels sont les paramètres utilisables pour la gestion du système, et de poser une règle d’équilibre financier à moyen terme du dit système ; à la direction de manœuvrer ces paramètres pour que le système fonctionne correctement, et notamment soit en équilibre.

Les dirigeants de notre pays ont hélas pris l’habitude, sous prétexte de démocratie, de faire prendre par le Parlement des décisions qui relèvent soit du gouvernement, soit de la direction de tel ou tel organisme public. Cela déresponsabilise les agents de direction, réduits à un rôle d’exécutants ; et cela revient à confier des prises de décisions techniques à des instances dépourvues des compétences professionnelles ad hoc.

Comme dit le proverbe, quand on demande à n’importe qui de faire n’importe quoi, il s’en tire n’importe comment : c’est exactement ce qui se passe depuis des années en matière de retraites par répartition, à cause de la manie qu’ont nos gouvernants, de quelque bord politique qu’ils soient, de faire voter par le Parlement des dispositions de simple gestion. Imagine-t-on un grand distributeur, disons Carrefour ou Auchan, qui devrait faire approuver par l’Assemblée générale ou le Conseil d’administration le prix de vente des bananes et celui des barils de lessive ? Voilà, en forçant un peu le trait, où nous en sommes pour la prise de décision publique.

Cessons donc de confondre la stratégie et la tactique, l’exercice du pouvoir politique et la prise de décision techniques. La technocratie, c’est-à-dire le pouvoir des techniciens, est une excellente chose s’il s’agit de conférer aux ingénieurs le droit de prendre les décisions qui relèvent véritablement de leur compétence. Mais elle est la pire des choses quand elle consiste, soit à laisser aux techniciens des pouvoirs qui reviennent de droit aux élus, soit à confier au personnel politique le maniement de manettes que les techniciens manœuvreraient de façon beaucoup plus professionnelle.


[1] Voir notre ouvrage La retraite en liberté, Le Cherche midi, 2017.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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