Retraites et catégories socioprofessionnelles

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Par Jacques Bichot Publié le 30 août 2019 à 5h56
Retraites Malus Bonus 1
@shutter - © Economie Matin

Le coup de massue (conserver un calcul des pensions en fonction de la durée de cotisation) donné publiquement par le président de la République au projet de réforme des retraites concocté par le Haut-Commissariat ad hoc a beau avoir été d’une rare inélégance, il n’en a pas moins l’utilité de soulever un vrai problème lié à cette durée de cotisation : ceux qui commencent à travailler jeunes, en général avec un niveau de formation modeste, ont un âge moyen au décès très inférieur à la moyenne, si bien qu’après avoir travaillé plus longtemps ils ont très fréquemment une retraite plus courte. Il y a là une injustice. Conserver la prise en compte de la durée de cotisation, solution évoquée par Emmanuel Macron, étant structurellement incompatible avec le passage aux points, il faut trouver, pour la remplacer, une formule compatible avec cette réforme essentielle. Tel est le problème auquel nous allons chercher des solutions.

Une pension, oui mais pour combien de temps ?

Les pensions sont servies jusqu’au décès du pensionné. Problème : la grande faucheuse opère plus tôt sur les hommes que sur les femmes, et sur les ouvriers que sur les cadres. Si deux personnes liquident leur pension au même âge, une femme cadre la percevra (en moyenne !) nettement plus longtemps qu’un homme ouvrier : son espérance de vie à 35 ans est en effet supérieure d’environ 8 ans. Le tableau ci-dessous, publié par l’INSEE en 2016 sur la base des données relatives aux 5 années 2009 à 2013, donne les chiffres disponibles.

Espérance de vie à 35 ans selon le sexe et la CSP

CSP

Hommes

Femmes

Agriculteurs

46,2

51,1

Artisans, Comm., Chefs d’entr.

46

51,4

Cadres

49

53

Professions intermédiaires

46,7

51,9

Employés

44,9

51,1

Ouvriers

42,6

49,8

Inactifs non retraités

33,1

47,6

Ensemble

44,5

50,5

Les différences qui apparaissent sur ce tableau sont suffisantes pour couper court à toute velléité d’ignorer le problème : le système de pensions qui sortira de la réforme en cours doit traiter différemment des personnes qui, en liquidant disons par exemple à 65 ans, percevront leur retraite, en probabilité, les unes durant 20 ans et les autres durant 25 ans.

Des pistes de solution

Si nos organismes de statistiques, notamment l’INSEE, l’INED et la DREES, reçoivent les commandes voulues, les actuaires de France Retraites (nom que je donne par commodité au régime unique qui devrait remplacer nos deux douzaines de régimes hétéroclites) seront à même de faire les calculs nécessaires. Plus précisément, ils construiront des programmes de calcul des pensions tenant compte des différences d’espérance de vie conformément à ce que le législateur aura estimé être un compromis acceptable entre deux impératifs pas toujours faciles à concilier : l’équité, et la compréhensibilité pour les assurés sociaux.

Sur quels paramètres peut-on jouer ? Premièrement, le prix d’acquisition du point. Que l’on reste dans les stupides dispositions actuelles où ce sont les cotisations vieillesse qui procurent des points, ou que l’on passe à un système plus équitable où les points seront attribués au prorata de l’investissement réalisé dans la jeunesse, il est concevable de moduler le prix d’acquisition du point en fonction de l’espérance de vie de la catégorie à laquelle appartient la personne qui prépare sa retraite. Ainsi un ouvrier de sexe masculin payera-t-il chaque point moins cher qu’une femme cadre, puisque celle-ci bénéficie de 10 ans d’espérance de vie de plus que lui. La différence de prix pourrait, dans ce cas, atteindre 25 % à 30 % au bénéfice de celui qui n’a la chance ni d’être une femme, ni d’être cadre.

Une variante de cette formule consisterait à jouer sur la valeur de service du point (le montant de la pension que procure un point liquidé à l’âge pivot). Ce montant serait, dans notre exemple, supérieur pour l’ouvrier.

Une troisième solution consisterait à utiliser une pluralité d’âges pivot. Si cet âge était plus faible pour l’ouvrier que pour la femme cadre, l’effet obtenu serait analogue à celui des deux méthodes précédentes. Cependant, cette méthode présente un inconvénient du fait que l’on ne passe pas forcément toute sa vie dans une même catégorie socio-professionnelle. L’ouvrier devenu chef d’entreprise à 50 ans verra-t-il sa pension calculée avec l’âge pivot de la première catégorie, ou de la seconde ? On peut évidemment faire deux calculs, comme s’il allait percevoir deux pensions, mais cela paraîtra sans doute compliqué. En outre, la pluralité des âges pivots serait assez déroutante pour les assurés sociaux.

D’autres solutions peuvent certainement être proposées : le présent article ne prétend pas faire le tour complet de la question difficile du traitement des différences d’espérance de vie, mais montrer qu’une bonne réforme des retraites doit lui apporter une solution, ne disons pas parfaite, mais la moins imparfaite que l’on parviendra à mettre au point.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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