Le président Macron vient de relancer l’idée de faire des économies en matière de retraites en exigeant une durée de cotisation plus longue. Cette intervention vient comme un cheveu sur la soupe au moment où le rapport Delevoye indique les moyens à mettre en œuvre pour réaliser le programme présidentiel, à savoir une retraite dépendant seulement du nombre de points et de l’âge à la liquidation. Voilà qu’il faudrait « en même temps » continuer à prendre en compte la durée de cotisation, et donc probablement l’augmenter jusqu’à 43 ans comme prévu dans la dernière en date des « lois retraite ». Le président de la République est donc en train de jouer au chien dans un jeu de quilles aux dépens de son Haut-commissaire à la réforme des retraites.
Nous revivons le procès de Galilée
Quand on a les yeux « grands fermés1 » en matière de fonctionnement économique de la retraite par répartition, on dit n’importe quoi et on légifère n’importe comment. Or c’est malheureusement le cas de Macron et Delevoye : ils n’ont pas compris le message d’Alfred Sauvy, à savoir que « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Il est très utile pour les retraités que les actifs paient des cotisations, car elles leur sont versées. Mais, de ce fait, elles ne sont pas investies pour servir aux futures pensions des cotisants. Il n’existe donc aucune raison pour calculer les pensions à partir des cotisations jadis versées par des personnes qui, ensuite, ont pris leur retraite. Le législateur peut certes imposer cette règle stupide, il peut recevoir en la matière le soutien de Paul, Pierre, Jacqueline et Ahmed, mais il n’est pas en son pouvoir de faire qu’elle ne soit pas stupide.
Un cas analogue s’est produit il y a quelques siècles, lorsque Copernic puis Galilée ont compris le fonctionnement réel du système solaire. Tout le monde ou presque pensait que le soleil gravitait autour de la terre, et voici que des scientifiques ont remis en question cette croyance et démontré que c’est notre planète qui, comme d’autres, tourne autour de son étoile. Galilée eut affaire à l’Inquisition, et pour ne pas finir sur un bûcher il dut dire qu’il s’était trompé. Certes, Alfred Sauvy, puis votre serviteur, n’ont pas été physiquement menacés, mais la chape de plomb du « politiquement correct » a suffi : le message du simple bon sens n’est pas entendu en haut lieu ; le législateur ne remet nullement en cause le lien mythique de cause à effet, dans les régimes par répartition, entre cotisations versées et droits à pension.
Autrement dit, la loi continue à imposer une règle de calcul des pensions en fonction des cotisations jadis versées, bien qu’elles aient été dépensées sitôt encaissées. Et ce n’est pas seulement le fait de la législation française : aux Etats-Unis, par exemple, où davantage d’économistes expliquent que la Social Security (la retraite par répartition de ce pays) est un système de Ponzi, le Sénat, la Chambre des Représentants et la Présidence font également la sourde oreille. Les mensonges d’Etat sont particulièrement résistants. Ils persistent par la force d’inertie des législateurs et des instances qui pourraient l’éclairer officiellement (en France, le Conseil d’Orientation des Retraites et, depuis bientôt deux ans, le Haut-commissariat à la réforme des retraites).
Le principe de base du report de revenu
L’économie des retraites est un cas particulier de celle du report de revenu d’une période à une autre. Comment utiliser une partie de nos revenus actuels pour les reporter vers le futur, pour pouvoir dépenser l’équivalent dans quelques mois, quelques années ou quelques décennies ? La réponse, dans son principe, est fort simple : il faut investir, dépenser ce revenu pour mettre en place des facteurs de production qui, dans l’avenir, fourniront le revenu attendu.
L’investissement peut s’effectuer soit en capital physique et technologique, soit en capital humain. En dépensant le revenu de ce mois pour construire des logements ou équiper des usines ou perfectionner notre pharmacopée, nous pouvons compter sur un revenu futur, un « retour sur investissement ». Les fonds de pension utilisent cette méthode. Aux retraites par répartition reste donc l’autre grande catégorie de capital : les êtres humains. Il faut mettre en œuvre beaucoup de travail, d’intelligence et d’affection pour que, une vingtaine d’années plus tard, un ovule fécondé par un spermatozoïde soit devenu un producteur capable non seulement de subvenir à ses propres besoins, mais aussi de verser un confortable dividende – de fortes cotisations de retraite.
Qu’elles aillent à la CNAVTS, à l’ARRCO-AGIRC, ou à la caisse des médecins libéraux, les cotisations vieillesse sont toujours des dividendes versés par des entrepreneurs dotés d’un capital humain – des travailleurs – à un organisme chargé de les reverser sous forme de pensions aux investisseurs initiaux. Un législateur avisé, qui ne perdrait pas son temps à travailler sur des textes fleuve relevant normalement du décret ou de l’arrêté2, étudierait cette réalité et tirerait de son savoir la ou les lois dont nous avons besoin en matière de retraites dites « par répartition ». A savoir que les droits à pension découlent de l’investissement réalisé quelques décennies plus tôt dans le capital humain et doivent par conséquent être attribués à Mr X ou Mme Y en fonction de la contribution de X ou Y à la formation du capital humain.
Arrêtez de compter les boutons de guêtre !
Le ministre français de la défense, en 1870, aurait dit-on vanté l’état de préparation de nos armées en disant que, la guerre dût-elle durer 2 ans, il ne manquerait à nos soldats pas un seul bouton de guêtre. Certes, les détails ont leur importance, mais ils ne doivent pas passer avant l’essentiel. Or que se passe-t-il actuellement en matière de retraite ? Présidence, Gouvernement, ministère, Assemblées, Haut-commissariat et partenaires sociaux s’occupent des boutons de guêtre, délaissant la stratégie et l’armement. Que de temps perdu en vaines palabres entre personnes qui ne connaissent rien au fonctionnement économique des retraites par répartition ! Quand s’occupera-t-on en haut lieu de la réalité plutôt que de fantasmagories législatives et réglementaires ? La durée de cotisation, l’âge minimal requis pour liquider sa pension, le choix de l’âge pivot, ce sont les boutons de guêtre de la guerre des retraites – une guerre que nous allons perdre, comme celle de 1870, à cause des illusions dont se bercent nos dirigeants.
1 Les yeux grands fermés est le titre d’un excellent ouvrage de la démographe Michèle Tribalat qui dénonce la scandaleuse mauvaise qualité des statistiques françaises relatives à l’immigration.
2 Voir notre article La folie administrative bat son plein, Economie matin du 8 août 2019.