La retraite est chose trop sérieuse pour être confiée à l’Etat ou aux partenaires sociaux ; faisons-la gérer par une institution analogue à la Banque de France.

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h33
France Politique Retraites Reforme Pensions
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18%Selon l'IPS, la réforme des retraites pourrait faire perdre plus de 18% de pension à certaines mères de famille.

Les récents développements relatifs à la réforme des retraites montrent l’incompétence des deux catégories d’acteurs classiquement mis à contribution pour gérer ou réformer les retraites de notre malheureux pays :

- En ce qui concerne les hommes politiques, leur méconnaissance du sujet, leur caractère superficiel et brouillon, joins à leur incapacité à trouver parmi eux des personnalités pour prendre en main cette réforme d’une extrême importance, ne permettent pas de leur faire confiance.

- Pour ce qui est des syndicats, en dehors de leur capacité à rendre difficile la vie des citoyens, et particulièrement des travailleurs, aucun talent ne se manifeste. Côté patronat, l’énergie se concentre sur l’endiguement des charges sociales ; les idées novatrices ne fusent guère.

Qui donc pourrait prendre en main cette réforme en ayant la capacité de la finaliser et de superviser la gestion du système qui en résultera ? L’idée que je soumets – le recours à la Banque de France (BdF) – est surprenante à première vue, et difficile à faire admettre par les politiciens, mais elle pourrait nous sortir du pétrin où les acteurs des deux catégories précitées nous ont précipité.

Nommons France Retraites l’organisme chargé de faire fonctionner, pour la France entière, un système unique de retraites par répartition. Il s’agit de savoir comment France Retraites devrait fonctionner et être dirigée pour que notre pays cesse enfin d’être contraint deux fois par décennie de pratiquer une réformette de son système de retraites en espérant que ses effets lui permettront de tenir encore quelques années.

France Retraites doit être une institution indépendante, du même type que la Banque de France avant la création de la BCE

La Banque de France (BdF) a déjà fondé un régime de retraites : c’était en 1808, soit 8 années après sa création par le Premier Consul. Devenu Empereur, Napoléon signa le 16 janvier 1808 un décret dont l’article 23 institue une « caisse de réserve » pour les employés de cette banque. Cette caisse existe toujours ; les salariés de la BdF sont les seuls de notre pays à ne pas avoir de retraite par répartition : ils ont conservé une véritable retraite par capitalisation, qui leur suffit largement. Leur caisse verse actuellement des pensions à 15 000 retraités, alors qu’elle n’a plus que 10 000 adhérents ; pour autant elle ne demande rien à personne, car elle dispose de 14 Md€ de réserves, auxquelles semble s’ajouter une « réserve spéciale » atteignant 4,7 Md€.

N’ayant pas recours à la répartition, cette institution satisfait à la condition de neutralité pour superviser la réforme des caisses qui la pratiquent. Elle peut analyser sereinement le fonctionnement de la répartition en France, et constater qu’elle constitue une forme abâtardie de capitalisation, fonctionnant grâce au capital humain, mais sans que le droit positif le reconnaisse.

Cette situation hors du champs de la réforme est très intéressante stratégiquement pour organiser ladite réforme sans éprouver la gêne inhérente au fait de changer les règles d’un jeu dont on est soi-même acteur : un observateur non impliqué est bien plus à l’aise pour voir objectivement ce qui va et ce qui ne va pas, ce qu’il faut conserver et ce qui doit être changé. Cerise sur le gâteau, à la différence des partenaires sociaux et des hommes politiques la BdF n’a pas développé de tendance à parler de réforme chaque fois qu’il faut effectuer un réglage paramétrique ; il se trouve certainement en son sein des personnes capables de faire la distinction entre une réforme (systémique) et un ajustement (paramétrique).

France retraites devra être construite en respectant des principes analogues à ceux qui ont fait de la Banque de France une institution indépendante du pouvoir politique et des organisations syndicales et patronales. Cette indépendance la mettra dans une position radicalement différente de celle qu’occupe aujourd’hui le système français de retraites par répartition, composé d’une mosaïque de régimes soumis au triple pouvoir des politiciens, des syndicats et du patronat, qui tirent à hue et à dia. Quel organisme pourrait, mieux que la BdF, contribuer efficacement à la mise en place d’un tel organisme, créé en quelque sorte « à son image et à sa ressemblance », selon la formule du premier chapitre du livre de la Genèse ?

Cet organisme, France Retraites, devra disposer d’un savoir-faire organisationnel du plus haut niveau dans le domaine de la finance le plus délicat et le plus important, celui du capital humain. Il aura mission de veiller à ce que se réalise dans de bonnes conditions un investissement vital pour la bonne marche du pays, l’investissement dans le capital humain, et à ce que les dividendes tirés de cet investissement soient répartis de manière équitable. La BdF remplit une mission analogue : veiller à ce que tout se passe correctement pour le financement des entreprises, des particuliers, et dans une certaine mesure des administrations, par le canal du crédit. Elle est donc très bien placée pour veiller sur la mise en place de l’organisme qui sera chargé de remplir une fonction analogue relativement au financement du capital humain et à la distribution des redevances que constituent les pensions (celles-ci ne sont stricto sensu ni des intérêts, ni des dividendes, ni des remboursements).

La BdF devra libérer nos retraites des mythes qui rendraient vaine la création de France retraites

L’intervention de la BdF suppose que le législateur renonce à la fable selon laquelle les pensions seraient dues en raison des cotisations de retraite. Seule une institution aussi puissante et respectée peut amener le Parlement à remettre les pendules à l’heure, c’est-à-dire à envoyer au panier l’actuelle législation des retraites par répartition, qui en fait un système de Ponzi, pour la remplacer par des règles juridiques compatibles avec la réalité économique – à savoir que les retraites se préparent en investissant dans le capital humain, et qu’en conséquences les droits à pension doivent être attribués essentiellement en contrepartie des contributions apportées, en argent ou en nature, à la production du capital humain.

Unicité de la Banque centrale et de France retraites, pluralité des banques commerciales et des caisses de retraite

Notre banque centrale prendra en main la constitution de l’équipe chargée de construire France Retraites en intégrant les quelque 42 régimes qui contribuent actuellement au fonctionnement de la retraite par répartition française. Il lui faudra expliciter le rôle de France retraites. Cette institution devra-t-elle gérer elle-même tous les comptes de retraite des Français et des étrangers qui auront avec la France des relations suffisamment importantes pour adhérer à notre système ? Quand on étudie cette question, il est utile de faire une comparaison avec les systèmes monétaires. Ceux-ci sont composés d’une banque centrale, indépendante des pouvoirs publics (sauf dans certains pays peu démocratiques), et d’un nombre plus ou moins grand de banques dites « de second rang » ou « commerciales ».

Très peu nombreux sont les particuliers, entreprises, associations, qui ont un compte à la Banque Centrale (BC) : les agents « non monétaires » utilisent les services des banques dites « de second rang », par exemple, en France, le Crédit Agricole, la Société Générale, le Crédit mutuel, BNP-Paribas, etc. Tous ces établissements sont surveillés par la BdF qui connait parfaitement le montant total des dépôts à vue et des comptes d’épargne, et veille à ce que chaque établissement applique strictement les règles en vigueur, de façon que les clients n’aient pas à s’inquiéter. C’est une organisation au point depuis des décennies, qui donne satisfaction dans tous les pays où le pouvoir politique respecte l’indépendance de la BC.

L’intérêt d’un système monétaire avec Banque centrale et banques de second rang tient au fait que chaque banque de second rang propose à ses clients, en sus d’un compte à vue, toute une gamme de services : comptes d’épargne, prêts, détention de valeurs mobilières, transactions sur lesdites valeurs, le cas échéant des assurances, etc. Le client possède un interlocuteur unique ; il n’a pas besoin de changer de banque s’il change de métier, ou s’il déménage. Celui qui veut être conseillé l’est par une personne compétente (du moins en principe) pour examiner ses désiderata, ses problèmes, et trouver des solutions. Tout cela avec un haut niveau de sécurité, parce que la BC définit des règles monétaires, les fait respecter, et surveille les établissements de second rang.

France retraites peut jouer le rôle d’une BC vis-à-vis de toutes sortes d’établissements gestionnaires de la retraite par répartition. L’unité monétaire et le point ont tous deux la même propriété : de même qu’il n’y a pas trente-six dollars des Etats-Unis, il n’y a pas trente-six points de retraite suédois ou italiens. L’unité est nationale, et il existe un seul âge pivot. Rappelons aux syndicalistes à qui l’expression « âge pivot » donne des boutons que c’est un levier de commande aussi essentiel pour la conduite d’un système de retraites par répartition que le frein ou l’accélérateur pour la conduite d’un véhicule. Il existe pareillement une seule valeur de service du point, comme un seul prix d’achat du point (1) Il y a les mêmes règles quelle que soit la profession exercée : pénibilité, dangerosité, spécificités de certains métiers, font l’objet de compléments en capitalisation, car ce n’est pas à la répartition d’apporter une réponse à ces problèmes.

L’unicité de la retraite par répartition n’exclut nullement la personnalisation de la préparation par chacun de ses vieux jours, ni la pluralité des organismes gestionnaires. Celui qui veut travailler plus longtemps mais moins intensément est libre de le faire (sous réserve, bien sûr, pour un salarié, qu’il ait ou qu’il trouve un emploi pouvant être exercé à temps partiel) ; et celui qui veut faire 50 heures par semaine pour partir plus tôt avec une pension néanmoins suffisante en a pareillement le droit. La liberté des uns n’a comme limite que celle des autres : tel employeur, par exemple, ne peut pas, ou ne veut pas, embaucher à mi-temps. Quant aux organismes gestionnaires, il est vraisemblable que lors de la mise en place du système la plupart des travailleurs choisirons de rester avec un organisme qu’ils connaissent déjà, et apprécient : l’un, content de l’institution où il a son compte de retraite ARRCO-AGIRC, y restera, tandis que l’autre préférera la CNAVTS ; le médecin aura sans doute tendance à conserver comme interlocuteur la CARMF, mais s’il en est mécontent rien ne l’empêchera de choisir une autre caisse, par exemple celle de son conjoint si celui-ci en est satisfait.

Autrement dit, comme pour les banques de second rang, qui (en France) proposent toutes des comptes à vue en euros, l’unité de compte sera la même pour tous, mais le choix de l’établissement gestionnaire du compte de points sera entièrement libre. La concurrence entre les caisses de retraite se fera sur la qualité du service et le choix des services complémentaires proposés aux clients. La CNBF (caisse du barreau, c’est-à-dire des avocats) gardera probablement une forte proportion de ses adhérents, mais si maître Anne Dupont a un époux particulièrement content de son institution ARRCO-AGIRC, rien ne l’empêchera d’y faire transférer son compte.

Une telle situation est semblable à celle que nous avons vis-à-vis des banques. Grâce à la tête de réseau, la BdF, chacun peut choisir la banque Martin plutôt que la banque Durand, ou vice-versa, car les francs étaient jadis, et les euros sont aujourd’hui, les mêmes partout. Or la France est, en matière de retraites, divisée par l’existence d’une vingtaine de points différents, et d’une vingtaine de systèmes fonctionnant par annuités : c’est ridicule ! Il est possible de passer à un point unique sans perdre la diversité des caisses de retraite. Et pour ce faire, il existe un modèle d’institution fédérant diverses caisses (appelées banques) utilisant le même point (la même unité monétaire) : c’est la banque centrale, donc en France la BdF.

Il n’existe aucune difficulté de principe pour que chacune des quelque 40 institutions de retraite françaises, dotées chacune d’un point ou d’un mode spécifique de calcul des retraites, perdure une fois réalisé le passage au seul point France retraites. Des dizaines ou des milliers de banques « de second rang » sont dotées de la même unité monétaire, par exemple le dollar américain. Simplement, pour effectuer le passage d’une organisation à une autre, comme pour faire l’ascension d’un sommet himalayen que l’on ne connaît pas, mieux vaut avoir recours aux services d’un guide. La tête de cordée alpine a pour homologue la tête de réseau bancaire ; c’est pourquoi je propose de choisir la BdF comme guide pour cette ascension d’une quarantaine d’institutions disparates vers une retraite par répartition unique.

Indépendance de France retraites

Bien entendu, la BdF n’a pas vocation à prendre la tête de l’organisation des retraites par répartition en France. C’est France Retraites, organisme responsable de l’unité dans la diversité pour ce qui concerne la retraite par répartition, qui sera à la manœuvre, avec l’aide de l’institution dont elle s’inspirera. L’important est que France retraites ressemble à une BC comme une fille à sa mère : chef de réseau investi de l’autorité requise, et indépendante vis-à-vis des organisations professionnelles et des pouvoirs publics.

La retraite, comme la monnaie, est trop importante pour être confiée aux hommes politiques et aux partenaires sociaux. Imaginons un instant qu’une question monétaire doive être tranchée par un Parlement où une bande de trublions professionnels peuvent tranquillement déposer 40 000 amendements et bloquer ainsi la procédure législative, après que d’autres trublions professionnels eurent empêché durant des semaines la circulation de transports en commun névralgiques ! La monnaie a été mise à l’abri de ce genre de mésaventures : sa gestion par une institution autonome, à l’abri des tentatives de déstabilisation et de la bêtise que l’on trouve hélas trop souvent chez les hommes appelés à légiférer et à gouverner, est une sécurité indispensable.

Mais comment être raisonnablement sûrs que les dirigeants de France retraites ne commettrons pas d’énormes bêtises ? Il n’existe aucune certitude absolue en ce bas-monde. Nous devons nous contenter de préférer une organisation rendant moins probable des évènements fâcheux à une organisation les rendant plus probables. Or, de fait, la BdF fait moins de sottises que le Parlement et le Gouvernement. Investie d’une mission que le législateur peut difficilement modifier, rattachée à un organisme – la BCE – qui regroupe plusieurs institutions du même type en les faisant participer à une même culture de responsabilité, elle est en position de résister aux tentatives démagogiques, plaie des régimes parlementaires.

Je n’approuve pas forcément toutes les décisions de la BCE – par exemple, je ne suis pas d’accord avec la prolongation d’une politique de taux monétaires extraordinairement bas – mais cela me paraît quand même moins grave que la pagaille complète qui a envahi le champ des retraites dans notre pauvre France. Entre deux maux, choisissons le moindre : un organisme comme France retraites, doté d’une indépendance analogue à celle d’une banque centrale, fera certainement moins de mal que le lamentable vaudeville auquel les Français assistent depuis plus de deux ans en matière de retraites.

1) Des points peuvent aussi être obtenus en contrepartie de services, sans achat en monnaie, particulièrement pour la mise au monde et l’éducation des enfants, sans lesquelles il n’y aurait pas le moindre avenir pour un système de retraite.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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