Retour sur le périple grec et une faillite à péripéties (3/3)

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Par Louis Rouanet Publié le 10 juillet 2017 à 5h00
Grece Faillite Reconstruction Etat Finances
@shutter - © Economie Matin
177,4 %En 2015, la dette de la Grèce représentait 177,4 % de son PIB.

Nous terminons notre périple de la faillite de la Grèce aujourd’hui. Attendez-vous à de nouveaux rebondissements à l’automne.

Hier, nous avons vu la période faste qui a coïncidé avec l’abandon du drachme et la création monétaire en euro. Aujourd’hui nous nous penchons sur les nombreuses faillites ou en jargon « restructurations de dettes » qui ont ensuite émaillé les années suivantes.

L’échec de la restructuration de la dette publique, 2009 – ?

Pourquoi l’économie grecque a-t-elle été incapable de rebondir et s’est enfoncée de manière si dramatique dans la dépression ? Corruption et déficiences financées par le contribuable européen, augmentation des impôts dans une économie déjà minée, incertitude politique peu propice au bon climat des affaires sont les trois coupables. La baisse du niveau de vie des Grecs est la conséquence logique et inévitable de plusieurs décennies de politiques économiques désastreuses. Cette baisse serait survenue quelque soit la politique économique mise en place après la crise. Inutile de blâmer les politiques de réduction de déficit. Quand un Etat est en faillite, il n’y a pas d’alternative entre l’austérité et laisser filer les déficits.

L’austérité n’a pas été pour la Grèce un choix mais une nécessité imposée par une vérité comptable universelle : il est impossible de dépenser plus d’argent que celui dont on dispose. Les politiques d’austérité n’ont pas été imposées par la Troïka (FMI, BCE, UE), elles ont été imposées par la réalité économique du pays. L’économiste keynésien Joseph Stiglitz assure que « la contraction des dépenses publiques a été prévisiblement dévastatrice » pour l’économie grecque – sans mentionner le rôle des augmentations d’impôts pourtant massives. Il oublie que le gouvernement grec, après des décennies d’erreurs, n’a le choix qu’entre « réduire ses dépenses » ou « faire faillite et réduire ses dépenses ». Admettons cependant que, comme le pense Stiglitz, l’analyse keynésienne soit valide.

Admettons aussi la première hypothèse généreuse de l’OFCE selon laquelle le multiplicateur de dépenses publiques grec serait égal à 2,6 – i.e. 1 € de dépense public supplémentaire augmente de 2,6 € le PIB. Le simple maintien à leur niveau de 2009 des dépenses publiques en euro courant, intérêts sur la dette exclus, aurait généré un surplus de dette de plus de 17 Mds€ de 2009 à 2012. Si le multiplicateur de dépense grec était de 1,89 pendant cette période comme avancé par une autre étude, il aurait été nécessaire de financer 27 Mds€ de dette supplémentaire. Cette augmentation de l’offre de la dette par l’Etat grec aurait augmenté le taux d’intérêt sur la dette grecque. On peut supposer qu’elle aurait abouti au défaut pur et simple.

La logique du multiplicateur est fallacieuse. Essayer de s’enrichir en augmentant la consommation, c’est confondre la cause et l’effet de la croissance. Le problème d’une dépression ne vient pas d’une mythique déficience de la demande globale. Les demandes et les offres sont deux faces d’une même pièce. L’offre de biens et de services est réduite quand le prix demandé par les producteurs est supérieur à ce que les consommateurs peuvent s’offrir ou, ce qui revient au même, quand le prix est considéré comme inférieur à ce qui est profitable. C’est seulement quand les prix s’ajustent correctement que les participants sur le marché arrêtent de retenir leur offre et que la crise peut cesser.

Le gouvernement grec a pris des mesures trop timides et trop tardives. Les politiques d’allègement des règlementations n’ont réellement commencé qu’après 2012 – après les plus gros déclins du PIB grec. Jusqu’en 2010, le nombre de procédures pour immatriculer une entreprise était de 15. Il a fallu attendre 2013 pour que ce nombre soit réduit à 5. Jusqu’en 2012, les coûts administratifs liés à la création d’une entreprise étaient toujours supérieurs à 20% du revenu moyen par habitant avant de diminuer pour atteindre finalement autour de 2% en 2014. Ce montant reste par ailleurs supérieur à celui de la France. Jusqu’en 2013, le coût lié aux procédures d’enregistrement d’une propriété représentait plus de 11% de la valeur de la propriété en question.

Le coût d’application des contrats reste le plus élevé des pays de l’OCDE. En 2016, la Grèce était classée parmi les pires pays (133ème) par Doing Business concernant l’exécution des contrats et était classée 141ème concernant le transfert de propriété. En 2014, une procédure de dépôt de bilan prenait plus de trois ans. Dans le secteur du tourisme, considéré souvent comme la locomotive de l’économie grecque, les entreprises doivent soumettre et/ou faire approuver leurs prix par le ministère du Tourisme ou par des associations d’acteurs. Ceci crée une rigidité artificielle des prix qui ne sont pas déterminés par l’offre et la demande. La baisse de la demande globale en Grèce n’est pas la cause mais le symptôme d’une mauvaise coordination des différentes activités économiques.

Certes, il est incontestable que la valeur réelle des dépenses publiques a été réduite par 28% entre 2009 et 2016. Toutefois, le programme de privatisation n’a pas été mené à bien. Le gouvernement grec s’était engagé à privatiser pour un montant de 50 Mds€ en 2010, mais seulement 3 Mds€ d’actifs de l’Etat ont été vendus entre 2010 et 2015, soit 6% du montant envisagé. En 2014, cinq ans après le début de la crise, le FMI déclarait que l’Etat grec était propriétaire de 70 000 propriétés immobilières non utilisées !

L’effet le plus négatif vient certainement de l’augmentation massive des impôts. Juste après son élection en octobre 2009, prenant conscience que les statistiques budgétaires avaient été maquillées pendant des années, Georges Papandreou augmenta les impôts. Par la suite, le 14 janvier 2010, alors que la situation s’aggravait, le gouvernement grec annonça un plan de réduction des déficits de l’ordre de 10,6 Mds€ consistant pour les deux tiers d’augmentations d’impôt. Les travailleurs, entrepreneurs et investisseurs anticipaient désormais une augmentation drastique de la pression fiscale. Ceci alimenta la dépression sans augmenter les recettes fiscales en raison de l’ampleur de la fraude et de l’exil fiscal. L’ampleur du choc fiscal fut gigantesque.

La TVA passa de 13,2% à 17% entre 2009 et 2015. L’impôt sur les sociétés passa de 46,7% à 50,7% sur la même période. Les impôts sur la propriété foncière augmentèrent au point que les Grecs font désormais la queue pour renoncer à leur héritage ! En 2013, 29 200 personnes renoncèrent à l’héritage qui leur était légué, en 2015, ils étaient 45 627. En 2008, 90 718 parents avaient légué leur propriété à leurs enfants, en 2014 ils n’étaient plus que 23 221. Les entrepreneurs anticipaient des coûts grandissants à cause des impôts dans un contexte déjà incertain. Nombre d’entreprises firent faillite. Les impôts fonciers firent sombrer l’immobilier et la construction. L’austérité fiscale fut une coupable incontestable dans la violence de la dépression grecque.

Les politiques menées en Grèce ne méritent pas le qualificatif de « libérales ». Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des finances du gouvernement SYRIZA, l’a lui-même admis :

« Les gens de gauche ont fait une très grosse erreur en disant : ‘les politiques de l’Eurozone sont néolibérales !’ Non, elles ne le sont pas ! Elles ne sont d’ailleurs même pas libérales. Permettez-moi de vous donner des exemples. Un néolibéral aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne serait en faveur d’une réduction des taxes. Alors que les Etats-Unis réduisent les taux d’imposition, j’ai été contraint de les augmenter de 20%. Il est évident pour n’importe quel néolibéral sérieux que cela n’est pas du tout la solution dans un pays qui rencontre des problèmes économiques et où personne ne paie ses impôts ! Vous souvenez-vous de la courbe de Laffer? Sans dire que je suis d’accord avec Laffer, l’idée est la suivante : si vous voulez plus d’impôts, vous devez réduire le taux d’imposition. Ce n’est pas ce qu’ils font en Europe, mais le contraire même ! Un autre exemple : qu’est-ce qu’un authentique libertarien ferait avec une dette impossible à rembourser ? Il dirait : ‘défaut de paiement.’ Faillite, faillite, faillite : faillite des banques, faillite pour les travailleurs, faillite pour tous ceux qui ne peuvent pas payer ! Que dit-on en Europe ? Une dette grecque non remboursable ? Donnez-leur-en plus ! Et augmentez tous les impôts pour donner à une dette non remboursable plus d’argent, plus de prêts. C’est un système féodal dont le but est de s’étendre et d’élargir son pouvoir de domination. »

Les plans de sauvetage européens, en plus d’alimenter l’aléa-moral, ont ralenti les réformes et ont donné un bouc émissaire aux élites grecques pour justifier leurs propres manquements. Inutile de blâmer le système de libre-entreprise et de concurrence pour la crise grecque dont l’origine vient de la constante violation de ce dernier.

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Louis Rouanet est diplômé de Sciences Po et étudiant doctorant à George Mason University aux Etats-Unis. Il est également PhD Fellow et F.A. Hayek Fellow au Mercatus Center. Il écrit régulièrement pour le Ludwig von Mises Institute aux Etats-Unis. Ses intérêts portent principalement sur la politique monétaire.

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