Au lendemain de l'élection présidentielle américaine et au moment où nous rédigeons ces lignes, le nom du prochain président n'est toujours pas connu. Le décompte des voix se poursuit et le système politique américain se trouve confronté à un résultat très controversé, avec des jours, voire des semaines, de contestations judiciaires possibles pour déterminer qui siégera à la Maison Blanche à partir du 20 janvier 2021.
Un certain nombre de résultats d'États-clés n'ayant pas été déclarés, le président sortant Donald Trump a affirmé que le résultat était « une fraude à l'égard du public américain », et dit à ses partisans que « nous nous préparions à gagner cette élection, franchement nous avons gagné cette élection ». Il a promis de porter le décompte des voix devant la Cour suprême, ajoutant : « Nous voulons que tous les votes cessent ». L'équipe de son rival, le candidat démocrate Joe Biden, a rétorqué que l'appel à « cesser le comptage des bulletins de vote dûment déposés était scandaleux, sans précédent et incorrect ».
D'une certaine manière, avec le scrutin du 3 novembre s'est achevée la première partie du processus électoral américain. Aujourd'hui, une deuxième étape commence, judiciaire celle-là, car le vainqueur ne dépend pas du nombre de votes exprimés, mais de l'attribution des sièges au sein du collège électoral.
Les sondages préélectoraux se sont révélés inexacts et la victoire démocrate prévue à la présidence, à la Chambre des représentants et au Sénat ne s'est pas concrétisée. Au moment de sa publication, le résultat à la Maison Blanche dépendra des décomptes des derniers États à les communiquer, en particulier le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie. En attendant, il semble probable que le Congrès restera divisé, ce qui compliquera la capacité de la future administration à adopter des lois et à tenir ses promesses de campagne. En particulier, il sera plus difficile d'adopter un plan de relance pandémique.
La pandémie de Covid-19 a accru l'importance du vote par correspondance. Cependant, le volume des votes anticipés et les différentes façons dont ils sont décomptés d'un État à l'autre signifient qu'il est possible d'inverser n'importe quel résultat ou résultat estimé basé uniquement sur le vote en personne. Pour l'instant, seul l'Arizona a changé de mains en faveur des démocrates, par rapport à l'élection de 2016.
Dans les mois qui ont précédé l'élection, le président Trump a tenté d'instiller le doute sur la crédibilité du vote. Il a constamment laissé entendre que le système électoral américain était susceptible de fraude et s'est employé à dissuader le vote par correspondance et à réduire les fonds alloués aux services postaux américains. Le 27 octobre, M. Trump a tweeté : « Gros problèmes et divergences avec les bulletins de vote par correspondance dans l'ensemble des États-Unis. Le total définitif doit être connu le 3 novembre ». Twitter a signalé ce message comme potentiellement trompeur et a ajouté un lien décrivant comment « le vote par correspondance était légal et sûr, ainsi que le confirment les experts et les données ».
Des semaines, et non des jours
Le système électoral américain est complexe car chaque État possède ses propres règles et délais pour le décompte des voix. Dans certains États, les bulletins de vote timbrés comptent s'ils arrivent après la date des élections, même si les délais sont différents dans chaque cas. Il s'agit notamment d'États comme le Mississippi, le Kentucky, le Dakota du Nord et la Virginie occidentale, qui tous votent traditionnellement pour les républicains. D'autres, y compris des États démocrates solides comme le Vermont et l'Oregon, refusent les bulletins de vote distribués par la poste après la date des élections. Dans 32 États au moins, le dépouillement des bulletins de vote envoyés par la poste a commencé avant l'élection. La semaine dernière, on estimait que 101 millions de votes avaient déjà été exprimés; au moment où nous écrivons ces lignes, le taux de participation est le plus élevé depuis plus d'un siècle.
Il existe bien sûr des exemples récents de comptages d'élections présidentielles qui prennent du temps. En 2000, il a fallu trois semaines à la Floride pour déterminer que George W. Bush avait battu Al Gore. En 2004, un résultat n'a été formellement décidé qu'au lendemain de l'élection. En 2020, la loi de l'État de Floride stipule qu'un électeur qui poste un bulletin de vote rejeté, parce qu'il manque une signature par exemple, doit pouvoir revoter.
Délais
Malgré les affirmations de M. Trump selon lesquelles le vote devrait être terminé dans les heures suivant la clôture des votes, la loi fédérale prévoit une date limite légale au 8 décembre pour régler toutes les controverses avant de certifier le processus de dépouillement au niveau de l'État.
Le 14 décembre, le collège électoral doit se réunir dans les capitales des États pour ratifier le décompte de chaque État. Le système électoral américain veut que les électeurs votent pour un « grand électeur » représentant le parti de l'un ou l'autre candidat. Ces 538 grands électeurs votent ensuite pour le président au nom des électeurs de leur État, chaque État déclarant tous ses sièges pour le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de voix - à l'exception du Maine et du Nebraska.
Le candidat qui obtient la majorité de plus de 270 sièges gagne la présidence. C'est ainsi qu'il a été possible à M. Trump de remporter, en 2016, les 29 sièges de la Floride avec une majorité de 2,2% seulement des voix de cet État. Au niveau national, il a remporté 304 sièges avec 2,87 millions de voix de moins que sa rivale Hilary Clinton. Pour la même raison, la victoire en 2000 de M. Bush, par 537 voix, a suffi pour lui donner les sièges de la Floride et la majorité au collège électoral, bien qu'il ait perdu le vote populaire où il lui manquait 544 000 voix à l'échelle nationale.
Selon le cours normal des choses, le Congrès ratifiera l'élection du prochain président américain lors de sa première réunion le 6 janvier 2021, et le président élu prêtera serment deux semaines plus tard.
L'héritage de Donald Trump
En décembre 2017, M. Trump a ratifié d'importantes modifications du Code fiscal américain, réduisant le taux d'imposition des sociétés de 35% à 21%, ce qui a soutenu les marchés actions en augmentant les bénéfices des entreprises et en encourageant une série de rachats d'actions. Quel que soit le candidat qui siégera à la Maison-Blanche l'année prochaine, il devra stopper la propagation de la pandémie dans le pays puis relancer une économie qui, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), devrait se contracter de 3,8% sur l'ensemble de l'année 2020 par rapport à 2019. Suite à l'arrivée du Covid-19, le taux de chômage américain a atteint 14,7% en avril, en données corrigées des variations saisonnières. En septembre, ce taux était retombé à 7,9%, soit plus du double de son niveau de 2019.
Quel que soit le résultat du décompte final, l'influence de M. Trump se fera encore sentir dans certains domaines pendant des décennies. Le président a ainsi profité de son mandat pour modifier l'équilibre de la Cour suprême en nommant trois juges conservateurs au sein de cet organe qui compte neuf membres. La Cour, dont les juges siègent à vie, est la plus haute instance judiciaire des États-Unis et a le dernier mot sur toutes les questions fédérales et étatiques qui affectent le droit fédéral. Son premier test, avec la dernière nomination effectuée par M. Trump, celle de la juge Amy Coney Barrett, portera sur une contestation de « l'Affordable Care Act » mis en place par l'administration Obama. Le verdict pourrait priver d'assurance maladie quelque 20 millions d'Américains. Plus immédiatement encore, ainsi que l'a signalé M. Trump, la Cour pourrait être appelée à se prononcer sur les décomptes de votes contestés.
Sans oublier les changements que M. Trump a apportés au rôle international des États-Unis et qui pourraient durer plus longtemps. Son administration a affaibli la position multilatérale des États-Unis en engageant une bataille commerciale avec la Chine, en promettant de réduire le déficit commercial américain en imposant des droits de douane sur les importations, en critiquant l'Organisation mondiale du commerce puis en paralysant sa capacité à statuer en cas de litiges. Sous une administration démocrate, les relations commerciales avec la Chine pourraient s'apaiser, éliminant la menace d'une guerre commerciale totale. Toutefois, certaines tensions avec la Chine pourraient persister du fait qu'au cœur du problème résident le leadership géopolitique et la position des États-Unis en tant que principal moteur de la croissance mondiale.
En outre, M. Trump a retiré les États-Unis de l'accord de Paris sur le climat, qui engageait les États-Unis et le reste du monde à limiter le réchauffement climatique sous les 2 degrés centigrades. Cet engagement expire aujourd'hui (4 novembre).
Enfin, l'on ne peut ignorer les tensions sociales liées au racisme et aux inégalités qui ont caractérisé la présidence Trump. Après quatre ans de discours incendiaires, l'infrastructure sociale et les normes démocratiques américaines ont subi une énorme pression. La stabilité et le système politique du pays pourraient donc être mis à l'épreuve dans les jours à venir.
Positionnement des portefeuilles
Nous nous attendons à un regain de volatilité sur les marchés financiers aussi longtemps que l'issue du scrutin demeurera incertaine. Le rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans a enregistré sa plus forte baisse quotidienne depuis avril, s'échangeant à 0,76%, les marchés réagissant à la probabilité d'un Congrès divisé et au recul des chances de voir l'adoption d'un plan de relance massif. Les taux devraient rester bas car la Réserve fédérale maintiendra sa politique accommodante dans l'attente d'une reprise économique plus vigoureuse. Le dollar s'est initialement apprécié par rapport à l'euro, au yen, au franc suisse et à d'autres devises, les investisseurs cherchant un refuge contre la volatilité. Si M. Biden finit par remporter les élections, le dollar devrait retrouver une trajectoire légèrement plus négative, à mesure que les perspectives en matière de relations internationales et de commerce s'amélioreront.
Les portefeuilles de nos clients sont bien positionnés pour faire face à cette période d'incertitude, avec une surpondération des liquidités et une sous-pondération des actions. Pour l'instant, nous détenons également une allocation surpondérée de la dette chinoise et maintenons nos positions courtes sur le dollar.
Si, comme cela semble probable, le Congrès se prononce pour un soutien fiscal moins généreux ou plus lent à se concrétiser, certaines entreprises américaines lourdement endettées pourraient éprouver des difficultés à se refinancer. C'est pourquoi nous vendons notre surpondération du crédit américain à haut rendement et conservons le produit de cette vente en cash.
En attendant la confirmation du nouveau président américain, l'environnement de marché favorisera les secteurs défensifs tels que les biens de consommation de base, les services de communication, ainsi que le secteur des technologies de l'information qui a surperformé durant la crise de Covid. Nous pensons cependant que la volatilité restera de courte durée, ce qui devrait créer de meilleurs points d'entrée pour repositionner nos portefeuilles.
Avec nos positions actuelles sur la devise japonaise, l'or et les bons du Trésor américain, les portefeuilles de nos clients sont équilibrés et bien positionnés pour résister à cette période incertaine.