Reste à charge zéro: la stratégie réformiste de la FNMF sera-t-elle payante ?

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Par Eric Verhaeghe Publié le 22 décembre 2017 à 9h59
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cc/pixabay - © Economie Matin
4%La Sécurité sociale ne rembourse que 4% des dépenses d'optique

Le reste à charge zéro est la seule grande promesse d’Emmanuel Macron en matière de santé. Les grandes mutuelles françaises, réunies au sein de la FNMF, se mobilisent pour en négocier l’application avec Agnès Buzyn. Fidèles à leur tradition, elles proposent des aménagements qui visent à limiter les dégâts pour leur chiffre d’affaires. Cette stratégie est-elle la bonne?

Le candidat Macron avait promis la gratuité pour les lunettes et les dents. La ministre Buzyn, qui est tout sauf une spécialiste de l’économie de la santé, est chargée de mettre à musique cette promesse. Sans surprise, la FNMF, qui assure cahin-caha la moitié des dépenses en complémentaire santé, s’organise pour influencer la décision finale.

La fédération annonce une proposition globale au gouvernement pour son congrès de juin 2018. D’ici là, elle travaille d’arrache-pied, en définissant sa stratégie: négocier pied à pied avec le gouvernement les conditions de mises en oeuvre de la réforme. Cette stratégie réformiste est conforme à une tradition bien ancrée chez les mutualistes.

La FNMF et le réformisme

Les mauvaises langues replaceront le réformisme de la FNMF dans une tradition historique soigneusement occultée dans les repas de famille. Elle remonte en effet aux heures les plus sombres de notre histoire, comme on dit dans certains milieux.

Dans les années 30, la FNMF disposait d’une sorte de monopole sur l’assurance santé. Lorsque Vichy a imaginé la mise en place d’une assurance santé obligatoire et universelle, la FNMF a livré bataille pour contre-carrer ce projet.

À la Libération, cet activisme est devenu une sérieuse épine dans le pied mutualiste. La décision, prise par le GPRF, de mettre en place un régime universel d’assurance-maladie fut d’autant plus facile à prendre que la FNMF n’était plus en situation politique de s’y opposer.

Depuis 1945, donc, la FNMF a pris l’habitude raisonnable d’accompagner les gouvernements successifs dans la mise en place des réformes, en pariant sur le bénéfice qu’elle pourrait en retirer. D’où l’ambiguïté réelle de cette fédération qui exerce le même métier que la sécurité sociale, mais se fait volontiers l’avocate de ce grand concurrent.

Le poison du reste à charge zéro pour les mutuelles

La FNMF aborde la question du reste à charge zéro avec un salutaire rappel économique: ce sont bien les organismes complémentaires qui assurent le plus gros des dépenses en matière d’optique et de prothèses dentaires, les deux postes les plus problématiques pour les Français. S’agissant de l’optique, la participation de la sécurité sociale se limite à 4% des frais globaux.

La promesse d’Emmanuel Macron est donc par essence léonine, puisqu’elle consiste à promettre que des acteurs privés garantiront la gratuité des soins qu’ils remboursent aujourd’hui. Dans un contexte où le régime général n’a pas un fifrelin à mettre dans l’opération, on voit tout de suite le danger poindre à l’horizon: les mutuelles vont devoir payer.

Avec une intelligence tactique impressionnante, le gouvernement a par ailleurs profité du débat en loi de financement pour épingler les prétendus frais de gestion exorbitants des mutuelles. Dans la pratique, tout ceci ressemble à une volonté de mettre sous contrôle les organismes complémentaires de santé par une réglementation contraignante.

Comme toujours en pareille situation, les professions doivent s’interroger sur l’attitude à adopter: soit courber l’échine en attendant que ça passe et en espérant obtenir le meilleur accord par une attitude conciliante, soit montrer les dents et construire un rapport de force pour limiter les ambitions adverses.

Touchez ma bosse, Monseigneur!

Fidèle à sa tradition, donc, la FNMF fait le choix du premier scénario. Elle propose les premières pistes pour adoucir les ambitions gouvernementales: créer un panier de soins qui serait gratuit en matière d’optique, de prothèses auditives et de prothèses dentaires. Tous les assureurs santé seraient obligés de proposer cette offre, qui serait la seule à bénéficier des avantages fiscaux du contrat responsable.

En échange, la FNMF veut obtenir la préservation de son champ de liberté. Les assurés conserveraient le libre choix de leur assureur, et la possibilité de souscrire des contrats plus favorables, mais sans avantages fiscaux. La FNMF espère même obtenir en plus, pour préserver ses marges de rentabilité, une baisse de la fiscalité actuelle sur les assureurs santé.

Bref, la FNMF propose que tous les constructeurs automobiles produisent des Lada, à condition de pouvoir continuer à fabriquer leurs propres modèles, y compris de grand luxe. Les esprits persifleurs que nous sommes ironiseront amicalement en résumant cette stratégie à celle du vieil infirme qui se couche devant les puissants et cherche à les amadouer en leur gémissant: « Touchez ma bosse, Monseigneur, elle vous portera chance ».

Les portes que la FNMF renonce à ouvrir

Ce faisant, la FNMF renonce à ouvrir tous les débats salutaires dont l’intérêt général a besoin pour sauver durablement un système de santé à bout de souffle.

Le premier débat est celui de la gratuité des « soins ». Qu’un malade du cancer ou du coeur ait besoin de soins gratuits ne fait de doute pour personne. Aucun assuré ne renonce à se prémunir contre le cancer sous prétexte que son traitement est gratuit.

Pour les prothèses dentaires ou les frais d’optique, la logique est très différente. Tout humain normalement constituer sait que la baisse de l’acuité visuelle ou la chute des dents est un risque certain. Considérer que l’achat de lunettes fasse partie des soins médicaux est éminemment contestable. La gratuité dans ce domaine l’est tout autant.

Or la sécurité sociale organise exactement l’inverse: elle ne rembourse pas un certain nombre de médicaments vitaux sur les maladies graves (c’est le cas bien connu de l’immunothérapie), mais elle se préoccupe de rembourser intégralement des prestations dont tout assuré prévoyant devrait préparer l’achat (les lunettes).

D’où le débat que la FNMF évacue malheureusement: le remboursement des lunettes et des prothèses dentaires au premier euro par les complémentaires santé. Dans la mesure où la sécurité sociale ne rembourse que 4% des lunettes en moyenne, on voit mal pourquoi elle ne confie pas complètement cette garantie, qui ne relève pas vraiment de la santé, aux organismes complémentaires.

La FNMF déploie-t-elle une stratégie gagnante?

On comprend pourquoi la FNMF occulte ces débats. Dans l’entre-soi de l’élite française, ouvrir certaines boîtes de Pandore peut être contre-productif. Digne héritière de l’aristocratie de Louis XVI qui conduisit le pays à sa perte, la technostructure républicaine aime bien la médiocrité arrogante de ses certitudes et range volontiers dans la case « dissidence » toute idée utile qui la fait sortir de sa zone de confort. Ce processus explique pourquoi aucune réforme de structure n’est pratiquée en France depuis 30 ans.

En reprenant le débat du remboursement au premier euro, la FNMF prendrait le risque de heurter ses interlocuteurs et de ne pas obtenir les avantages fiscaux qu’elle espère. Le calcul implicite est ici de négocier la taille des chaînes plutôt que de contester l’esclavage.

Certains comprendront ce pari.

De notre point de vue, il pose deux problèmes.

Le premier est que, ce faisant, la FNMF donne son consentement à l’écriture de règles qui l’étouffent progressivement. Le jour où une majorité de ses adhérents se trouvera en situation d’insuffisance respiratoire létale, le gouvernement ne manquera pas de rappeler qu’il s’est contenté de reprendre les propositions de la fédération elle-même.

Le second tient à l’intérêt général du pays. Certes, on peut maintenir l’illusion populiste et électoraliste qu’une assurance sociale inventée pour couvrir le risque santé est en fait un outil de solidarité et de redistribution qui paie à guichets ouverts le moindre bobo. Mais ce n’est rendre service à personne que de pervertir le sens des choses et de renoncer à dire que le roi est nu.

La conséquence de ces renoncements est bien connue: l’assurance maladie sera de plus en plus chère et les vrais soins (ceux qui sauvent des vies) seront de moins en moins bien pris en charge, jusqu’à ce que l’ensemble ne soit plus soutenable. Mais il est vrai que jouer les Cassandre n’a jamais permis d’être invité dans les dîners des puissants.

Pour le président de la Mutualité Française, Thierry Beaudet, « le projet de réforme sur le reste à charge zéro est une opportunité de faire progresser l’ambition, qui a toujours été celle des mutuelles, d’un accès aux soins garanti partout et pour tous ». « Cette ambition est réalisable à condition de mobiliser l’ensemble des acteurs et d’agir à la fois sur les remboursements mais aussi sur les tarifs des dispositifs médicaux », précise Thierry Beaudet.

La Mutualité Française est d’autant plus légitime dans ce débat que la Sécurité sociale ne rembourse que 4% des dépenses d’optique, 14% des dépenses d’audioprothèse et 20% des prothèses dentaires. Dans ces trois domaines, les complémentaires santé prennent en charge respectivement 72%, 29% et 45% des frais.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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