Relèvement des âges légaux de la retraite : les vraies questions

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Par Jacques Bichot Publié le 10 janvier 2017 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
60 ansL'Insee a annoncé qu'il y avait désormais moins de retraités de 60 ans que d'actifs du même âge.

L’INSEE et la DREES viennent de publier chacun une étude relative aux effets de la loi retraites 2010, dite loi Woerth, portant plus précisément sur sa mesure phare, le relèvement progressif des deux âges de la retraite, de 60 à 62 ans et de 65 à 67 ans.

Comme on pouvait s’y attendre, l’INSEE annonce qu’il y a moins de personnes de 60 ans à la retraite, et davantage au travail ou au chômage. La DREES, quant à elle, fait dans la prospective sociale : les personnes nées en 1980 (qui auront 37 ans cette année) seront plus affectées par la mesure si elles sont en difficulté sur le marché du travail que si elles ont un emploi stable et sûr ; elles seront proportionnellement plus nombreuses à devoir attendre 67 ans pour liquider leur pension à taux plein.

Ces observations et prévisions montrent que les modifications inéluctables de notre système de retraites par répartition doivent être accompagnées par des dispositions propres à booster l’employabilité des seniors, à commencer par une amélioration de notre formation initiale et continue. La Suède, pays où la proportion des travailleurs de 70 ans est particulièrement élevée, dispose d’un système scolaire plus performant que notre Éducation nationale, et d’institutions permettant plus facilement d’acquérir de nouvelles qualifications quand les anciennes deviennent obsolètes.

Il serait donc très injuste d’incriminer les adaptations inéluctables de notre système de retraites : le problème tient beaucoup plus à l’inadaptation de la formation professionnelle, initiale et continue, à la mauvaise organisation de notre marché du travail, et au caractère brouillon de la politique économique française.

La croissance de la longévité et l’accélération du rythme des innovations techniques se combinent pour constituer un changement économique et social de très grande ampleur. Les enfants nés en 2017 auront probablement une cinquantaine d’années à passer au travail, et ce travail ne sera pas le même quand ils commenceront leur vie professionnelle, à 20 ans ou 25 ans, et quand ils aborderont sa dernière étape, celle qui s’étendra de 60 ans à 70 ou 75 ans. C’est à cela qu’il faut nous préparer.

Nous ne le ferons pas tant qu’il faudra un ministre – et même 4 dans le cas de la loi Woerth, car 3 autres occupants éphémères de la rue de Grenelle (Xavier Bertrand, Brice Hortefeux et Xavier Darcos) ont travaillé à la préparation de cette loi – plus le Parlement, pour prendre une mesure de gestion courante en matière de retraites. En effet, le double âge légal de la retraite est un simple paramètre de commande, comme la durée d’assurance requise pour avoir droit au taux plein au premier âge légal : le maniement de ces curseurs devrait relever de la direction d’une agence chargée des retraites par répartition, disons France retraites, comme la modification de la valeur de service du point ou de son prix d’achat, dans des régimes tels que l’Arrco et l’Agirc, relève des partenaires sociaux, gestionnaires de ces retraites complémentaires, et non du Parlement.

La politisation de ces mesures de simple gestion est catastrophique. Elle corrobore l’idée fausse mais très répandue selon laquelle la sécurité sociale doit être gérée par l’État. Et surtout, elle distrait les hommes politiques de ce qui est leur rôle fondamental : mettre en place des institutions et en réformer certaines. Mais, dira-t-on, le relèvement des âges de la retraite était pourtant bien une réforme ? Que nenni ! Ce fut un acte de gestion paramétrique, qui n’a en rien modifié la forme de notre système de retraites. Galvauder le mot « réforme » au lieu de l’employer dans son sens usuel, à savoir « changement dans la forme d’une institution », pour reprendre la définition qu’en donne le Robert, engendre la confusion dans les esprits et dans la répartition des rôles.

En matière de retraites par répartition, qu’est-ce qui constituerait une réforme relevant du législateur ? Le passage des annuités aux points serait une réforme du régime général, et du régime des fonctionnaires ; la fusion des trois douzaines de régimes différents, l’adoption d’un principe de neutralité actuarielle, l’attribution des droits à pension au prorata des investissements réalisés dans la jeunesse, seraient des réformes, dignes d’être votées par le Parlement. C’est pour de tels changements, de nature structurelle, que la loi est nécessaire. En revanche la manipulation des paramètres, pour s’adapter aux changements démographiques et économiques, est le rôle d’une équipe de direction conseillée par des actuaires.

Tant que les hommes politiques s’attacheront à des questions qui ne sont pas de leur ressort, ils négligeront ce qui est véritablement de leur responsabilité : agir sur les institutions, sur les structures. L’expression « réforme structurelle » comporte un pléonasme ; l’expression « réforme paramétrique » est contradictoire dans les termes. La France végète parce que le législateur fait – mal – le travail qui devrait incomber à de simples gestionnaires, et délaisse la responsabilité qui est fondamentalement la sienne : doter la France d’institutions, et notamment d’un système de sécurité sociale, de bonne qualité.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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