Brésil: l’encombrant ami chinois

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Par Christopher Dembik Publié le 2 juillet 2014 à 2h31

A maints égards, les liens tissés entre la Chine et le Brésil ressemblent plus à une relation Nord - Sud que Sud - Sud.

A l'engouement de l'intensification des échanges commerciaux au début des années 90 succèdent des frustrations partagées des deux côtés.

La Chine et le Brésil ne peuvent pas faire l'un sans l'autre et n'ont d'autre choix que d'ajuster leur relation.

La réduction depuis le milieu des années 80 de l'influence américaine en Amérique latine a ouvert de nouvelles perspectives à de nombreux pays, y compris la Chine. En l'espace de deux décennies, elle s'est imposée comme le partenaire incontournable du Brésil, du Venezuela ou encore de l'Equateur. Avec, à chaque fois, des déconvenues notables des deux côtés.

Un ami incontournable

Datant de plus de 50 ans, les liens entre la Chine et le Brésil n'ont débouché sur une intensification des échanges commerciaux qu'au début des années 90 lorsque les idéologies des deux pays ont commencé à converger.

L'ouverture progressive de la Chine à l'économie de marché s'est notamment traduite par une hausse du commerce avec le Brésil et même un boom à partir de 2004 suite à la visite du président Hu Jintao. Une seule donnée suffit à comprendre l'ampleur du phénomène : de 2003 à 2009, les échanges ont été multipliés par six. La Chine est devenue ainsi le premier partenaire commercial du Brésil, devant les partenaires historiques que sont les Etats-Unis et l'Argentine.

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Délaissé par Washington, l’ancien pré-carré qu’était l’Amérique latine est devenu la nouvelle terre de mission de Pékin. Sans surprise, en raison de ses significatives réserves pétrolières et de ses millions d’hectares de terres fertiles à haute productivité, le Brésil a été une cible de choix pour l’ogre chinois qui cherche à réduire sa dépendance au maximum en diversifiant ses sources d’approvisionnement.

Ainsi, ce sont près de 13 milliards de dollars d’IDE chinois par an qui sont déversés au Brésil, à 92% par des entreprises contrôlées par l’Etat chinois, et en direction massivement du secteur des matières premières.

Des malentendus qui alimentent les frustrations

L’amorce d’une intensification des relations commerciales à partir des années 90 a été saluée des deux côtés. La Chine espérait ainsi s’implanter durablement au Brésil et se projeter dans les pays limitrophes afin de trouver les ressources nécessaires pour alimenter une croissance proche des deux chiffres tandis que le Brésil escomptait que les investissements chinois servent à réduire la pauvreté et à améliorer les infrastructures, l’un des principaux points noirs du pays qui limite toujours ses perspectives de développement.

Bien mal leur en a pris. La relation entre la Chine et le Brésil repose sur de nombreux malentendus qui ont, inévitablement, alimenté les frustrations. La Chine n’a jamais vraiment réussi à comprendre la manière de faire brésilienne, le fameux jeitinho brasileiro, et a été rapidement échaudée par le ralentissement de la croissance brésilienne. Le BRIC certainement le plus prometteur il y a encore quelques années s’est révélé être un pays qu’on peine à appréhender complètement.

Du côté brésilien, la désillusion est encore plus grande. Le pari chinois n’a pas fondamentalement changé la structure des flux commerciaux et n’a pas permis de générer les milliards nécessaires pour de nouvelles infrastructures. Aucun cercle vertueux économique n’a résulté des investissements chinois qui sont concentrés dans l’exploitation des matières premières, avec de faibles retours pour le pays. Au contraire, des effets pervers sont apparus.

Le plus sensible est certainement la «désindustrialisation précoce» du pays, c’est-à-dire l’essor, en grande partie à cause de la Chine, de la demande en matières premières ce qui a conduit les investisseurs, dans leur ensemble, à se détourner des produits manufacturés. Résultat: la participation du secteur industriel dans le PIB est tombée proche de ses niveaux du milieu des années 50, avant le processus de modernisation entamé par le président Juscelino Kubitschek. Afin de mettre un arrêt à l’hémorragie, le gouvernement brésilien a été contraint de prendre des mesures protectionnistes, notamment pour limiter l’acquisition de terres par les compagnies étrangères.

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Mais, l’intérêt économique chinois pour le pays s’est aussi traduit par l’accentuation des flux migratoires en provenance de l’Empire du Milieu puisque, comme à leur habitude, les entreprises chinoises implantées au Brésil ont préféré faire venir leur main d’oeuvre de Chine plutôt que de recourir à la main d’oeuvre locale, hors cas des quotas obligatoires prévus par la législation brésilienne. Ce qui, dans des zones comme Sao Paulo qui concentre plus de la moitié des immigrants chinois du pays, conduit à de fortes tensions sociales.

De fait, à maints égards, les liens tissés entre la Chine et le Brésil reflètent peu d’aspects positifs et ressemblent plus à une relation Nord - Sud qu’à une coopération Sud - Sud.

Une relation à reconstruire

Toutefois, au regard des volumes importants des échanges, la Chine et le Brésil ne peuvent pas faire l’un sans l’autre. S’il fallait désigner le partenaire le
plus dépendant, ce serait sans l’ombre d’un doute le Brésil. Mais on aurait tort de croire que la Chine va pouvoir se passer dans les années à venir du grenier agricole brésilien ou sera en mesure de tirer un trait sur le minerai de fer et les gisements de pétrole en profondeur du géant sud-américain. Le pays est bien trop important dans la stratégie économique chinoise. La relation est donc à repenser.

Ce ne sera pas facile. Historiquement, le Brésil a toujours entretenu des échanges déséquilibrés avec ses principaux partenaires. Sa volonté de s’émanciper de l’influence des Etats-Unis a conduit à une nouvelle dépendance avec la Chine, ce qui relève surtout un problème de modèle économique qui n’a jamais été complètement résolu, y compris pendant le miracle économique des années 60 -70. Il est fort peu probable, qu’en dépit de l’urgence, Dilma Rousseff s’attaque à cet épineux défi.

De son côté, la Chine tente péniblement de ne plus voir uniquement dans le Brésil un pays où s’approvisionner mais aussi essaie de prendre en considération les opportunités que peut offrir le marché intérieur brésilien et sa classe moyenne représentant plus de 50% de la population.

Le chemin sera toutefois long avant un rééquilibrage réel et il y a fort à parier qu’après les Etats-Unis et la Chine, un autre géant viendra prendre le relais tant l’hypothèse d’une refonte durable du modèle de croissance brésilien à moyen terme semble improbable.

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Christopher Dembik est économiste chez SaxoBank.

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