Circulaire 154 : un début dans la relance du Liban ?

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Par Aymeri Gallais Publié le 8 avril 2021 à 5h20
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170%La dette du Liban atteint 170% du PIB.

A l’initiative de la Banque du Liban (BdL), la circulaire 154 datant d’août 2020, a pour but de restructurer le secteur financier libanais et redémarrer le circuit monétaire national, aujourd’hui au point mort : une initiative critiquée par les tenants du statu quo.

La Circulaire 154 n’est pas nouvelle dans son principe, elle correspond aux demandes de la circulaire 532, datant de novembre 2019 qui demandait elle aussi aux banques de renforcer leur capital de 20% afin de revenir aux niveaux enregistrés avant 2018. Dans cette optique, la circulaire 154 demande notamment aux banques de retransférer les actifs de leurs déposants au Liban à hauteur des 15% des transferts de plus de 500k USD.

Il s’agit ici de renflouer les banques fortement affaiblies par les transferts massifs de devises à l’étranger induisant une pénurie de liquidité dans le pays. Par ruissellement, les dispositions de la circulaire doivent permettre de mettre en œuvre une politique de transparence afin de lutter contre la corruption tentaculaire du pays.

Débloquer le circuit monétaire national

La BdL démontre clairement sa conscience précoce de la limite des ingénieries financières mises en œuvre à partir de 2016. En effet, l’insolvabilité des banques du fait de la valeur de leurs actifs fortement inférieurs à leur engagements envers leurs déposants est une des causes de la crise libanaise depuis 2019 : cela via la fermeture des banques et les difficultés de retrait. Combinée à la forte dollarisation de l’économie, cette situation a progressivement transformé l’économie libanaise en cash economy, entraînant un découplage entre les taux de change [limités en flux] proposés par les banques (un dollar pour 3800 livres libanaise) et la valeur de ceux pratiqués sur le marché noir (autour de 15000 livres pour un dollar).

Une perte de confiance et de pouvoir d’achat d’autant plus difficile à gérer que les besoins consécutifs à la destruction du port de Beyrouth sont immenses. Et cela sans compter les difficultés d’importations de biens de consommation dans une économie non productive et totalement financiarisée. Or, le défaut de paiement de la dette libanaise (170% du PIB), décidée par le gouvernement contre l’avis de la BdL, a contribué à d’autant plus bloquer la situation. La conséquence directe de cette mesure fut la sortie du Liban des marchés et des crédits internationaux. Une isolation qui entretient la paralysie du circuit monétaire national et donc la dévaluation croissante de la livre libanaise.

Les mesures de la circulaire 154 permettraient donc de restructurer le système bancaire libanais en recapitalisant les banques nationales tout en consolidant un secteur bancaire trop important par rapport à la taille du pays (64 banques autour de 32 groupes). Car la BdL prévoit d’absorber les banques qui ne seraient pas en mesure de rapatrier suffisamment de devises. In fine les mesures de la circulaire 154 devraient permettre de redonner de la liquidité au circuit monétaire et ainsi restaurer la confiance. Tout en reconstituant en parallèle une réserve de dollars permettant des achats propres à relancer l’activité.

Relance de l’économie

La circulaire est explicitement pensée pour être un préalable à la relance économique. Un gage de confiance envoyé aux bailleurs de fonds internationaux afin qu’ils financent la relance de l’économie libanaise via la reconstruction de ses infrastructures (électriques notamment) et d’un tissu productif apte à amortir la balance commerciale du pays.

Néanmoins, plusieurs obstacles restent à surmonter. Parmi eux, la mauvaise volonté des banques toutes largement détenues par des clans confessionnels et familiaux. L’association des banques du Liban (ABL) a d’ailleurs fait part plusieurs fois de ses remontrances et proposé des solutions peu crédibles, comme la vente des réserves d’or du pays : une mesure critiquée par le FMI. Une tentative que certains soupçonnent être une volonté de détourner l’attention sur les faibles moyens de pression des banques et le manque de confiance de leurs clients.

Des réformes structurelles doivent également être mises en œuvre, conformément aux dispositions des conférences de Paris 1, 2 et 3 ainsi que celles de la conférence CEDRE. Ces dernières avaient d’ailleurs reçu le soutien de la BdL lors de leurs promulgations. Un préalable à la relance graduelle de l’activité.

La peine qu’éprouve la circulaire à être appliquée par les banques, qui devraient déjà avoir atteint leurs objectifs, et l’hostilité à l’égard de la BdL, rendent compte du court-termisme d’une large partie des élites politiques et économiques du pays. Les tentatives de déstabilisation du gouverneur de la banque du Liban, Riad Salamé, accusé d’être le principal responsable de la crise est à ce titre éloquente. Tout comme le sont les accusations de blanchiment d’argents (en Suisse) qui visent ce dernier dont le tempo se trouve être curieusement concomitant avec les échéances de la circulaire. Enfin, la récente convocation du président Aoun envers Riad Salamé, sommé de s’expliquer sur la continuation de la dépréciation de la livre libanaise témoigne tout autant de cette volonté de voir émerger un bouc-émissaire qui dédouanerait la classe politique de ses responsabilités. Et favoriserait la continuation du statu quo politique qui profite aux diverses factions et à leurs soutiens internationaux.

En définitive, la balle semble aujourd’hui être dans le camp de l’Etat libanais et ses diverses institutions. Dès lors il est urgent que les réformes structurelles demandées de longue date par les bailleurs soient mises en place. Car il est certain que si les ingénieries financières de la banque centrale ont pu servir de cache-sexe au marasme économique libanais pendant des années, cette dernière est également, à l’heure actuelle, la seule à présenter un début de réforme. La circulaire 154 pourrait être le point de départ d’une appréhension plus durable de l’économie libanaise afin de la définanciariser et la rendre plus productive. Dans cette voie la résolution de la crise passe obligatoirement par une démarche politique au-dessus des équilibres politiques et confessionnels particulièrement sclérosants.

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Polytechnicien de la promotion 2014, Aymeri Gallais travaille comme Quant dans un Hedge Fund à Londres. Son service militaire au sein de la DRM lui a en outre conféré une expérience sur les sujets diplomatie/sécurité et l’optimisation.

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