Risque climatique : numéro d’équilibriste chez les régulateurs financiers

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Par Matthieu Neige Publié le 1 octobre 2021 à 6h51
Ecologie Climat Relance Verte
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250 MILLIARDS $Le coût du réchauffement climatique est estimé entre 50 et 250 milliards de dollars par an.

Le risque climatique est un des enjeux majeurs du XXIème siècle et les instances régulatrices de l’Union Européenne l’ont bien compris.

En effet, les risques économiques engendrés par le changement climatique ont été reconnus par la BCE, puisque cette dernière ambitionne d’accompagner la transition de notre économie vers une économie zéro carbone (net zero). De plus, le Mécanisme de Surveillance Unique (MSU) reconnait le risque climatique au travers de sa cartographie des risques depuis 2019. Au-delà de cette reconnaissance, les régulateurs travaillent sur la question des risques climatiques et les actualités réglementaires se suivent de près.

Si nous faisons un bref retour en arrière, la commission européenne en 2018 a adopté le « plan d’action finance durable : pour une économie plus verte et plus propre ». Ce plan est dans la ligne des accords de Paris avec lequel les états se sont engagés à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre et la hausse de la température moyenne bien en deçà des 2°C par rapport au niveau préindustriel. Ce plan vise à :

  • Réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables afin de parvenir à une croissance durable et inclusive

  • Gérer les risques financiers liés au changement climatique, à l’épuisement des ressources et la dégradation de l’environnement

  • Favoriser la transparence et la pérennité de l’activité financière et économique

Nous pouvons distinguer deux types de méthode au travers des publications des instances régulatrices. D’une part, une approche de politique économique à travers l’appui à une orientation des flux financiers vers une finance durable et d’autre part une approche de réglementation prudentielle par la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la gestion des risques traditionnels. Si ces deux objectifs pris de manière indépendante sont au service d’une réorientation de l’économie vers plus de durabilité, ensemble, ils peuvent se révéler complémentaires. Mais des conflits peuvent émerger de leur coexistence lorsqu’un même type d’actif est visé par deux objectifs contradictoires voire qui s’annulent. Un savant équilibre devra donc être trouvé pour prévenir de telles nuisances.

L’orientation des flux financiers vers une finance responsable

Conformément au plan d’action de la commission européenne, plusieurs textes réglementaires sont parus pour encadrer l’orientation des flux financiers vers une finance responsable. Nous pouvons catégoriser ces textes de politique économique. En effet, le but du régulateur est de flécher l’investissement vers une économie décarbonée. Le meilleur exemple est la taxonomie verte européenne, publiée récemment dans le cadre du Green Deal, qui vient catégoriser les actifs selon leur impact environnemental facilitant ainsi l’investissement dans des actifs dits « verts ». L’exercice minutieux de cette taxonomie a suscité de nombreux questionnements et efforts de lobbying pour permettre l’entrée dans les catégories vertes certains domaines controversés comme le gaz ou l’énergie nucléaire, domaines qui font d’ailleurs encore l’objet de débats.

Un autre bras armé de la législation européenne en faveur d’une finance durable est le règlement « Sustainable Finance Disclosure Regulation », SFDR. Ce règlement vise à améliorer la transparence des institutions financières sur la durabilité de leurs investissements : il exige un rapport sur les risques de durabilité, la prise en compte des impacts négatifs de leurs procédés d’investissement sur le développement durable et des informations sur leurs produits financiers au regard du développement durable.

On le voit avec ces règlements déjà publiés, l’Union Européenne tente d’orienter les flux financiers vers une finance plus inclusive et durable. En catégorisant les produits « verts », l’Union européenne pourrait aller plus loin qu’actuellement et inciter les banques à verdir leur portefeuille en leur introduisant, dans le cadre de la détermination des exigences en fonds propres, un facteur de soutien aux activités vertes (Green Supporting Factor,GSF) qui viendrait diminuer leur facteur de pondération des risques ou au contraire pénaliser les activités brunes avec le Brown Penalizing Factor,BPF). Ainsi, les établissements pourraient avoir une plus grande capacité de financement d’activités vertes pour une même mobilisation de ses fonds.

La prise en compte du risque climatique dans la gestion des risques des établissements financiers

Des textes préalables à une réglementation commence à être publiés par les différentes instances comme le guide de la BCE sur les attentes prudentielles en matière de gestion et de déclaration des risques liés au climat et à l’environnement ou encore le « consultation paper » de l’EBA sur la supervision et la gestion des risques ESG dans les institutions financières. Ce changement de paradigme dans la réglementation financière vient reconnaitre que le marché est défaillant et apporter une réponse au manque de prise en compte de l’impact du changement climatique sur ce dernier. En effet, les orientations réglementaires de ces derniers mois nous laissent à penser que la gestion du risque climatique va devenir un incontournable des établissements financiers.

Le risque climatique est souvent décrit au travers du risque physique (inondations, sécheresses par exemple), du risque de transition (évolution vers une activité décarbonée) ou de réputation. Or, ces définitions sont difficilement transposables dans les modèles risques utilisés par les banques qui se basent sur des informations financières pour quantifier leur exposition au risque. La nouveauté dans l’approche que semble prendre le régulateur est l’utilisation des facteurs ESG comme vecteurs de manifestation du risque climatique. Il s’agit donc de développer une approche prospective du risque climatique et de capter ses impacts sur les risques dits traditionnels comme le risque de crédit. Par exemple, une banque ayant accordé un crédit à un vigneron qui voit sa production impactée par un gel tardif comme cela a pu être le cas en Bourgogne cette année pourra voir le risque de non-paiement augmenté puisque les revenus de sa contrepartie peuvent être impactés par ces évènements climatiques, le gel des fleurs de vigne va empêcher la production de vin donc menace les revenus du vigneron. Or, cette manifestation du risque physique n’est aujourd’hui pas ou peu captée dans les modèles d’évaluation du risque de crédit.

Il est fort à parier que le contrôle prudentiel devrait proportionnellement incorporer les risques ESG comme moteurs des risques financiers, en particulier les risques sur le capital, sur la liquidité et la capacité de financement. Le régulateur viendra ici probablement s’assurer de la légitimité des modèles développés par les institutions et apposer en face, des exigences en fonds propres selon les manifestations du risque climatique.

L’équilibre à trouver entre politique économique et approche risques

L’utilisation de l’exigence en fonds propres est donc réalisable à des fins de politique économique ou d’approche risques. Ces deux approches menées de front ne peuvent coexister puisque l’une est basée sur des choix arbitraires de catégories d’actifs à supporter ou pénaliser, tandis que l’autre est basée sur l’identification précise du risque climatique selon les catégories d’actifs. Par exemple, un actif vert qui serait éligible au Green Supporting Factor, ne peut voir son risque « réel » être pris en compte dans le coussin capitalistique puisque la politique économique recommande une mobilisation de capital inférieure à ce qui pourrait se pratiquer si l’actif n’était pas vert. Il y a donc une possibilité de sous-évaluation du risque que représente cet actif du fait de ce GSF. A l’inverse, un Brown Penalizing Factor sur un actif dit « brun » pourrait engendrer une surestimation du risque par rapport à la prise en compte des impacts du risque climatique via les risques ESG. Cet exemple souligne le paradoxe qui émerge alors entre les objectifs d’une politique économique en faveur d’une orientation des flux financiers vers des actifs décarbonés et une prise en compte du risque au plus proche de la réalité incluant les manifestations du risque climatique au travers des risques ESG.

Si cet outil a été abordé sous l’angle de la politique économique, la taxonomie peut constituer un point de départ d’une approche conjointe entre politique économique et approche risques. En effet, en classifiant l’ensemble des activités selon leur coté vert, brun ou neutre, la taxonomie peut être utile dans le cadre d’une gestion des risques.

Une certitude est que les régulateurs entendent agir dans le cadre de leur mandat de stabilité financière de la zone euro pour accompagner une transition ordonnée vers une économie décarbonée pour préserver les établissements financiers des manifestations du changement climatique. Il faudra alors trouver une harmonie entre un appui à la décarbonisation des portefeuilles des établissements bancaires et des exigences prudentielles imposant la prise en compte des risques ESG dans la gestion des risques.

Du côté des investisseurs, l’intérêt se fait déjà connaitre. En effet, les fonds ESG sont en très forte croissance depuis quelques années et 2020 n’a pas été une exception puisque le marché des encours ESG a atteint la valeur astronomique de 40 500 milliards de dollars dans le monde. Quelle stratégie va émerger des réflexions réglementaires ? Une approche de politique économique soutenue par une approche risques en complément pour venir capter la menace grandissante du risque climatique qui pèse sur la stabilité du système financier ? La question de l’équilibre reste ouverte…

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consultant senior chez Square

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