Par mer formée, vent fort et visibilité faible, comme il est bon d’apercevoir la lueur des deux phares marquant l’entrée du port. On en est un peu là sur les marchés de capitaux. L’environnement, économique et encore plus politique, n’est pas facilement lisible.
Aux banques centrales, et d’abord à la Réserve fédérale américaine, d’envoyer les signaux sur une éventuelle adaptation aux évolutions en cours. C’est à ce titre que les discours annoncés des principaux dirigeants de la Fed étaient très attendus par le marché ; qui a répondu de façon positive, avec en clôture mercredi 28 novembre au soir une hausse de 2,3% de l’indice S&P 500.
Clarida et Powell, respectivement numéro 1 et numéro 2 du Board à Washington, ont envoyé des messages suggérant un ralentissement dans le rythme de remontée du taux directeur.Commençons par dégager la « substantifique moelle » des propos assez analytiques du Vice-président. Cela tient en deux choses. D’abord, malgré une pénurie de travailleurs, qui fait craindre une accélération des coûts et des prix, les anticipations inflationnistes, tant des ménages que des marchés, sont très stables. Ensuite, le signal envoyé par un très bas taux de chômage (3,7% en octobre) doit être relativisé par un taux de participation pour la tranche d’âge 25 à 54 ans qui reste un point et demi inférieur au pic de 2000 (en fait l’écart est de deux points ; cela ne change pas la valeur du propos !). Il faut alors conclure que le niveau de taux directeur nécessaire à stabiliser l’inflation autour de 2% l’an est plus bas qu’initialement considéré.
Passons aux considérations plus opérationnelles du Président du Board. Une fois encore, deux points sont à retenir. D’abord, le niveau du taux directeur est qualifié de « juste en dessous du taux neutre ». Rappelons que le 3 octobre dernier l’expression utilisée avait été « loin de cette référence ». Ensuite, une approche graduelle du processus de normalisation monétaire est nécessaire pour prendre en compte les effets des relèvements de taux déjà effectués. Comment ne pas lire ici une préparation à une inflexion dans le rythme de remontée du taux des fonds fédéraux ? Et le taux à 10 ans d’un emprunt d’Etat américain d’être ce matin 4 centimes plus bas que mercredi 28 novembre soir en clôture.
L’observateur de la vie politique américaine considérera sans doute que les propos de Powell et de Clarida vont raisonner favorablement aux oreilles du Président Trump. On sait que depuis la fin juillet (le 19 pour être précis) il se plaint d’une banque centrale qui remonte de trop les taux d’intérêt. Onze remarques présidentielles ont porté sur ce sujet, dont les deux dernières les lundi et mardi de cette semaine. Tout le monde a compris qu’aux yeux du Président américain l’« obstination » de la banque centrale à relever son taux directeur mettrait à risque la bonne marche de l’économie et l’orientation favorable de la bourse. Pourtant on peut noter une relation positive entre le profil des taux longs américains et l’évolution de la cote de popularité du Président Trump ! L’idée derrière est sans doute simple : quand la santé de l’économie s’améliore (croissance dynamique et normalisation de l’inflation, sans que les tempos atteints n’apparaissent dangereux), les taux longs remontent et la perception de l’action du « locataire » de la Maison Blanche s’améliore.
Ce paradoxe mis de côté, la question plus sérieuse est de savoir si les dirigeants de la Fed pourraient être soupçonnés d’avoir abandonné une partie de l’indépendance de la banque centrale sous les coups de butoir du Président Trump. Donnons deux éléments de contexte. D’abord, l’indépendance de la Fed est considérée comme datant du 4 mars 1951. La séparation de la politique monétaire de la gestion de la dette publique est actée. Ensuite, le processus progressivement mis en place est le suivant : des objectifs donnés par le Congrès (la stabilité des prix et le plein emploi), l’indépendance de la Fed dans les moyens d’atteindre ces objectifs et l’obligation de rendre compte devant le Congrès. Comment ne pas comprendre qu’au-delà des rodomontades de Donald Trump, la remise en cause de l’indépendance de la Fed viendrait du Congrès. Elle prendrait la forme d’un élargissement des capacités d’audit de celui-ci pour intégrer les décisions et les opérations de politique monétaire. Ce dont personne ne parle aujourd’hui. Tant mieux !