Chauffe Marcel...
Nous sommes le 20 juin, il est 10 h 48. Mon bureau surplombe une rue très passante. Mes oreilles sont continuellement agressées par le bruit
extérieur. Il est vrai que la fenêtre ouverte n'aide pas à la concentration. Ma situation est désastreuse. Exposée plein sud, la pièce a une superficie de dix mètres carrés. Elle comprend une baie vitrée de cinq mètres carrés, une baie informatique, ainsi qu'une conduite de chauffage qui, été comme hiver, contribue à l'augmentation de la température. Ainsi, lorsqu'il fait 30 ºC dehors, mon thermomètre affiche plus de 36 ºC à l'intérieur. Un ventilateur aurait pu avoir son intérêt. Malheureusement, les rares fois où je l'ai allumé, une tornade de force 10 m'a obligé à reclasser mes papiers déjà rangés de façon anarchique.
Je n'ai guère le choix. Soit je travaille dans une fraîcheur relative, la fenêtre ouverte, profitant du bruit et des odeurs de mazout, soit je meurs de déshydratation au bout de deux heures.
J'ai informé ma hiérarchie du problème, profitant de l'occasion pour leur signaler que, de l'autre côté du couloir, deux bureaux étaient libres en permanence. J'avais, ce jour-là, un torticolis. On m'a répondu, sans rire, que la chaleur était un bon remède contre les douleurs musculaires. J'ai insisté sur les espaces vides au sein de la mairie. On m'a rappelé qu'ils appartenaient aux élus, qu'ils y passent une fois par mois ou chaque jour. Ma dernière protestation m'a valu un sévère rappel à l'ordre : « Ce sont les élus du peuple, monsieur ! Ne dénigrez pas ces hommes et ces femmes dignes, qui se rendent disponibles corps et âme pour leurs citoyens ! »
J'aurais juste aimé qu'on me dise où ces nobles personnages s'installent corps et âme quand ils bossent. Malgré tous mes efforts, je ne les ai jamais vus.
Début de journée, le rituel du fonctionnaire
Nous sommes mardi.
Il fait 13 ºC dehors. Je devrais survivre dans mon bureau, me suis-je dit en arrivant. Le thermomètre n'indique en effet que 26 ºC.
J'ouvre la fenêtre et entame le rituel matinal. Bouilloire, tasse, cuillère, bouteille d'eau, tout est en place. J'allume mon ordinateur avant de me préparer, très tranquillement, un thé.
De retour à mon poste, je m'apprête à entamer une foudroyante journée de travail. Problème : mon ordinateur, lui, n'a toujours pas fini de démarrer. Afin de trouver une solution, je téléphone au service informatique :
— Bonjour, c'est Fabien, ça va ?
— Salut, Fabien, ça gaze ?
— Moi, ça gaze, mais mon ordinateur ne veut pas démarrer.
— OK, je vois ce que c'est ! On peut avoir des lenteurs ce matin sur l'intranet système arborescence, parce qu'on change le serveur de système changed mail overflow listing security, tu vois, m'annonce-t-il d'un ton rassurant.
— Et ça va durer longtemps ? dis-je pour masquer mon énervement et le fait que je n'ai rien compris à ses explications.
— Jusqu'à ce qu'on ait fini.
— OK, d'accord... je vois. Merci pour les renseignements, amigo, t'es un vraiking. À plus !
— À plus !
Les informaticiens vivent dans une étrange dimension. Ils ressemblent à des extraterrestres qui imaginent, lorsqu'ils s'adressent aux habitants d'une planète inconnue, que l'univers entier utilise le même langage qu'eux. Un dialecte incompréhensible – pour le commun des mortels – sort de leurs bouches. Sans en avoir conscience, ils pourraient pousser au suicide n'importe quelle secrétaire soudain plantée devant son traitement de texte et ayant perdu le courrier que son patron attendait urgemment.
"On ne réveille pas un fonctionnaire qui dort" de Jérôme Morin
Éditions L'Archipel
22,4 x 14 cm - 300 pages
17,95 euros
Un autre extrait de ce livre est à lire ici.