Le refroidissement des relations bilatérales sino-américaines

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Par Stéphane Monier Publié le 10 juin 2020 à 6h45
Refroidissement Relations Bilaterales Sino Americaines
@shutter - © Economie Matin
45 MILLIARDS $La valeur annuelle des biens exportés depuis Hong-Kong vers les Etats-Unis s'élèves à 45 milliards de dollars

Le conflit entre la Chine et les Etats-Unis au sujet du commerce et de la domination mondiale s'est désormais enrichi de nouvelles sources de discorde comme la responsabilité pour la pandémie, le leadership technologique, la réglementation financière et le statut de Hong Kong. Ces tensions complexifient encore de nombreux défis planétaires, à commencer par la gestion de la pandémie.

Le 20 mai, l'administration américaine a énoncé une « approche stratégique » soulignant que depuis l'établissement de relations diplomatiques il y a quatre décennies, les gouvernements américains successifs ont surestimé l'appétit de la Chine pour la mise en œuvre de réformes économiques et politiques. Les critiques américaines, visant notamment les technologies 5G et l'absence de transparence de la Chine durant la pandémie de covid-19, « prennent en otage les relations sino-américaines et poussent nos deux pays au bord d'une nouvelle Guerre froide », a déclaré le 24 mai le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi.

Les deux principales économies mondiales ont commencé à augmenter leurs tarifs douaniers en mars 2018, jusqu'à ce qu'elles parviennent à une trêve en décembre 2019. S'ajoutant aux anciennes frictions concernant Taiwan et la souveraineté dans le sud de la Mer de Chine, les tensions se sont avivées avec l'augmentation des contraintes réglementaires imposées aux entreprises chinoises cotées aux Etats-Unis et la sévère riposte chinoise aux revendications démocratiques de Hong Kong.

Phases de négociation

Les tensions commerciales entre les deux géants datent d'avant l'administration Trump. Sous Barack Obama, les Etats-Unis ont tenté de créer une alliance alternative entre partenaires commerciaux, le partenariat transpacifique (TPP) qui excluait la Chine. La décision du président Trump d'utiliser les droits de douane sur les importations chinoises comme instrument pour lutter contre le déficit commercial américain a été malavisée mais elle a encouragé un changement dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, qui a ensuite été accéléré par la pandémie de coronavirus.

Malgré la rhétorique récente, la phase 1 de la trêve tarifaire obtenue en 2019 entre les Etats-Unis et la Chine reste en vigueur. Les deux pays sont conscients de la valeur commerciale de cet accord. Donald Trump s'en félicite le qualifiant de succès politique, pour lequel le Trésor a renoncé à accuser la Chine de manipuler sa devise. Cette dernière honore ses engagements d'achat, malgré les défis économiques posés par le covid-19, qui l'ont contrainte par ailleurs à renoncer à son objectif en matière de PIB pour la première fois depuis 30 ans.

Les prévisions tablent sur une stagnation du commerce mondial. Les échanges souffraient déjà lorsque les deux superpuissances examinaient leurs différences. La pandémie pourrait restructurer de nombreuses priorités stratégiques parmi les nations en les obligeant à revisiter leur approvisionnement en nombreux produits qui ont désormais pris une importance stratégique, comme les masques, renversant la tendance à la délocalisation de ces dernières décennies.

Le mois dernier, le Sénat américain a approuvé un projet de loi qui, s'il se muait en loi, exigerait des entreprises étrangères qu'elles se soumettent aux réglementations financières et aux normes américaines en matière d'audit. Ce qui pourrait obliger les entreprises chinoises à révéler si elles appartiennent à l'Etat ou si elles sont contrôlées par lui, ou les inciter à chercher à être cotées hors des Bourses américaines.

Les Etats-Unis ont également décidé d'exercer un contrôle sur les technologies 5G et les puces, excluant la firme chinoise Huawei des appels d'offre publique pour des raisons de sécurité. Et ils continuent à faire pression sur leurs alliés, y compris le Royaume-Uni, pour qu'ils en fassent autant.

Un pays, deux ambitions

Hong Kong constitue désormais un test décisif pour les tensions sino-américaines à court terme. L'infrastructure d'import/export et la place financière de Hong Kong agissent comme des passerelles entre la Chine et le reste du monde, au bénéfice de tous. Après que les mouvements anti-gouvernementaux et pro-démocratiques ont débuté l'année dernière à Hong Kong pour protester contre une loi d'extradition, la Chine a cherché à renforcer son contrôle sur la ville.

Le 28 mai, la Chine a franchi une étape supplémentaire et criminalisé les contestations menaçant la sécurité nationale. Elle peut autoriser les forces de sécurité chinoises dans la ville, sapant ce qui reste à cette dernière d'autonomie vis-à-vis du continent. Les Etats-Unis ont déclaré qu'ils allaient priver Hong Kong de son statut commercial de la nation la plus favorisée (NPF), ce à quoi la Chine a répondu que les Etats-Unis étaient coupables de « pratiquer une politique de deux poids deux mesures et de suivre une logique de gangsters », lui demandant de « mettre immédiatement fin à son ingérence ».

En tant que centre d'affaires, Hong Kong peut se permettre de perdre son statut commercial avec les Etats-Unis. Ces derniers n'ont pourtant pas fixé d'échéancier. La valeur des biens exportés annuellement par le territoire vers les Etats-Unis se monte à 45 milliards de dollars et le traitement NPF en matière de tarifs représente moins de 1% de ce total. L'impact immédiat serait donc limité. A long terme, et plus largement, l'érosion du statut de Hong Kong en tant que plateforme pour les flux de capitaux mondiaux aurait un impact négatif pour tous.

La Chine est devenue le plus grand créancier du monde et une puissance d'achat planétaire du fait de ses investissements liés à l'initiative "One Belt, One Road" et de ses achats de dettes émises par les pays émergents. Ce qui a eu pour conséquence que certaines nations luttent pour s'opposer à ses ambitions. Ainsi, le gouvernement australien a lancé une enquête sur les origines du coronavirus et a vu ses exportations de bœuf et de charbon sanctionnées. Le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale de Hong Kong, a promis un droit d'immigration aux 2,9 millions de Hongkongais nés avant la rétrocession en 1997, et s'est vu infliger une réprimande chinoise.

Une facture à long terme

La Chine veut sa propre devise de réserve, mais elle reconnaît que cela prendra du temps et que cela aura un coût. Le dollar américain, la première devise de réserve du monde, agit de manière contre-cyclique relativement à l'économie mondiale. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous pensons que le dollar restera sous pression au moment où les économies émergeront de la récession durant la seconde moitié de cette année.

En octobre 2016, le Fonds monétaire international a inclus le renminbi dans son nouveau panier de droits de tirage spéciaux (DTS), une réserve internationale créée en 1969 pour suppléer aux réserves des Etats membres. La pondération initiale de la devise chinoise de 10.92% dépassait celles du yen japonais ou de la livre sterling (respectivement de 8.33% et 8.09%). Aujourd'hui, le dollar américain et l'euro comptent pour plus de 72% du panier. Le chemin est encore long avant que la Chine ne puisse attirer l'épargne mondiale. En effet, la poursuite de l'internationalisation de sa monnaie nécessite une évolution économique profonde, notamment l'ouverture du compte de capital et la libéralisation des flux de capitaux.

Les tensions qui émergent entre les deux plus grandes économies mondiales semblent vouloir perdurer. En matière d'investissements, elles créent une volatilité géopolitique persistante pour la prochaine décennie, voire au-delà.

La Chine, qui a extrait des millions de personnes de la pauvreté, continue à relever le défi consistant à réinventer son modèle économique pour le rendre moins dépendant de la demande extérieure. Les Etats-Unis traversent une période de profonde polarisation sociale en cette année d'élection présidentielle. Quel que soit le candidat qui sera intronisé à la Maison Blanche en janvier prochain, il aura l'immense tâche de réparer la relation internationale la plus importante pour le monde dans les décennies à venir.

À court terme, le regain de tensions entre les États-Unis et la Chine laisse penser que les discours enflammés des États-Unis à l'approche des élections présidentielles de novembre continueront à peser sur la monnaie chinoise. Nous avons donc clôturé notre position longue sur le yuan début mai. À plus long terme, il convient de s'assurer que les investissements reflètent correctement le poids économique et géopolitique de la Chine. Il ne fait guère de doute que la Chine doit être traitée comme une allocation autonome dans les portefeuilles des investisseurs privés, et nous prévoyons d'ajuster notre allocation stratégique d'actifs en conséquence dans les mois à venir.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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