Retraites : les leçons à tirer d’une réforme médiocre

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Par Jacques Bichot Publié le 1 novembre 2013 à 4h08

Tout le monde est d'accord : la loi retraites 2013 ne va pas voler bien haut ! Sauf incroyable coup de théâtre durant la fin du processus parlementaire, cette loi ne constituera pas le début de la réforme systémique que la plupart des experts estiment nécessaire. Pour l'essentiel, le texte se compose de petits ajustements paramétriques, les uns destinés à freiner les dépenses, tandis que les autres (principalement relatifs à la pénibilité) sont de nature à les augmenter : cet attelage tire visiblement à hue et à dia. Pourquoi cette timidité, et pourquoi ces contradictions ?

La timidité du texte s'observe à trois niveaux : mauvaise qualité technique de sa préparation, modestie des mesures destinées à diminuer les dépenses, et renoncement à engager une marche rapide vers l'unification de notre système de retraites par répartition.

La mesure destinée à générer des économies sur les pensions en cours de versement est typique d'une préparation indigente

Cette disposition inscrite à l'article 4 du projet de loi consiste à reporter du 1er avril au 1er octobre la date de revalorisation des pensions en fonction de l'inflation. L'étude d'impact annonce 800 millions d'euros d'économies pour 2014, et 2,6 milliards "sur le moyen terme" (en fait, en 2040, selon le tableau fourni, ce qui est du long terme). Pour 2014, l'estimation est à peu près réaliste, puisque la revalorisation se base sur l'inflation officiellement prévue pour l'année où elle a lieu. Mais plus on va vers l'avenir et moins les taux d'inflation peuvent être anticipés. Or sans inflation la mesure ne rapporte rien, tandis qu'avec une forte inflation elle rapporte beaucoup (décaler de 6 mois une revalorisation de 10 % économise 5 % du montant des pensions, tandis que s'il s'agit d'une revalorisation de 1 % l'économie se limite à 0,5 %). Il est donc intellectuellement malhonnête de présenter comme quasiment certains sur le long terme des effets qui sont largement imprévisibles au-delà de deux ans. Les Français et leurs élus sont victimes d'une "tromperie sur la marchandise". Ce fait en dit long sur le sérieux avec lequel la loi a été préparée ... Faire voter les parlementaires, comme s'il s'agissait de réaliser des économies certaines, sur une mesure dont les résultats sont impossibles à prévoir, cela mériterait une sanction sévère.

Les autres mesures destinées à diminuer les dépenses sont-elles plus sérieuses ? La soumission à l'impôt des majorations de pensions dues aux parents d'au moins trois enfants n'est pas une économie, mais une recette, qui plus est destinée au Trésor et non à la Sécurité sociale. La seule disposition importante pour réduire la dépense est l'augmentation de la durée d'assurance requise pour obtenir le taux plein au premier âge légal (celui qui augmente en direction de 62 ans), objet de l'article 2 du projet de loi. Mais comme la loi retraites de 2003 avait pris les dispositions voulues jusqu'en 2019, l'article 2 de la nouvelle loi n'impactera les dépenses qu'à compter de 2020.

Au demeurant, ce type de décisions ne devrait pas relever de la loi : il s'agit d'une mesure de gestion courante, dont le législateur devrait autoriser une fois pour toutes le principe, en laissant aux responsables du ou des régimes le soin de se servir intelligemment de l'outil ainsi mis entre leurs mains. La confusion entre la législation (qui établit les règles générales) et la gestion (qui manipule les curseurs autorisés par la loi de façon à respecter, notamment, l'équilibre budgétaire) est ici flagrante. Cette confusion déresponsabilise les gestionnaires, surcharge inutilement le législateur, et conduit à des mouvements sociaux en politisant des décisions qui sont essentiellement techniques.

Ce passage par la loi est rendu actuellement nécessaire par la multiplicité des régimes : si les responsables de chaque régime prenaient les décisions techniques, les différents régimes évolueraient de façon discordante, les économies à réaliser pouvant l'être de différentes manières. Par exemple, certains régimes privilégieraient l'augmentation des âges légaux tandis que d'autres miseraient surtout sur la durée d'assurance, et que d'autres encore joueraient sur les deux tableaux. Cette diversité tournerait à la cacophonie pour les assurés sociaux qui dépendent, au long de leur carrière, de plusieurs régimes de base. La multiplicité des régimes conduit donc le législateur à faire le travail du gestionnaire dans le but de maintenir une compatibilité, au moins approximative, entre les régimes.

Ceci nous amène à la question de l'unification du système de retraites par répartition

Passer de trois douzaines de régimes à un seul économiserait environ 3 milliards de frais de gestion, en ramenant ceux-ci aux alentours de 1 % contre 2 % actuellement (mais 0,6 % aux États-Unis et 0,7 % en Suède, pays ayant un régime unique). Il s'agit donc d'une mesure qui aurait toute sa place dans une loi destinée à résorber les déficits en diminuant le moins possible la générosité du système. L'article 16 de la loi retraites 2010 ordonnait la tenue en 2013 d'un grand débat national relatif à une réforme systémique des retraites consistant à réunir notre quarantaine de régimes par répartition en un seul régime fonctionnant par points ; la décision a été prise, probablement au plus haut niveau, de désobéir à cette injonction légale, si bien que le projet de loi sous revue ne se soucie pas de poser des jalons pour aller dans la direction unitaire. Il cherche plutôt à conforter la diversité actuelle en la rendant plus supportable ; tel est l'objet des articles 28 et 29 : "une meilleure coordination entre régimes pour le calcul de la retraite des polypensionnés".

L'article 26, toutefois, pourra se révéler utile lorsque les pouvoirs publics se décideront enfin à mettre de l'ordre dans le capharnaüm de nos pensions. Cet article décide en effet la création de ce que l'étude d'impact appelle "un compte individuel retraite en ligne, tous régimes, interface unique entre l'assuré et des régimes". Le texte exact du projet de loi est : "L'assuré bénéficie d'un service en ligne lui donnant accès à tout moment à son relevé actualisé, l'informant sur les régimes dont il relève, lui permettant de réaliser certaines démarches administratives et d'échanger avec les régimes concernés des documents dématérialisés". Le gigantesque travail informatique et administratif requis pour réaliser un tel outil ("projet techniquement ambitieux" qui devrait entrer en vigueur début 2017, selon l'étude d'impact) devrait pouvoir servir à faciliter les liquidations fictives nécessaires pour transformer en points d'un nouveau régime (le régime unique) les droits à pension acquis par chaque actif dans les divers régimes auxquels il a cotisé. Si ce projet de "compte individuel" aboutit – on ne saurait hélas en être sûr, le projet de loi ayant visiblement été préparé avec un certain amateurisme, comme il a été vu à propos des dates de revalorisation des pensions – il constituera pour l'avenir de nos retraites le point le plus positif de cette loi qui doit à sa médiocrité de n'avoir pas provoqué dans la rue des protestations vraiment importantes.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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