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3. Il faut réfléchir, puis agir
Alors, que faut-il faire pour sortir du dramatique enlisement de la sécurité sociale auquel nous assistons en France ? D’abord réfléchir, réfléchir en profondeur, en mobilisant nos connaissances économiques les plus solides, pour ensuite réaliser une réforme de très grande envergure.
3 .1. Actuellement, les idées dominantes relatives à la sécurité sociale constituent une sorte de bouillie dépourvue de saveur et de qualités nutritives. La confusion intellectuelle est telle que des actes d’investissement sont catalogués par le législateur comme étant des mesures d’assistance, et comptabilisés comme telles par la statistique officielle. C’est le cas des prestations familiales, qui permettent de répartir le poids de l’investissement dans la jeunesse entre des personnes qui ont peu ou pas d’enfants, et d’autres qui en ont davantage. Les premières devraient logiquement, pour obtenir des droits à pension, contribuer à l’investissement dans la jeunesse en versant des cotisations, tandis que les personnes qui éduquent et entretiennent plusieurs enfants, devraient recevoir à ce titre des droits à pension puisque l’investissement qu’elles effectuent permet logiquement de compter sur un « retour », un « remboursement », un « dividende », ou comme on voudra l’appeler, du fait que ces enfants, quand ils seront devenus adultes, financeront les retraites des personnes moins fécondes.
3.2. Notons bien que les cotisations vieillesse ne servent à rien pour préparer les futures pensions de ceux qui les versent : comme l’écrivait jadis Alfred Sauvy, « nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations, mais par nos enfants ». Cette affirmation est irréfutable dans le monde réel : le produit des cotisations vieillesse est immédiatement versé aux retraités, et ne sert en aucune manière à la préparation des pensions futures – ces pensions auxquelles lesdites cotisations ouvrent juridiquement des droits.
Prendre comme base de l’attribution des droits à de futures pensions des versements qui sont destinées aux retraités actuels résulte d’un simili-raisonnement qui vaudrait un zéro pointé à tout étudiant supposé avoir acquis les rudiments de la science économique. En voyant les législateurs avaler pareille couleuvre on se demande ce qu’ils ont bien pu apprendre au lycée puis à l’Université ! Comment peut-on se débarrasser par une loi de la logique selon laquelle celui qui verse de l’argent en remboursement de ce qu’il a reçu antérieurement en nature acquitte tout simplement sa dette ? Dans quel univers juridique peut-on ériger en règle que celui qui paie ses dettes devient créancier ?
Certes, la sagesse des nations dit : « qui paie ses dettes s’enrichit ». Mais il n’est pas besoin d’être grand clerc pour savoir que zéro est supérieur à un nombre négatif. Les cotisations vieillesse, dans quasiment toutes les législations actuelles relatives à des régimes dits « par répartition », devraient « remettre (progressivement) les compteurs à zéro », libérer (progressivement) les cotisants de leur dette envers leurs aînés : ce n’est pas du tout la même chose que d’effacer la dette d’un coup d’éponge législative magique et décréter que les versements effectués au profit des « vieux » rendent ceux qui les font créanciers de la génération montante.
La législation des retraites par répartition, en France comme dans la plupart des pays, est devenue un moyen pour dépouiller les hommes et les femmes qui investissent dans la jeunesse en mettant au monde et en élevant des enfants, au profit de ceux qui se contentent de rembourser ce qu’ils doivent à leurs aînés (véritable fonction des cotisations vieillesse). La France remplirait son rôle de lumière des nations si ses dirigeants et son corps législatif donnaient l’exemple d’une vraie réforme des retraites, attribuant les droits à pension au prorata des investissements réalisés dans la jeunesse, et non à celui des sommes remboursées à la génération précédente.
4. Nous devons supprimer la politisation des décisions techniques dans le domaine social
Des décisions typiquement techniques, relevant de la direction générale de tel ou tel organisme de protection sociale, sont prises par des politiciens, qui bien souvent n’y connaissent pas grand-chose. Quant à la cohérence, notamment économique, du système, les personnes qui exercent le pouvoir n’ont même pas idée de ce que cela pourrait bien être : elles légifèrent et réglementent à tour de bras, pour donner un peu plus aux uns et un peu moins à d’autres, souvent en réaction à l’actualité vue à travers le prisme médiatique. Peu importe, à leurs yeux, que le code de la sécurité sociale soit devenu, à ce petit jeu, un recueil illisible de règles mouvantes dépourvues de logique économique.
C’est cela qu’il faut changer. Les analyses et propositions ici présentées ont pour vocation de contribuer à un tel renouveau. Notre chère Sécu a mal grandi, et maintenant elle vieillit mal : elle a besoin d’une cure de jouvence. Une cure vraiment adaptée à son état lamentable ; une de ces cures après lesquelles les patients se sentent revivre.
Il peut paraître paradoxal de préconiser une cure de dépolitisation des questions relatives à la protection sociale alors que nous faisons appel au législateur pour modifier le système en profondeur. En réalité, cela est on ne peut plus logique : au législateur d’instaurer les règles permanentes, et au gestionnaire de prendre, dans le strict respect de ces règles, les décisions qui concernent la gestion paramétrique de la sécurité sociale.
Prenons un exemple basique et d’actualité : la fixation de l’âge dit « légal » de départ à la retraite, ou de ce qui deviendra l’âge « pivot » lorsque la législation française des retraites se sera un peu modernisée – si tant est que cette modernisation finisse par se produire. Nous assistons, en cet été 2021, à un débat social et politique relatif au relèvement de cet âge « légal », actuellement 62 ans : c’est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire. L’âge pivot est un des paramètres dont la valeur doit être de temps à autre modifiée pour assurer l’équilibre financier du système dans un contexte de longévité croissante. Passer de 62 ans à 63 ans, par exemple en 4 étapes – quatre majorations d’un trimestre – voilà qui constitue typiquement un acte de gestion relevant de la responsabilité du Directeur général de l’organisme en charge de faire fonctionner un régime unique de retraites par répartition dans lequel seraient fusionnés tous les régimes par répartition qui existent actuellement, disons France Retraite. Ce n’est ni au Président de la République ni au Parlement de prendre une décision de cette nature, pas plus qu’il ne faut une loi ou un décret pour que le chauffeur du Président freine avant un tournant en épingle à cheveux et accélère quand il arrive sur une ligne droite.
La France souffre de cette confusion intellectuelle entre les actes de gestion courante et les décisions structurelles. Supposons que le Président de la République veuille rétablir la peine de mort : bien évidemment, cela requiert une loi. En revanche, les lois dites de financement de la Sécurité sociale (LFSS) sont d’un ridicule achevé lorsqu’elles entrent dans des modifications de détail, telles qu’une adaptation de la valeur du point (dans un régime par points) ou une légère augmentation de l’âge pivot : aux gestionnaires de faire leur travail, certes avec la perspective d’être « virés » s’ils prennent de mauvaises décisions, mais sans être réduits au rôle d’exécutants de directives politiques. L’administration française possède une tradition de « grands commis de l’Etat » qu’il serait bon de remettre à l’honneur.