Réforme des retraites : utilité et faisabilité d’un passage des annuités aux points

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Par Jacques Bichot Modifié le 19 janvier 2013 à 8h33

Les deux premiers articles (1-2) ont montré qu’une réforme systémique des retraites (qui fera cette année l’objet d’une « réflexion nationale », si le gouvernement n’enfreint pas la loi retraites 2010) devrait modifier radicalement la façon dont sont attribués les droits à pension : ceux-ci sont actuellement grosso modo proportionnels aux cotisations vieillesse versées par l’assuré social ; ils seraient désormais attribués, partie aux parents, au prorata des enfants qu’ils élèvent, partie en fonction des contributions pécuniaires à la formation initiale et aux dépenses en faveur des enfants. Mais en quoi consisteraient ces droits ? Il serait ridicule d’essayer de les exprimer, comme aujourd’hui dans le régime général français et dans le régime des fonctionnaires, à l’aide de la durée d’assurance et du montant des revenus professionnels. Les représenter par des points, comme dans les régimes complémentaires, serait infiniment préférable. Parmi les nombreuses qualités des points, quatre sont exposées ci-après, mais il en existe d’autres[i] !

Première qualité des points : ne rien promettre qui ne puisse être tenu. Un point n’a pas de valeur fixée a priori, indépendamment des conditions économiques et démographiques. C’est l’instrument naturel de la répartition de ce qui rentre dans les caisses : si une année les cotisations vieillesse fournissent 250 milliards d’euros, et s’il y a 25 milliards de points « liquidés », chaque point liquidé rapporte 10 euros.

Supposons une activité économique meilleure que prévue : les cotisations rapportent 262,5 milliards d’euros, 5% de plus. La caisse peut augmenter la valeur de service du point jusqu’à 10,5 euros, ou mettre en réserve 12,5 milliards pour pouvoir faire face ultérieurement à une baisse de l’activité sans diminuer la valeur de service. Une gestion sérieuse, plus de déficit, plus d’emprunts à souscrire pour payer les pensions : c’en serait fini de cette partie de la crise des finances publiques.

Seconde qualité des points : permettre le remplacement de règles injustes par des règles justes. Prenons le cas des droits à pension liés à l’éducation des enfants : une annuité, ou une bonification en pourcentage de la pension, rapporte beaucoup plus aux personnes qui ont de belles situations qu’à celles du bas de l’échelle. Tandis qu’en Allemagne et en Suède, l’éducation d’un enfant apporte le même nombre de points, que l’on travaille au SMIC à temps partiel ou que l’on soit directeur général d’un grand groupe.

Troisième qualité : les points permettent de mesurer la place accordée à la solidarité. Soit par exemple les droits à pension accordés aux chômeurs et aux malades : en leur attribuant des annuités gratuites, on ne sait pas bien ce que cela représente. En leur attribuant des points, on le sait : la solidarité consciente remplace la solidarité aux yeux bandés.

Quatrième qualité : la souplesse d’une « retraite à la carte ». Suédois et Allemands peuvent liquider partiellement leur pension, et donc organiser à leur convenance la transition entre l’activité professionnelle à plein temps et la retraite complète. De même, en l’absence d’âge légal de la retraite, ils liquident leur pension quand ils veulent entre 60 et 70 ans (en France, pourquoi ne choisirait-on pas une plage encore plus large ?). Pour que cela soit équitable, il existe un âge pivot, actuellement 65 ans et un mois en Allemagne, pour lequel est défini la valeur de service du point ; si la liquidation a lieu plus tôt, cette valeur est affectée d’un coefficient inférieur à 1, ce qui produit une sorte de décote ; et réciproquement une liquidation au-delà de l’âge pivot génère une surcote. Ces coefficients peuvent être calculés par les actuaires (c’est le cas en Suède) de façon à ce que l’équité soit au rendez-vous : il ne s’agit ni d’inciter à partir tôt, ni d’inciter à partir tard, mais de permettre aux assurés sociaux un choix libre et responsable.

Et comme l’erreur est humaine, la liquidation peut être réversible : un retraité qui s’aperçoit qu’il s’ennuie ou qu’il perçoit une pension insuffisante, s’il trouve un job, peut inverser la liquidation de ses points, qui recommenceront à se bonifier, et en gagner de nouveaux. Cette facilité, qui existe en Suède, est impossible à organiser si le système ne fonctionne pas par points.

Comment passer des annuités aux points ? Inutile de se dorer la pilule : quand le système par annuités est aussi tarabiscoté que celui qui résulte en France de la réforme de 1982, ce n’est pas simple. Le méli-mélo qui a été fait entre durée d’assurance et âge à la liquidation rend toute réforme difficile. Difficile, mais non pas impossible. Le principe est de pratiquer une sorte de liquidation anticipée pour voir ce que les assurés sociaux percevraient comme pension à l’âge légal, s’ils s’arrêtaient de travailler au jour J de la réforme. On obtient ainsi le montant d’une pension, qui correspond à un certain nombre de points. Les assurés sociaux ont un compte, qui est crédité initialement de ces points, résultat de la conversion de leurs acquis antérieurs à la réforme, puis ensuite de ceux qu’ils gagnent selon les nouvelles règles.

Ce travail serait gigantesque, mais il pourrait s’accompagner d’une fusion des trois douzaines de régimes qui existent actuellement, ce qui – cerise sur le gâteau – engendrerait environ 3 milliards d’économie sur les frais de gestion annuels : l’investissement à réaliser serait certes important, mais aussi hyper rentable.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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