Retraites : les pouvoirs publics vont-ils finir par dire la vérité aux Français ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h32
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1401 EUROSLa pension moyenne des nouveaux retraités s'élevait à 1.401 euros bruts par mois.

La réforme des retraites ressemble décidément à l’Arlésienne, ce personnage d’un opéra de Bizet dont les acteurs parlent abondamment sans que jamais elle fasse son entrée en scène. Même une légère augmentation de l’âge réglementaire ouvrant droit au « taux plein », modeste ajustement paramétrique que des esprits peu avertis baptisent ingénument « réforme », est encore une mesure trop rude aux yeux de pouvoirs publics tétanisés par la pandémie.

Alors, bien sûr, il n’est pas question d’appeler un chat, « un chat », et de jouer cartes sur tables. Théâtre d’ombres, faux-semblants, voilà tout ce à quoi ont droit les Français, gouvernés par des personnes qui, soit ne veulent pas dire la vérité à leurs concitoyens, soit ne la connaissent pas eux-mêmes.

L’origine des retraites dites « par répartition »

Avant la guerre de 1939-1945, la France avait mis en place un système de retraites par capitalisation : les travailleurs cotisaient, et cet argent était placé, de manière à servir, bien des années plus tard, des pensions aux retraités. Les pouvoirs publics cédèrent à la tentation de choisir comme placement principalement des emprunts publics, dont une fraction seulement était réellement investie, la plus grosse partie servant à « boucher les trous » du budget de l’Etat.

La guerre, puis la débâcle des troupes alliées, n’arrangèrent évidemment pas les finances publiques : en 1941 les cotisations furent officiellement destinées à payer les pensions en cours, selon la formule dite « pay as you go ». La « répartition », au sens actuel de ce terme, naquit ainsi, à une époque oh combien difficile. Ensuite, nos gouvernants et législateurs se gardèrent bien de revenir à la constitution de réserves conséquentes : la retraite publique par capitalisation avait vécu ce que vivent les roses, de courts instants !

Le fonctionnement réel des retraites par répartition

Seul l’investissement prépare l’avenir. Les retraites dites par répartition ne dérogent évidemment pas à cette règle, qui n’est pas un artefact juridique, mais la nature même des choses. Concrètement, c’est la mise au monde des bébés, suivie de leur éducation et de leur entretien jusqu’à l’âge adulte, qui procure des cotisants, et donc des pensions. Logiquement, cet investissement dans la jeunesse, puisqu’il prépare factuellement la prise en charge des futurs retraités, devrait juridiquement être reconnu comme origine des droits à pension : de tels droits seraient logiquement attribués aux personnes qui mettent au monde des enfants, qui les entretiennent et les éduquent, ainsi qu’à celles qui versent de l’argent pour la formation, de la maternelle à l’enseignement supérieur, et pour partager avec les parents la charge de l’entretien des enfants.

En particulier, le budget de l’Education Nationale devrait provenir non pas de l’impôt, mais de cotisations procurant des droits à pension. Les parents de famille nombreuse compteraient principalement sur les droits à pension attribués en raison de l’exercice de la fonction parentale, tandis que les personnes n’ayant pas d’enfants, ou un seul, compteraient surtout sur leur contribution pécuniaire à l’entretien et à la formation des enfants des personnes plus fécondes.

Telle est, dans ses grandes lignes, la législation cohérente avec le fonctionnement réel des échanges entre générations successives : investir dans le « capital humain », celui de ses propres enfants, en tant que mère ou père, et celui de l’ensemble des enfants d’un pays donné, en tant que cotisants à une « Caisse Jeunesse » finançant notamment toute la formation initiale.

Le mensonge législatif qui nous étouffe

Actuellement, la réalité de l’échange entre générations successives n’est pas prise en compte par le Législateur. La loi fait cotiser pour les prestations familiales sans procurer en échange le moindre droit à pension. A de modestes aumônes près, les pensions sont attribuées non pas en fonction de ce qui a été fait pour les préparer (élever des enfants et financer l’instruction de la jeunesse), mais au prorata de ce qui est versé comme cotisations au bénéfice des retraités. Notre législation est donc foncièrement inadaptée ; elle n’est pas seulement injuste, dépouillant les parents de nombreux enfants au profit de ceux qui se sont limités à leur activité professionnelle, elle est aussi stupide et mensongère, faute de reconnaître le rôle économique fondamental de l’investissement dans le capital humain.

Ce mensonge législatif porte une lourde responsabilité dans le « grand remplacement » qui est en cours dans de nombreux pays développés. La France n’est pas le plus atteint : nos voisins italiens et espagnols, notamment, ont quelques longueurs d’avance sur nous dans la course vers la décrépitude démographique. Le Japon, avec ses 126 millions d’habitants (2 fois la France), fait de même. Cette lèpre démographique est pour une bonne part le résultat du benign neglect que les hommes politiques des pays développés ont adopté à propos de la démographie. Il faut ouvrir les yeux, ne pas continuer à légiférer « les yeux grands fermés », pour reprendre le titre du livre publié en 2010 par la démographe Michèle Tribalat. Le mensonge législatif relatif aux retraites sape les fondements mêmes des pays développés, dont la France. C’est un virus dont la dangerosité est comparable à celle de la Covid, mais dont nous pourrions nous débarrasser définitivement en quelques mois de travail législatif intelligent. Qu’attendons-nous ?

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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