Retraites : que faire ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h33
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@shutter - © Economie Matin
17,2 MILLIARDS €En 2025 le déficit du régime des retraites pourrait atteindre 17,2 milliards d'euros

Dans un précédent article j’ai expliqué à quel point nos hommes politiques étaient incompétents en ce qui concerne l’indispensable réforme de notre système de retraites. Il convient maintenant de leur donner le mode d’emploi qu’ils ne sont pas capables de trouver par eux-mêmes.

Je pourrais me borner à leur recommander la lecture de La retraite en liberté, ouvrage publié en 2017 avec l’appui de l’association Sauvegarde retraites, qui en a fourni un exemplaire à bon nombre d’hommes politiques, puisque ce petit ouvrage (il a la taille d’un Que Sais-je ?) contient l’essentiel de ce qu’il faut savoir pour réaliser rapidement une réforme cohérente des retraites dites « par répartition ». Une telle réforme donnerait à la France une longueur d’avance dans ce domaine où, il faut l’avouer, aucun pays n’a encore trouvé la formule adéquate. Mais combien existe-t-il d’hommes politiques prêts à lire 123 pages ? Je vais donc fournir ci-dessous un mode d’emploi beaucoup plus concis.

La réforme doit et peut prendre la forme d’un blitzkrieg.

Pourquoi vouloir faire traîner les choses ? Modifier petit-à-petit les règles du jeu aurait pour conséquence inéluctable d’inquiéter fortement les Français pendant une longue période et d’exposer la réforme à toutes sortes de remises en question. Il faut avoir l’esprit de décision, trancher dans le vif. Si la réforme n’est pas réalisée avant la prochaine élection présidentielle, il est probable qu’elle tournera court et que la France traînera indéfiniment ses 42 régimes tous basés sur une escroquerie du type Madoff.

Mais, dira-t-on, ce n’est pas possible techniquement, il faut procéder par étapes. Cette affirmation est inexacte. Il est possible de faire basculer rapidement la totalité de la population française dans le nouveau système fonctionnant par points. A partir du 1er janvier 2021, par exemple, les actifs ne percevraient plus leurs droits à pension que sous forme de points et dans le système unique que nous appellerons France retraites.

Cela ne veut pas dire que les institutions existantes disparaîtraient, remplacées par un coup de baguette magique. Chaque salarié du privé choisirait d’avoir son compte de points, soit dans sa CARSAT, soit dans l’institution Agirc-Arrco dont il dépend pour sa retraite complémentaire. Les salariés des régimes spéciaux ne changeraient pas de caisse de rattachement, non plus que les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, et l’Etat en créerait une, à partir de ses services gestionnaires des pensions, pour ses fonctionnaires. Les droits acquis sous l’ancien régime seraient progressivement exprimés en points, en commençant par les personnes les plus âgées.

Cette conversion en points des droits acquis avant la réforme prendra évidemment du temps, puisqu’il faudra faire des calculs équivalents à ceux d’une liquidation, mais l’important est qu’elle soit achevée, pour chaque assuré social, avant la liquidation de sa pension. Les personnes encore jeunes au moment du big-bang (la proclamation de la loi portant réforme des retraites et création de France-retraites) attendront quelques années avant de savoir le nombre exact de points acquis antérieurement au big-bang, mais cela ne détériorera nullement leur situation, puisqu’actuellement un travailleur en poste depuis seulement quelques années ignore en fait la valeur des droits qu’il a déjà engrangé.

Pour respecter le principe constitutionnel d’égalité, les personnes ayant liquidé leur pension avant le jour J verront leurs droits transformés quasi immédiatement en points, opération simplissime : si quelqu’un a une pension de 1 500 € par mois, et si la valeur de service du point est 10 € mensuels, il sera à la tête de 150 points. Cette transformation quasi immédiate permettra à tous les Français d’être égaux face aux modifications du montant de leur pension après sa liquidation. Si par exemple, une année, le point est réévalué de 1 %, ce sera vrai pour tout un chacun, anciens retraités comme nouveaux retraités.

La réforme doit remplacer le fonctionnement actuel de type Ponzi-Madoff par une formule économiquement rationnelle

J’ai expliqué mille et une fois qu’il fallait mettre en application la formule du démographe Alfred Sauvy, « nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations, mais par nos enfants ». Comme tout report de revenu d’aujourd’hui vers un futur plus ou moins lointain, les retraites se préparent en investissant. La capitalisation consiste à investir dans les entreprises, les infrastructures, les inventions ; ce qu’on appelle répartition, terme maladroit mais consacré par l’usage, consiste à investir dans le capital humain, principal facteur de production.

Autrement dit, les points devront être attribués pour la mise au monde, l’entretien et l’éducation des enfants par leurs parents, ainsi que pour les apports monétaires destinés à la formation (initiale et continue) et au financement de différents services nécessaires ou utiles pour passer du stade d’un ovule fécondé par un spermatozoïde à celui de jeune homme ou jeune fille apte à remplir un rôle productif. Cela va de la PMA, sans laquelle certains enfants ne verraient pas le jour, à l’ASE (Aide sociale à l’enfance), qui s’occupe des enfants maltraités par leurs parents, en passant pas les dépenses de fonctionnement des crèches, des écoles et de l’enseignement supérieur. Presque toutes ces dépenses sont aujourd’hui financées par des impôts, ce qui n’a aucun sens puisqu’il s’agit du financement d’un investissement : il faudra tout simplement les faire financer par une cotisation d’investissement dans la jeunesse, qui procurera des points de retraite. Les parents percevront également des points en reconnaissance des services éminents qu’ils rendent en élevant leurs enfants.

Tout cela peut être mis en place très rapidement. L’impôt sur le revenu, avec le système du quotient familial, pourrait constituer la matrice de la cotisation jeunesse, qui sera ainsi plus forte, à revenu donné, pour les personnes n’ayant pas, ou ayant peu, d’enfants à charge, que pour les pères et mères de famille nombreuses : les premiers apporteront surtout de l’argent pour le fonctionnement des services publics nécessaires au passage de l’enfance à l’âge adulte, tandis que les seconds apporteront surtout le soin qu’ils prennent de leur progéniture.

Un système de retraites basé sur cet échange entre générations successives sera beaucoup plus bénéfique pour l’économie et pour la natalité que le système actuel, dénué de toute logique. Actuellement, élever des enfants revient le plus souvent à tirer le diable par la queue entre 25 et 65 ans, puis à disposer d’une pension de misère alors que vos propres enfants cotisent (et donc travaillent) surtout au profit de ceux qui ont peu contribué à l’investissement dans la jeunesse. Cette spoliation des personnes qui mettent des enfants au monde et les élèvent est évidemment une cause importante de la faiblesse de la natalité, et donc des perspectives peu encourageantes à long terme pour les retraites par répartition.

Cela n’est hélas pas compris par les personnes qui gouvernent, légifèrent, ou représentent les travailleurs. Lors du débat sur les retraites organisé jeudi soir sur France 2, ni les deux membres du Gouvernement, ni les syndicalistes, ni les experts, n’ont évoqué le rôle de la démographie. Heureusement, une femme chef d’entreprise a eu le bon sens de le rappeler, mais aucun autre intervenant n’a rebondi sur ce point. Cela m’a fait penser à un colloque organisé au Sénat il y a environ un an, sous la présidence de JP Delevoye : sur une douzaine d’intervenants, je fus le seul à parler de ce facteur absolument décisif ! Nous sommes donc à des années-lumière de la compréhension du fonctionnement des retraites par répartition. Que nos dirigeants y comprennent enfin quelque chose, et la réforme pourra avancer !

Et la capitalisation ?

Les fonds de pension ne sont guère présent dans le schéma gouvernemental. Pourtant, ils devraient logiquement en faire partie ; leur absence ne permet pas d’offrir des perspectives acceptables aux personnes qui relèvent actuellement de régimes spéciaux ou de régimes de professions libérales.

Commençons par la douzaine de régimes d’indépendants tels que les médecins, les avocats, les experts-comptables, etc. Un certain nombre de ces régimes ont bénéficié d’une démographie très favorable, qui leur a permis de distribuer des rentes correctes en ne prélevant que des cotisations modérées, et de constituer des fonds de pension. Les pouvoirs publics, qui depuis des décennies n’ont pas compris grand-chose au fonctionnement des retraites, les ont laissé faire. Evidemment, cela ne peut pas durer, mais en revanche ce qui est engrangé est engrangé : il ne saurait être question de les dépouiller des réserves accumulées, pas plus qu’il n’est envisageable de confisquer celles de l’ARRCO-AGIRC. Ces placements doivent servir à maintenir ou constituer des fonds de pension, complément indispensable de la répartition. En effet, l’investissement dans le capital classique est tout-à-fait le bienvenu pour améliorer « l’ordinaire » que servira le régime unique.

Ces fonds de pension permettent en particulier d’apporter une solution à divers problèmes délicats tels que la pénibilité ou la dangerosité de certains métiers. S’il est vrai que telle fonction exercée par des agents de la SNCF ou de la RATP est particulièrement « usante » et légitime le passage à la retraite à un âge précoce, que la SNCF organise un ou des fonds de pension pour ces agents. Idem pour les militaires, qui risquent leur vie quand ils sont en opération, pour les ouvriers qui manipulent des matières toxiques, pour les soignants qui doivent soulever des grabataires, etc. Tous ces métiers méritent un supplément de rémunération, et il est intelligent que ce supplément soit versé sur un fonds de pension sans être immédiatement soumis à l’impôt sur le revenu. Des fonds de pension ad hoc permettraient de résoudre la question des régimes spéciaux : tout le monde serait au même régime pour la répartition, et la capitalisation permettrait de tenir compte des particularités.

Finalement, la réforme n’est pas si difficile à réaliser !

On se fait des idées noires, on croit que passez à un régime unique de retraites par répartition est quasiment la quadrature du cercle. Ce pessimisme est en grande partie mal fondé. Certes, il existe des difficultés bien réelles, techniques, psychologiques, sociologiques, politiques. Mais ces difficultés ne dépassent pas celles que doit résoudre l’état-major d’une très grande société, produisant des milliers d’articles ou de services différents, utilisant des dizaines de langues et d’unités monétaires, quand elles doivent s’adapter par exemple à une concurrence en provenance de concurrents situés dans des pays à main d’œuvre bon marché.

Ce que des dirigeants d’entreprises parviennent à faire, pourquoi nos dirigeants nationaux en seraient-ils incapables ? La réforme des retraites est à notre portée, pour peu que nos présidents, ministres et parlementaires se mettent à raisonner juste, à voir les choses telles qu’elles sont. Pour l’heure, ils pédalent dans la choucroute, essayant de résoudre un problème délicat à l’aide d’idées simplistes et archaïques. Ils ne connaissent pas le problème qu’ils essayent de résoudre. Qu’ils s’adressent à ceux qui le connaissent, et ils auront des solutions !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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