Deux numéros 1, celui des syndicats et celui des patronats, sont d’accord sur la nécessité de mettre au frigidaire la réforme des retraites. Ils ont entièrement raison pour ce qui est des discussions entre syndicats, organisations patronales et Gouvernement. En revanche, il serait très regrettable de ne pas employer cette période, au niveau gouvernemental et parlementaire, pour réfléchir sérieusement à cette question.
1/ Il nous faut une VRAIE loi retraites
Nos hommes politiques ont depuis longtemps oublié ce que devrait être une loi. Déjà, au début des années 1990, le Conseil d’Etat avait tenté d’expliquer à nos dirigeants que les lois ne doivent pas constituer des collections de dispositions techniques se substituant aux décrets et arrêtés, mais des textes explicitant les principes que doivent mettre en œuvre les citoyens, à commencer par ceux qui sont investis de hautes responsabilités. S’agissant de la sécurité sociale, cela veut dire ne pas se servir de la loi pour décider les valeurs à donner à certains paramètres : ce sont les ministères ou les directions des services publics ad hoc qui doivent en avoir la responsabilité. Les assemblées législatives sont, au sens juridique du terme, irresponsables ; on ne va pas renvoyer avant la fin de leur mandat 300 députés et 200 sénateurs parce qu’ils auront voté des sottises, comme un « âge pivot » à 60 ans et une « valeur de service du point » déraisonnable, aboutissant à un déficit important du système de retraites.
Hélas, dans l’état actuel du fonctionnement de nos pouvoirs publics, la loi est utilisée pour prendre ce genre de décisions techniques, que les pouvoirs publics négocient en amont avec les partenaires sociaux. Le résultat est une déresponsabilisation des personnes chargées de gouverner la sécurité sociale. Les personnes qui s’y connaissent et qui pourraient être rendues responsables de leurs choix sont court-circuitées : les décisions sont prises par des politiciens qui n’ont, pour la plupart, pas les compétences requises, sont sous l’influence des partenaires sociaux, et ne supportent pas les conséquences de leurs actes.
La loi retraites dont nous avons besoin ne doit donc surtout pas préciser un chiffre pour l’âge pivot, ou une liaison entre la valeur de service du point et le coût de la vie ou le PIB par tête : ce sont là des paramètres de commande qui doivent être laissés à la main du directeur de France-retraites (dénomination commode pour le régime unifié) et de son comité de direction. Nous avons besoin pour les retraites d’une VRAIE loi, pas d’une série de commandements votés par des incompétents.
2/ Ce que doit être une VRAIE loi retraites
Ce sur quoi députés et sénateurs devraient voter, si au sommet de l’Etat on avait des idées claires à propos de la sécurité sociale en général et des retraites en particulier, ce sont quelques principes de grande importance.
Premièrement, la création d’un régime unique, sans remplacement des « caisses » actuelles, qui resteraient chargées des rapports avec les assurés sociaux, mais n’auraient plus la main sur les paramètres de commande. Ces caisses auraient toute latitude pour proposer à leurs adhérents des compléments en capitalisation et pour gérer la relation client relative à la couverture maladie de leurs adhérents. Les spécificités professionnelles seraient ainsi respectées et ceux des assurés sociaux qui le voudraient pourraient bénéficier d’un interlocuteur unique pour tous leurs rapports avec la sécurité sociale.
Deuxièmement, le législateur établirait le « point » comme unité de compte pour les droits à pension, point identique quelle que soit la caisse d’affiliation. Il définirait le mode d’acquisition des points de manière rationnelle : non pas au prorata des cotisations vieillesse versées par l’assuré social, formule qui a fait des retraites par répartition une gigantesque pyramide de Ponzi, mais au prorata des investissements réalisés dans la jeunesse. Une partie considérable de nos impôts, en particulier tous ceux qui financent l’enseignement, serait ainsi justement valorisée, au lieu de rester un prélèvement obligatoire sans contrepartie. En revanche, les cotisations vieillesse deviendraient légalement ce qu’elles sont de fait : des redevances versées à nos aînés en reconnaissances de ce qu’ils ont fait pour nous. Le bon sens serait de retour : en répartition comme en capitalisation, les pensions seraient l’heureuse conséquence d’un investissement – dans les hommes pour la répartition, dans les entreprises, infrastructures et autres formes de capital productif, pour la capitalisation.
Troisièmement, la direction de France-retraites aurait les devoirs et les pouvoirs d’une direction de très grande entreprise nationale placée en situation de monopole. Mais il ne s’agirait pas d’un monopole sur la totalité des retraites : les régimes fonctionnant par capitalisation auraient toute liberté pour développer des compléments à la retraite par répartition. En particulier, la « récompense » due aux travailleurs qui effectuent des travaux dangereux ou pénibles prendrait systématiquement la forme de droits sur des fonds de pension, de façon que les employeurs n’aient pas la possibilité de se défausser sur France-retraites du soin de financer des pensions précocement attribuées pour pénibilité.
3/ Une réforme ou une révolution ? En tous cas, au travail !
Un législateur désireux d’exercer vraiment ses prérogatives, et de sortir des sentiers battus, trouverait dans la réforme des retraites l’occasion de réaliser un grand-œuvre, et surtout une œuvre très utile. Une telle loi déboucherait sur la fin des négociations stériles qui, périodiquement, font descendre dans la rue, encadrés par des apparatchiks syndicaux, des personnes auxquelles le B.A. BA du fonctionnement des retraites par répartition est totalement étranger.
Il ne s’agit pas d’aller complétement en territoire inconnu : indépendante de l’Etat, France-retraites fonctionnerait un peu comme aujourd’hui l’AGIRC-ARRCO, le régime complémentaire des salariés du privé, qui utilise la technique des points. D’autres régimes par points existent, notamment pour les professions libérales, très inquiètes du projet de réforme. Les réserves constituées, même si dans certains cas (par exemple celui des avocats) elles sont dues à la chance d’avoir une profession en pleine expansion démographique, ne devront pas être confisquées : la réforme ne doit pas pouvoir être assimilée à une opération de pillage des régimes « riches » par les régimes « pauvres ». Les réserves constituées devront au contraire servir au démarrage de fonds de pension qui donneront un exemple salutaire. A terme, que la retraite par capitalisation classique en vienne à représenter de l’ordre du tiers de la retraite par capitalisation humaine (dite répartition) serait une bonne chose.
Le changement doit être réalisé aussi promptement que possible après une préparation sérieuse, qui prendra certainement plus d’un an. L’important est que tout soit réalisé en l’espace d’un quinquennat, ce qui veut dire par une équipe arrivant au pouvoir en ayant déjà une idée très précise de ce qu’elle fera comme réforme des retraites. La réforme Macron, même si un virus ne l’avait pas mise au placard, n’était pas assez bien conçue pour réussir. Si des hommes politiques veulent en préparer une, sérieuse, pour le prochain quinquennat, ils doivent s’y mettre tout de suite !