Pour une réforme des cotisations et contributions sociales

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Par Jacques Bichot Publié le 3 février 2020 à 5h33
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22%Le montant des charges salariales représente 22 % du salaire brut.

Les cotisations dites « sociales » qui alimentent les caisses de la sécurité sociale et de divers organismes eux aussi « sociaux », par exemple l’assurance chômage, sont divisées en cotisations dites « patronales » et cotisations dites « salariales ». Cela complique singulièrement la compréhension du financement de nos assurances sociales (au sens large du terme). Pourquoi cette dualité systématique ? Pourquoi distinguer entre un salaire « brut » et un salaire « super-brut » ? Pourquoi ne pas, comme pour les « contributions » (CSG et CRDS), tout traiter en tant que prélèvement sur le salaire brut ?

Les vestiges d’une longue histoire

Comme souvent, l’explication est historique. Les prélèvements sur la rémunération des salariés ont été institués progressivement, et modifiés à maintes reprises. Chaque équipe gouvernementale et chaque assemblée législative (la Chambre des députés et le Sénat) veulent avoir « du grain à moudre » ; il en va de même des « partenaires sociaux », organisations patronales et salariales : les modifications apportées au système de protection sociale et à son financement constituent une part conséquente de leur activité. Certes, il est peu probable qu’un président de la République, un ministre, un parlementaire, avoue qu’il travaille à traficoter toutes sortes de dispositifs, dont les cotisations sociales, pour que lui-même ait l’impression d’agir, et que les citoyens croient que leurs dirigeants dirigent, mais c’est la réalité. Chaque homme politique, chaque parti, veut faire parler de son « action au service du peuple », et pour cela légiférer et réglementer à tour de bras. D’où la multiplication des changements inutiles, d’autant plus nombreux dans le domaine de la protection sociale qu’il s’agit d’un domaine « on the spot », dont les citoyens voient l’utilité et souhaitent l’amélioration.

Au point de départ, les initiatives vinrent des employeurs. Jadis, les travailleurs indépendants avaient des guildes et autres associations destinées pour une part à les protéger contre les malheurs de la vie. Ceux d’entre eux qui employaient des « compagnons » mettaient en place des organisations permettant de leur assurer, à eux aussi, une certaine protection contre les risques de l’existence. Quand les manufactures firent leur apparition, ouvriers et employés furent parfois traités très durement, mais des patrons « sociaux » cherchèrent le moyen de leur procurer des dispositifs protecteurs autres que l’assistance aux malheureux pratiquée depuis longtemps par les institutions ecclésiales. Les sociétés de secours mutuel se différenciaient des institutions de bienfaisance : elles demandaient à leurs membres de cotiser dans une optique assurantielle.

Le patronat vit le parti qu’il pouvait tirer de cette évolution de la charité médiévale à la sécurité sociale, expression qui constitue le titre d’un bon ouvrage sur cette question. Il voulut obtenir simultanément deux résultats : d’une part, responsabiliser les salariés en les faisant cotiser ; d’autre part, adopter une posture de bienfaiteur en apportant visiblement son écot. Economiquement, la participation des employeurs constituait une fraction de la rémunération des salariés, tout comme leur salaire brut. Mais juridiquement, socialement et psychologiquement, c’était un apport volontaire du patron, manifestation de sa générosité. Sans exclure la possibilité que certains patrons réellement généreux aient de fait réduit leur marge bénéficiaire en payant ces cotisations, il est hautement probable que globalement le patronat n’a pas agi contre ses intérêts. Bien au contraire, il tirait avantage du fait qu’il était considéré comme généreux, prélevant sur ses deniers pour secourir les travailleurs, alors qu’en réalité les créations et augmentations de cotisations patronales s’imputaient le plus souvent sur la croissance des salaires. Les importants gains de productivité rendaient possible une augmentation importante du coût de la main-d’œuvre, augmentation répartie entre salaire brut et cotisations patronales. Economiquement, réellement, les cotisations dites patronales n’ont jamais été que des cotisations salariales déguisées, prélevées comme les cotisations salariales sur la rémunération des salariés ; mais juridiquement et pour l’opinion publique elles ont passé, et elles passent encore, pour une « charge » pesant spécifiquement sur les entreprises.

Résultat : la réalité économique occultée par une législation onirique

Ce mensonge relatif aux cotisations officiellement patronales a été érigé en vérité coulant de source. La magie du verbe a suffi pour faire croire à la plupart des personnes qui s’occupent de ces questions qu’il y a deux contributeurs alimentant en parallèle (comme on dit pour les circuits électriques) les organismes de protection sociale. En réalité, il existe bien deux contributeurs , mais en ligne : l’employeur, qui débourse l’intégralité de la rémunération des salariés, et donc des cotisations, qu’elles s’appellent patronales ou salariales ; et les salariés, qui ne paient visiblement, juridiquement, que les cotisations salariales, mais dont la rémunération est en fait le salaire super-brut, sur lequel sont prélevées toutes les cotisations, patronales aussi bien que salariales.

Nous avons là un bel exemple de magie juridique, qui dissimule la réalité économique et amène la majorité des acteurs à utiliser des notions purement imaginaires. Ce phénomène ressemble à celui que nous exposons fréquemment à propos des retraites par répartition : une fiction juridique permet d’attribuer les droits à pension au prorata des cotisations versées pour entretenir les retraités actuels, alors que lesdites cotisations n’ont pas la moindre utilité pour préparer les pensions futures, puisqu’elles ne sont pas épargnées et investies, mais intégralement dépensées, au fil de l’eau, au profit des retraités actuels.

Le droit positif a, dans ces deux domaines, été construit en opposition avec la réalité ; il procure des droits à pension totalement arbitraires, et donne aux représentants des entreprises un statut de partenaires sociaux fondé sur une mauvaise raison : le versement de cotisations prétendument patronales, alors que la bonne raison est la place de l’entreprise à l’origine de la totalité des revenus salariaux et des cotisations sociales. Là encore, les circuits électriques fournissent une comparaison éclairante : si les chefs d’entreprise et les salariés sont partenaires sociaux c’est parce qu’ils sont les uns et les autres, conjointement, à l’origine de la production, et donc du revenu ; c’est leur rôle de générateur électrique qui importe, pas le rôle mythique que des législateurs leur ont attribué en tant que fils conducteurs les uns d’un courant d’origine patronale et les autres d’un courant d’origine salariale.

Que faire ?

Il est indispensable que le législateur mette la loi en harmonie avec la réalité économique. Les cotisations patronales doivent donc être supprimées et remplacées par un accroissement des cotisations salariales. La distinction entre salaire brut et salaire super-brut (salaire brut plus cotisations patronales) n’aura plus de raison d’être : seule subsistera la notion de salaire brut, correspondant à l’actuel salaire super-brut.

Ce changement n’affectera ni les organismes employeurs, ni les salariés : les premiers ne débourseront ni plus, ni moins ; et les seconds ne recevront ni plus, ni moins. Les fiches de paie seront nettement plus simples : la colonne « cotisations patronales » disparaîtra. De plus, on pourra en profiter pour réduire le nombre de cotisations et « contributions », en effectuant des regroupements.

La grande vertu de l’opération sera de faire prendre conscience aux salariés de l’énormité du prélèvement qu’ils supportent. Actuellement, ils peuvent croire qu’augmenter encore et encore les prestations sociales est possible sans que leur revenu disponible diminue, dès lors que seules les cotisations patronales seraient majorées. Cela est faux, parce que les employeurs soumis à cette dépense supplémentaire sont évidemment enclins à compenser en freinant les augmentations de salaire ; mais ce n’est pas facilement perceptible par tout un chacun, si bien que les réticences très compréhensibles des chefs d’entreprise vis-à-vis des augmentations du salaire brut demandées peu après des augmentations de « charges patronales » sont comprises comme des refus d’augmentations légitimes. Cela contribue bêtement à détériorer le climat social. Un bulletin de paie conforme à la réalité économique, c’est-à-dire indiquant clairement tout ce qui est prélevé sur la vraie rémunération du salarié (le super-brut), clarifierait considérablement les rapports entre salariés et employeurs.

Parmi tout ce qui serait à faire dans le cadre d’une réforme destinée à manifester la vérité actuellement occultée, indiquons simplement combien il serait utile de remplacer les diverses « contributions » par des cotisations en bonne et due forme. Ces prélèvements, comme la chauve-souris de Jean de La Fontaine, peuvent être présentés soit comme des impôts (oiseaux), soit comme des cotisations (souris), selon la personne à laquelle on s’adresse. Remplaçons ces hybrides souris-oiseaux (cotisations-impôts) par de vraies cotisations si elles servent à ouvrir des droits ou à rembourser des apports antérieurement reçus, ou par de vrais impôts si elles ne remplissent ni l’une ni l’autre de ces conditions.

En somme, faisons ce que le bon sens conseille pour y voir plus clair, pour nous débarrasser des faux-semblants qui parasitent le droit de la sécurité sociale ; demandons aux juristes et aux économistes de travailler de concert ; et ne mettons pas « aux manettes » pour réformer notre chère sécu des personnes qui n’y connaissent rien. Plus facile à dire qu’à faire ? Certes, mais si on ne commence pas par le dire, quel espoir peut-il y avoir d’améliorer un jour notre système social ?

1 On pourrait aussi dire « trois », en commençant par le client, sans lequel l’entreprise n’aurait aucun revenu.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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