La création de valeur consiste à mener des actions qui accroissent - pour différents acteurs économiques - la valeur de biens et services donnés. Cette notion est donc polymorphe et dépendante de plusieurs variables : l’identité de l’acteur, la nature du bien ou du service concerné.
La création de valeur pour l’un peut signifier perte de valeur pour l’autre.
Ainsi, à titre d’exemple, lorsque un acteur économique acquiert une voiture, il injecte, de façon éphémère (en simplifiant à l’extrême), de la valeur pour la chaine de production et de commercialisation (de l’industriel au distributeur), mais en même temps impacte plus ou moins la valeur de son patrimoine. En effet, il échange contre de la monnaie ayant une valeur donnée, un actif qui dès sa minute de sortie d’usine s’use, donc s’amortit, donc perd de la valeur.
En pratique, l’amortissement est constaté sur 5 ans pour les véhicules particuliers. C'est-à-dire qu’à partir de 5 ans, le véhicule acquis ne vaut comptablement plus rien, donc que l’acheteur a en 5 ans plus ou moins obéré son patrimoine de la valeur de cet actif[i].
Mais est-il juste d’appliquer systématiquement ce principe sachant que « l'amortissement est la diminution de la capacité de générer des avantages économiques futurs d'une immobilisation corporelle, constatée à la fin d'un exercice ». Un véhicule cessera-t-il de produire un avantage économique au jour anniversaire de sa 5ème année ? L e véhicule est-il pour autant dangereux, ses pièces sont-elles pour autant usées ? Cesse-t-on de l’utiliser le jour de ses cinq ans…Non, bien sûr… D’autant moins que chaque propriétaire est incité réglementairement à entretenir celui-ci.
Or, la valeur injectée au véhicule par son entretien ne se retrouve pas dans sa valeur amortie et comptabilisée . Il s’agit pourtant bien d’une action qui au pire maintient, au mieux accroit la capacité du véhicule à offrir un avantage économique.
Et il en va de même pour toutes les classes d’actifs. Il faut aller sur le marché de la seconde main pour trouver une pratique qui prend plus ou moins en considération ce maintien de valeur, c'est-à-dire que la valeur de l’actif in fine n’est pas nulle mais au moins égale à la valeur annuellement injectée et elle-même amortie pour conserver l’actif en question en état de fonctionnement sûr et optimal.
La notion de « valeur augmentée »
Ce concept trouve déjà des applications pratiques : dans le domaine du matériel médical dont on connaît les coûts, l’armée américaine [ii] a publié un manuel de calcul d’optimisation de la conservation des actifs non pas en fonction de leur valeur comptable mais de leur temps d’usage. Tant que le service rendu par l’actif – l’avantage économique - l’est de façon sure et efficace, à un coût inférieur à la valeur de remplacement, celui-ci est conservé. Sa valeur est donc calculée non plus sur son « obsolescence comptable programmée » mais sur son temps d’usage réel, les critères n’étant plus comptables mais opérationnels.
Quel lien avec la dette publique?
Contraints par des ratios prudentiels et un fort désamour pour la prise de risque, les acteurs financiers fondent leur financement sur deux éléments impactant directement les taux d’intérêts, le coût auquel le marché accepte de prêter :
(1) la valorisation des contreparties,
(2) le calcul d’un ratio d’endettement qui rapporte la dette à la valeur totale des actifs.
En effet, le montant des financements possibles est construit sur une prise de garantie sur les dits actifs qui doivent, de ce fait, couvrir la totalité de la dette souscrite majorée d’un « écart de crédit » donné, c'est-à-dire l’écart dans le temps avec la rémunération que le financeur aurait pu obtenir s’il avait souscrit avec les mêmes capitaux à un support sans risque .
En cas de défaut, le financeur peut alors se rembourser par la vente des actifs en question. Or, si la valeur dans le temps de l’actif en question est mal analysée, il y a de fortes chances pour que le financement ne se fasse pas, ou à un coût prohibitif.
De même, si les actifs sont structurellement sous-évalués, le ratio d’endettement sera mécaniquement haut, donc l’emprunteur considéré comme potentiellement plus risqué jusqu’à en perdre son triple A.
Rapportée à l’échelle d’un pays, une meilleure lisibilité de la valeur réelle des actifs de celui-ci pourrait ainsi :
(1) améliorer mécaniquement son ratio d’endettement,
(2) améliorer ses capacités de financement par une identification facilité des contreparties, notamment afin de créer des actifs générateurs de valeur,
Ou au contraire montrer que les bons élèves ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit…En effet, le politique qui a choisi de sacrifier la création de valeur dans le temps à l’obtention d’une soulte immédiate grève plus surement les capacités de reprise du pays qu’il gouverne que quiconque. Mais nous y reviendrons dans le prochain épisode de cette chronique: Dette et création de valeur.
En tout état de cause, il se trouve très probablement des ressources insoupçonnées nichées dans ces temps d’usage des actifs différents de leur « temps comptable », nichées aussi dans cette maintenance que l’on persiste à considérer comme une charge alors qu’elle « recharge » en quelque sorte la valeur de l’actif auquel elle est consacrée. Leur mobilisation ne tient qu’à leur identification formelle au sein du processus économique. Pourtant, et bien qu’encouragé par les normes internationales, cet effort dans la connaissance des actifs de la Nation n’apparaît pas aux programmes des actuels postulants à la magistrature suprême. Il pourrait pourtant apporter cet espace de respiration qui aujourd’hui fait tant défaut à nos économies.