Les Franciliens auront pu au moins se réjouir d'un bénéfice inattendu de la pollution, le mois dernier. Pour la première fois en Île-de-France, la gratuité des transports publics a été offerte ce mois-ci pendant toute la durée de la circulation alternée à Paris et dans les départements limitrophes de la capitale.
Cela n'a été l'affaire que de quatre jours. Ça n'en constitue pas moins un événement d'une importance considérable.
Le président de la RATP Pierre Mongin y a vu une "occasion formidable de faire découvrir les transports publics à des automobilistes qui n'ont peut-être pas tellement l'habitude de les prendre." C'est aussi l'occasion rêvée de débattre ici d'une question que j'avais eu l'occasion de lui poser en 2009 : "Pourquoi ne pas offrir la gratuité des transports publics tout le temps, à tout le monde ?"
Les prémisses sont simples. Ils nous sont exposés depuis 30 ans par l'excellent Jean Poulit, polytechnicien, ingénieur des Ponts-et-Chaussées et ancien directeur général de l’Institut Géographique National (IGN). Il explique qu'accroître la vitesse des transports ne permet pas aux voyageurs de gagner du temps mais d'allonger la distance qu'ils sont disposés à parcourir. Car des observations précises ont permis de conclure que les individus disposent d'un "budget" constant de temps de transports (moins de 1,5 heure par jour en moyenne selon Jean Poulit ; environ 1 heure selon l'ingénieur israélien Yacov Zahavi). Plus loin ils peuvent aller dans ce laps de temps, meilleur est leur accès à davantage d'opportunités d'emploi, de loisirs ou de commerce (selon la formule dv2 densité de la zone géographique considérée et v la vitesse). Autrement dit, la vitesse des transports a un impact direct sur l'activité économique. Jean Poulit a même rationalisé que les transports déterminent 40% du PIB.
Si l'on admet que la constante de temps, pas de distance, est la clé pour comprendre comment les individus gèrent leurs besoins de transports, on réalise alors que notre approche des infrastructures de transports doit changer du tout au tout. La question essentielle devient : comment optimiser l'heure et demi de transport journalier des Franciliens pour accroître le développement économique d'une région qui en a bien besoin ?
Un élément de réponse est que la rentabilité des investissements dans les infrastructures de transport ne doit pas être mesurée en termes de temps gagné par les voyageurs, mais en terme d'élargissement de la zone d'action de tous ces agents économiques individuels. Par ailleurs, le dynamisme de l'économie étant directement proportionnel à la vitesse des transports, il en découle que toute initiative dont le dessein ou la conséquence est le ralentissement les transports, a un impact négatif direct sur l'économie. Or c'est précisément ce qui se passe lorsqu'on fait payer les usagers des transports publics ou que l'on limite la circulation automobile.
Ce dernier point est une constante des efforts déployés depuis une vingtaine d'années en Île-de-France. La création de voies réservées aux bus dans Paris a réduit la capacité de la circulation automobile de 30%. L'élimination des voies sur berge Rive Gauche est le cauchemar des automobilistes, à commencer par tous ceux qui arrivent des banlieues de l'Est de Paris. Les chauffeurs de taxis ont vu le nombre de leurs courses dans la capitale divisé par deux ces dernières années, tandis que leurs frais sont en hausse constante. Mais leur colère récente contre les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) se trompe de cible. Qu'ils adressent plutôt leurs doléances à la Ville de Paris, qui a provoqué une explosion de la congestion automobile au fil de mesures souvent dictées par l'idéologie anti-voiture promue par les écologistes.
Il ne s'agit pas de faire ici l'apologie de la voiture, mais de reconnaître que le transport automobile reste souvent le plus adapté pour nombre de résidents, en particulier sur les trajets entre banlieues. Restreindre la circulation automobile dans Paris entraîne des conséquences dommageables pour toute la région. A cet égard, la Ville de Paris a fait preuve au fil des années d'un conservatisme et d'un égoïsme choquants. Il est devenu urgent de libérer les transports, y compris la voiture !
Sans compter que si on veut vraiment réduire la pollution automobile, on ne crée pas des embouteillages ! On aide au contraire la circulation à rester fluide, grâce par exemple à un système de signalisation intelligent qui s'adapte aux différents flux de la journée. Les technologies actuelles, aidées de capteurs sensoriels, permettraient de restaurer l'agent de la circulation d'antan. Il est temps d'en finir avec les arrêts inutiles à des feux rouges centralisés et animés par des minuteries archaïques des années 1950. Faisons preuve de créativité et investissons à bon escient.
Enfin, pourquoi la gratuité des transports publics ? Parce que ceux-ci constituent un rouage essentiel de ce bien commun qu'est le dynamisme économique. L'obligation de se munir d'un ticket est un frein à l'usage. Quand il n'en bloque pas l'accès, il le ralentit.
J'entends déjà les critiques sur le financement d'un tel projet, quand on sait que la gratuité récente des jours de circulation alternée aurait coûté à la RATP un manque à gagner de 2,5 millions d'euros par jour.
Soulignons que les recettes voyageurs constituent à peine 5% de la rémunération de la RATP. Elles sont aussi une source de conflits avec certains voyageurs notamment lors des contrôles, avec un stress sur les collaborateurs et un détournement des ressources humaines vers la vérification des titres plutôt que l’accueil ou l’assistance.
Il faut bien évidemment modifier le modèle de financement actuel afin de récompenser la RATP sur d'autres critères que le nombre de tickets vendus. Il me semble assez simple d’évaluer ses performances sur le nombres de trajets quotidiens. Une source évidente de financement serait les impôts locaux dans la mesure où toute la région serait bénéficiaire.
Le PDG de la RATP, Pierre Mongin n'est pas fan du projet, loin s'en faut. En 2009, il n’avait même pas daigné répondre à ma question. Son argument semble être que les voyageurs doivent payer pour respecter le service—question de responsabilisation individuelle.
Je crois surtout que la RATP, déjà empêtrée dans la gestion de lignes saturées, redoute l'impact supposé de la gratuité sur le nombre de voyageurs réguliers. Or cette mesure augmenterait, à mon sens, les usages hors période de pointe : les usages quotidiens aux heures d’arrivée et sortie de bureau sont déjà largement arbitrés par les usagers (tout ceux qui peuvent éviter de prendre la ligne 4 à ces heures le font).
Je soupçonne aussi la RATP de vouloir éviter une source de négociation supplémentaire avec le STIF (Syndicat des Transports d'Île-de-France) qui constitue la principale source de financement (95% pour être précis, en vertu de ce contrat).
À quand un examen courageux d'une réforme nécessaire et radicale des transports en Île-de-France ? Notre économie en dépend.