Comment un conducteur de la RATP, auparavant auteur de 23 accidents, n'est toujours pas jugé, près de trois ans après avoir tué un homme en percutant sa voiture à pleine vitesse ?
Ce 5 février 2016, Mme David et toute sa famille attendent l'ouverture de l'audience du tribunal correctionnel de Créteil. Ils attendent ce moment depuis plus de deux ans. Depuis que le 19 juin 2013, le mari de Mme David a été tué par un bus de la RATP qui a percuté à pleine vitesse la voiture du couple. Mme David a été blessée comme certains passagers du bus.
23 accidents en cinq ans
L'instruction a été longue mais fertile. Elle a établi que le conducteur du bus envoyait un SMS au moment des faits. La tête penchée vers ses genoux, il ne pouvait pas voir la voiture devant lui. L'employé de la RATP n'en était pas à son premier exploit. Son palmarès, reconstitué par le juge, ne comporte pas moins de vingt trois accidents en cinq ans au volant de son bus. Son casier judiciaire n'est pas en reste : trois condamnations pour délits routiers, cinq autres condamnations pour violence en réunion, outrage à agent, violence aggravée et vol aggravé en récidive. On notera que, malgré ce pédigrée, la RATP a continué à confier le sort de ses usagers à ce danger ambulant.
Mme David a patiemment attendu que justice soit rendue à son mari. Le procureur a donné son feu vert au renvoi devant le tribunal correctionnel mais il a fallu patienter encore un an pour que l'affaire soit appelée à l'audience.
Les droits des victimes piétinés
Ce 5 février 2016, vingt quatre autres affaires se bousculaient devant les juges. D'autorité, les magistrats ont en renvoyé plus de la moitié à une autre audience... au mois de mai. Le danger public est reparti les mains dans les poches vers ses activités. Mme David s'est effondrée en larmes.
Au tribunal de Créteil, c'est tous les jours qu'on piétine ainsi les attentes et les droits des victimes. Au tribunal de Créteil, il manque 18 juges du siège et 4 magistrats au Parquet. Les postes ne sont pas pourvus. Alors on renvoie les dossiers à la pelle. Sans un mot pour les familles des victimes. Les magistrats n'ont pas le temps. Ils sont à cran. En début d'année, les nouveaux responsables du tribunal ont solennellement prévenu : le tribunal est totalement saturé, la justice française est asphyxiée.
Des mois d'attente pour une procédure d'urgence en référé
Car ailleurs, c'est le même drame. A Paris, comme en province, on attend pendant des années une audience correctionnelle pour un accident et des mois pour une procédure d'urgence en référé. Les jugements sont souvent rendus plusieurs mois après et il faut encore patienter de longues semaines avant qu'ils soient tapés. On manque de juges, de greffiers, de secrétaires, de papiers, de cartouches pour les photocopieuses. De guerre lasse, le tribunal de Bobigny, une des plus grosses juridictions de France, vient de supprimer 32 audiences par mois. Les files d'attente vont encore s'allonger. Les victimes, elles, n'ont plus que leurs yeux pour pleurer.
Qui aura le courage, parmi nos élus, de dire au pays que sa justice est en train de mourir et de nourrir ainsi le désespoir et l'exaspération de dizaine de centaines de milliers justiciables ? Qui aura le courage de dire que cette tragédie est bien plus grave pour notre démocratie que les guerres absconses sur la déchéance de nationalité ? On attend, au pied de ce mur, le nouveau ministre de la Justice.