Dans un rapport publié le 5 juin (source : "Greece : Ex Post Evaluation of Exceptional Access Under the 2010 Stand-By Arrangement" - FMI), le FMI fait son mea culpa en avouant avoir commis quelques erreurs lors du premier plan d'aide accordé à la Grèce en mai 2010 ("Stand-By Arrangement program").
Sans remettre en cause le fait qu'un plan d'aide était nécessaire pour éviter l'implosion de la Grèce et une sortie de la zone euro, le FMI s'interroge sur le fond et la forme des mesures mises en places, en concédant (1) qu'avec le recul, il aurait été préférable que la dette grecque soit restructurée des 2010 et non pas lors du Private Sector Involvment de 2012, (2) que les prévisions de croissance étaient trop optimistes, principalement à cause d'une mauvaise estimation du multiplicateur fiscal (lire "Le FMI s'est-il réellement trompé dans son calcul sur l'impact de l'austérité ?" pour + d'infos) (3) que la coopération entre la Troïka (FMI, BCE, Commission Européenne) n'a pas été si bonne que cela, avec des divergences de points de vue entre les institutions et une organisation du travail loin d'être parfaite et (4) que la résistance politique grecque et la faible implication du gouvernement grec pour améliorer réellement la situation du pays n'avaient pas été bien anticipées. Autant vous dire que lorsque cela vient d'une source officielle du FMI, c'est le signe que la situation réelle sur le terrain était sacrément bordélique...
La Grèce était incapable de se financer sur les marchés en 2010
Retour sur les faits. A partir du début de l'année 2010, les taux d'emprunts grecs commencent à augmenter à un rythme inquiétant, à cause du doute des investisseurs sur la capacité de la Grèce à rembourser sa dette. Suite à une dégradation de S&P, les taux grecs à 10 ans s'envolent en avril 2010, passant d'environ 5% au début de l'année à près de 13% ! Autant vous dire qu'avec des taux à ce niveau, la Grèce était totalement incapable de se financer sur les marchés.
C'est alors que la troïka décide d'intervenir en prêtant directement de l'argent à la Grèce, sous condition de la mise en place par le gouvernement de réformes ayant pour but de remettre le pays dans le droit chemin. Un plan de sauvetage de 110 milliards est alors adopté, dont 30 milliards à la charge du FMI. Le plan de sauvetage prévoyait alors donc toute une série de réformes, ayant pour but de relancer la compétitivité via une dévaluation interne par la baisse des salaires (car dévaluation "classique" impossible par définition dans une zone monétaire) et de rééquilibrer les finances publiques, via une baisse des dépenses publiques et une hausse des taxes (+ privatisation).
Mais le plan ne fonctionne pas comme prévu, l'effet de la cure d'austérité et de la baisse des salaires, avec en plus une reprise au niveau mondial qui se fait attendre, entraîne un énorme décalage entre les prévisions du plan de sauvetage et la réalité. Entre 2009 et 2012, le plan de sauvetage tablait sur une baisse du PIB réel de 5,5%, alors qu'en réalité, la baisse a été de ... 17 % !
Les raisons invoquées pas la Commission sont triples (et ce sont les raisons invoquées dès 2010 lorsque le FMI avait voulu discuter d'une potentielle restructuration) : (1) une restructuration ou annulation de dette engendre un hasard moral qui aurait pu donner de mauvaises idées aux autres pays, du style "pas grave, on a juste à faire des conneries et après on annulera notre dette", (2) cela aurait été désastreux à l'époque pour les banques grecques qui détenaient énormément d'obligations souveraines grecques et (3) cela aurait entraîné une contagion aux autres pays en difficulté, pouvant même aller jusqu'à créer un "nouveau Lehman Brothers".
Le FMI semblait vouloir faire payer les créanciers privés en restructurant la dette
Il est vrai qu'en attendant deux années avant de restructurer la dette (de 2010 à 2012), cela a permis aux différents acteurs de mieux amortir le choc en liquidant petit à petit leurs actifs souverains grecs, tout en évitant une contagion aux autres pays en difficulté. Mais cela a bien évidemment un effet négatif majeur ; si le secteur privé a été relativement épargné (par rapport à une restructuration directe dès 2010), cela s'est fait mécaniquement au dépend du secteur public, qui a dû racheter de la dette souveraine grecque. Et au final, n'oubliez jamais ce magnifique proverbe "Si vous ne savez pas qui paie… C’est que c’est probablement vous !".
"In the event, the SBA-supported program served as a holding operation. On the positive side, moving ahead with the Greek program gave the euro area time to build a firewall to protect other vulnerable members and averted potentially severe effects on the global economy. However, not tackling the public debt problem decisively at the outset or early in the program created uncertainty about the euro area's capacity to resolve the crisis and likely aggravated the contraction in output. An upfront debt restructuring would have been better for Greece although this was not acceptable to the euro partners. A delayed debt restructuring also provided a window for private creditors to reduce exposures and shift debt into official hands. As seen earlier, this shift occurred on a significant scale and limited the bail-in of creditors when PSI eventually took place, leaving taxpayers and the official sector on the hook."
Le FMI semblait donc vouloir faire payer les créanciers privés dès 2010 en restructurant la dette et en évitant que cela ne passe dans les mains d'acteurs publics (en tout cas c'est ce qu'ils affirment maintenant), au risque que cela entraîne un séisme via écroulement d'institutions bancaires et contagion aux autres pays. Sûrement plus facile à dire maintenant avec le recul pour le FMI, mais personnellement, je ne suis pas persuadé que cela aurait été nécessairement une meilleure solution.
C'est d'ailleurs un gros sujet de dispute entre le FMI et la Commission, cette dernière accusant le FMI d'être davantage habitué à mettre en place des plans de sauvetage dans des pays émergents ayant leur propre monnaie (donc possible dévaluation monétaire) et de ne pas tenir compte de l'interconnexion entre les pays de la zone euro.
Des réformes difficiles à mettre en place à cause d'hommes politiques grecs incompétents
Comme vous pouvez le sentir, ce n'est pas la grande entente entre le FMI et les institutions européennes, et cela est confirmé à demi-mot dans le rapport du FMI, lorsque le rôle de la troïka (FMI, BCE, Commission Européenne) est évoqué. Quand, après avoir dit qu'il y avait des divergences et que les rôles de chaque institution n'étaient pas clairs, vous concluez, dans un rapport officiel où il faut normalement montrer une parfaite entente, que la coordination "semble avoir été plutôt bonne étant donné les circonstances", il y a tout de même fort à parier que sur le terrain cela a dû être sacrément épique (cela reste mon interprétation personnelle).
"None of the partners seemed to view the arrangement as ideal. There were occasionally marked differences of view within the Troika, particularly with regard to the growth projections. However, the Troika in general seems to have pre-bargained positions so that differences were not on display to the authorities and did not risk slowing the program negotiations. The three institutions also have different internal procedures and the program documentation is voluminous, overlapping, and subject to varying degrees of secrecy. Nonetheless, coordination seems to have been quite good under the circumstances."
Pour finir, et sans trop m'étendre sur le sujet, le rapport du FMI évoque la difficulté de mise en place des réformes et, pour le dire avec mes propres mots mais en prenant deux citations, le fait que les hommes politiques grecs sont entre incompétents ("Major contributory factors to this lack of success were poor implementation of reform by the authorities, adverse political developments, and inconsistent policy signals by euro leaders") et malhonnêtes ("Other lessons drawn concern the need to find ways to streamline the Troika process in the future and for Fund staff to be more skeptical about official data during regular surveillance.")
Conclusion : "Il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis" ! Dans la lignée de son méa-culpa sur sa mauvaise estimation de l'effet des consolidations fiscales en période de crise (mauvaise estimation du multiplicateur), le FMI tire les leçons des erreurs commises en Grèce lors de la mise en place du 1er plan de sauvetage en 2010. Sans remettre en cause le fait que des réformes structurelles étaient nécessaires et qu'il fallait absolument rééquilibrer les finances publiques, le FMI révèle au grand jour les divergences entre les institutions sur ce qui aurait été la meilleure solution pour résoudre le problème grec.
Cette évaluation n'a rien d'exceptionnel sur la forme, le FMI se livre toujours à ce genre d'exercice après un plan d'aide (par exemple, exactement sur le même format "Iceland: Ex Post Evaluation of Exceptional Access Under the 2008 Stand-by-Arrangement")... Mais le fond est assez "exceptionnel" ; une remise en cause du système de résolution de cette crise pose la question "finalement, cette crise de la dette européenne, qui a réellement commencé en Grèce en 2010, aurait-elle pu être évitée si cela avait été géré autrement dès le départ" ! Le Captain' reste convaincu qu'un jour ou l'autre, une grande vague de restructuration des dettes aura lieu dans tous les pays où la dette est insoutenable à long-terme. Mais qui va payer cela ? "Si vous ne savez pas qui paie... C'est que c'est probablement vous !".