Rachat par endettement : l’acquisition de SFR par Numericable peut-elle redynamiser le secteur ?

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Par Matthieu Lambert Modifié le 19 mai 2015 à 15h27
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@shutter - © Economie Matin
1,1 MILLIARD €Pour mener à bien le rachat par endettement de SFR, Patrick Drahi compte économiser 1,1 milliard d'euros par an.

Les rachats par endettement, Leverage Buy-Out (LBO) en anglais, semblent ne plus attirer grand monde depuis 2008 et la crise économique. La longue liste des entreprises montées en LBO avant 2007 et qui se sont depuis pris les pieds dans le tapis en a découragé plus d’un. Le montage, l’année dernière, du plus grand LBO français - le rachat de SFR par Numericable – pourrait cependant relancer le marché. Pour cela, encore faut-il que Patrick Drahi réussisse à redresser l’opérateur après des années de dépenses insensées.

Pour un rachat d'entreprise, il y a des opérations financières plus risquées que d'autres. Les LBO (Leverage Buy-Out) ou « rachat par endettement » en font partie. Le principe est simple : quand une entreprise souhaite en racheter une autre, mais qu'elle n'a pas assez de fonds propres pour cela, elle peut créer une holding qui pourra racheter l'entreprise en s'endettant. Elle remboursera ensuite ses dettes et les intérêts qui vont avec grâce aux dividendes dégagés par l'entreprise rachetée. Si elle n'y arrive pas avant la fin des délais négociés lors du rachat, les créanciers peuvent prendre son contrôle. Une opération financière à double tranchant en somme.

L'année 2007 marque l'apogée des LBO. Selon l'étude annuelle de l'Association française des investisseurs en capital (Afic) et PriceWaterHouseCoopers, pas moins de 460 entreprises ont été rachetées par endettement cette année là, soit une hausse de 28 % par rapport à l'année précédente, pour un montant total de 10 milliards d'euros. Tout s'écroule cependant en 2008, alors que l'économie mondiale menace de s'effondrer. Les prévisions financières faites quelques années auparavant se retrouvent pour la plupart complètement dépassées.

Résultat : les taux d'intérêts montent en flèche et les entreprises, endettées par leur rachat, peinent à rembourser leurs créanciers dans les temps. Faillites et autres plans sociaux se multiplient alors durant les années suivantes et rares sont les entreprises qui prennent aujourd'hui le risque du rachat par endettement. Tant et si bien qu'en 2013, la presse économique sonnait déjà le glas de l'opération financière, la disant perdue pendant encore quelque temps. L'année 2014, qui voit le montage du plus gros LBO français, les fera cependant mentir.

Le rachat de SFR par Numericable : impossible n'est pas Drahi

En mars 2014, Numericable rachète par endettement SFR pour 13,36 milliards d'euros. Alors que le secteur des télécoms peinent à se remettre de la baisse des prix entraînée par l'arrivée de Free, l'opération représente un risque énorme pour le PDG du câblo-opérateur, Patrick Drahi. C'est cependant également une occasion en or de montrer qu'en appliquant la bonne méthode, qu'importe le climat économique morose, rien n'est impossible.

Gestion rigoureuse des coûts, renégociations des contrats, recentrage des investissements, etc. Pour réussir à rembourser les dettes de SFR, il applique les méthodes qui ont fait son succès à l'international, avec deux maîtres mots : efficacité et pragmatisme. Après avoir négocié avec les créanciers un remboursement prévu pour mai 2019, le polytechnicien s’attelle aujourd'hui à la réduction des dépenses de l'opérateur avec poigne et détermination et déclare souhaiter économiser 1,1 milliard d'euros par an.

Une tâche ardue alors que SFR semblait dépenser sans compter jusqu'ici. Selon une source proche du groupe, « SFR payait dix-sept fois plus cher que Numericable pour distribuer une chaîne de télévision internationale ». « Du moment que le cash rentrait, le reste leur importait peu. On avait un budget qu’on devait dépenser quoiqu’il arrive. Jamais on ne m’a demandé le moindre retour sur investissement sur un projet », ajoute un ancien employé de l'opérateur. Une situation aberrante à laquelle Patrick Drahi met rapidement un terme. Pour chaque contrat, il négocie une diminution de 20 à 40 % du tarif de base. Il rompt les partenariats trop coûteux et demande des efforts à chacun des fournisseurs, dont SFR est pour beaucoup l’un des plus gros clients, et qui acceptent donc.

Toutes les dépenses sont scrutées avec minutie et Patrick Drahi applique une politique précise : seul ce qui est essentiel à la survie du groupe reste. Alors que les prestataires informatiques, véritable gouffre financier pour SFR, sont invités à proposer des rabais, Patrick Drahi choisit en revanche de ne pas chercher à baisser les coûts dans des domaines clés du développement de l’opérateur. Il préserve ainsi Samsung et Apple, indispensables pour attirer la clientèle. Il refuse en parallèle de diminuer les investissements dans deux secteurs : le réseau – pour lequel il compte investir 20 % du chiffre d'affaires du groupe – et le salariat. L’homme d’affaires s'est en effet engagé lors du rachat de l'opérateur à ne pas entamer de plans sociaux. Une promesse qu'il devrait tenir d’après les derniers communiqués du groupe.

Sa gestion rigoureuse lui vaut quelques critiques, notamment de la part des fournisseurs, réticents à faire baisser leurs marges. Mais qu’importe pour le PDG de Numericable-SFR, s’il veut pouvoir redresser la barre et sauvegarder les emplois de ses salariés et de ses prestataires, chaque centime compte et lui et ses équipes jouent également le jeu. Basé en Suisse, le management de l’entreprise se déplace en Easyjet. Les employés de l’opérateur ont même déclaré avoir vu Patrick Drahi déjeuner à la cantine de l’entreprise. Pour l’homme d’affaires, tout compte s’il ne veut pas voir l’entreprise retomber dans ses vieilles habitudes dépensières qui pourraient expliquer sa mise en vente l’année dernière. Sa main de fer écorne son image, mais reste le seul moyen pour l’entreprise de mener à bien ce LBO à risque.

S'il tient bon face à la pression des fournisseurs, Patrick Drahi pourrait bien réaliser un tour de force et pourquoi pas, relancer le marché des LBO en France. Après tout, en affaires comme dans de nombreux autres domaines, tout est une question de confiance. Attendu au tournant, il n'a ainsi pas le droit à l'échec. Ça tombe bien, ce dernier ne semble pas faire partie de ses plans.

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Conseiller en restructuration chez VisionCorp Après diverses expériences dans des établissements bancaires en France et aux Etats-Unis, ainsi qu'un master de Finances à Bordeaux, Matthieu Lambert s'est lancé dans le conseil en restructuration d'entreprises chez FRTI, un fonds d'investissements privé. Pendant 17 ans, il est acteur opérationnel de retournement au sein de différentes cellules de crise et mettra en place des plans de redressement pour des entreprises de tous les secteurs. Depuis 2012, Matthieu Lambert est à son compte et travaille aussi bien pour de grands groupes que pour les start ups.

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