Rachat d’Alstom par Siemens : la discrète guerre des mondes

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Par Eric Verhaeghe Publié le 26 septembre 2017 à 11h10
Alstom Amtrak Etats Unis 1
cc/pixabay - © Economie Matin
12,3 MILLIARDS €General Electric avait racheté le pôle énergie d'Alstom pour 12,3 milliards d'euros.

Le rachat d’Alstom par Siemens devrait être annoncé aujourd’hui. Ce moment ponctuera une longue séquence de réflexion sur la mise en place d’un « Airbus du rail ». Il traduit bien la discrète guerre des mondes qui se livre en coulisses dans la sphère industrielle.

Le rachat d’Alstom par Siemens est devenu inévitable pour une raison qui ne se discute même pas. Depuis une vingtaine d’années, l’industrie chinoise s’est lancée dans une course au gigantisme qui oblige à des concentrations en cascade chez ses concurrents mondiaux. Le rachat d’Alstom par Siemens procède de ce vaste mouvement de « résistance » à la volonté hégémonique chinoise dans le domaine ferroviaire.

L’invention de CRRC

En 2014, la concentration à l’oeuvre en Chine a débouché sur la fusion des deux derniers acteurs encore en lice dans ce pays. Ils ont créé la CRRC Corporation Limited dont le chiffre d’affaires flirte avec les 45 milliards€. Les deux concurrents directs de CRRC: Siemens et Bombardier, réalisent chacun un chiffre d’affaires trois fois inférieur.

Dans ces conditions, les options sont limitées. Pour soutenir la concurrence du géant chinois, il faut fusionner. D’où des discussions engagées de longue date entre Siemens et Alstom (qui pèse 7 milliards environ), mais aussi entre Siemens et Bombardier, le canadien qui fournit la SNCF.

Vers la création d’un géant européen?

L’une des fictions en cours consiste à faire croire que Siemens, pour affronter CRRC, peut choisir entre Bombardier et Alstom. C’est d’ailleurs le propre d’Emmanuel Macron de croire qu’un rapprochement entre Siemens et Alstom peut suffire à régler le problème de la concurrence chinoise. D’où un projet de rapprochement qu’il encourage depuis 2014, malgré les positions de Patrick Kron, patron d’Alstom en son temps, soupçonné de haïr l’Allemagne.

La théorie de l’Airbus du rail est en passe de gagner, après que Siemens a ouvertement réfléchi à un rapprochement avec Bombardier. L’option Alstom permettra de créer un important acteur européen.

Le bon sens veut évidemment que, dans le même temps, les pourparlers avec Bombardier continuent. Seule une fusion à trois permettra d’atteindre la taille critique face au géant chinois.

L’Europe et le libre-échange: une affaire enterrée?

Le premier obstacle à la cession d’Alstom à Siemens sera toutefois européen. Le droit communautaire de la concurrence devrait en effet s’opposer à la création d’un acteur unique qui détiendra une position dominante sur le marché européen.

C’est le paradoxe de l’Union: son ambition de libre échange et de libre concurrence condamne ses industriels à ne pas pouvoir concurrencer les acteurs chinois. On suivra avec attention la position de la Commission sur ce rapprochement hautement stratégique. Il sera peut-être l’occasion d’un sérieux retour en arrière sur la doctrine en usage en matière de concurrence.

Ici se livre bien la discrète guerre des mondes. Les organisations syndicales d’Alstom s’en sont plaint régulièrement: la France serait la seule à ne pas pratiquer le protectionnisme économique et à ouvrir ses marchés locaux aux producteurs étrangers.

La question de la protection sociale encore posée

Dans le même temps, les syndicats ne nient pas vraiment le handicap d’Alstom dû au coût de la protection sociale dans la production en France. La perte de vitesse de nos industriels sur les marchés internationaux s’explique en partie par ce facteur qui plombe notre compétitivité.

Mais la réponse encore apportée aujourd’hui à cette question est celle du caractère « inoffensif » de ces coûts (voir ci-contre).

Vers de nouvelles délocalisations

Aujourd’hui, le gouvernement français devrait communiquer sur la préservation des emplois par Siemens en France. C’est évidemment un fantasme temporaire. À moyen terme, le défaut de compétitivité française obligera à des fermetures de site sur notre territoire.

Le coût de la production industrielle dans notre pays n’est ni étonnant ni scandaleux : il est la répercussion de notre protection sociale. En effet, les charges sociales qui soi-disant pèsent sur la production des sites français servent à financer les garanties collectives des citoyens. Par conséquent, environ 50 % du PIB est mutualisé. Le « surcoût » dont peuvent se plaindre certains dirigeants d’entreprises ne représentent donc pas « une véritable perte d’argent » mais une participation à la bonne marche de la vie en collectivité. Dans cette optique, n’oublions pas que tout produit fabriqué sur le « site France », même si le coût peut paraître plus cher qu’ailleurs, il se révèle encore rentable si l’on prend en compte le financement de la protection sociale que sa production induit. Ce n’est aucunement le cas avec les produits importés et vendus sur le marché français.

In – FO Métaux

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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