Même si les réunions de la BCE constituent toujours un évènement pour les marchés, rarement une réunion aura été aussi attendue que celle de jeudi...et pourrait marquer un changement de cap majeur. Mario Draghi devra convaincre, une nouvelle fois.
Tout d'abord parce qu'il s'agit de la première réunion de l'année et qu'elle devrait fixer le cap monétaire pour plusieurs mois, dans un contexte de baisse continue des prix en zone euro alimentée par l'effondrement des prix de l'énergie.
Ensuite parce-que les marchés (actions, taux, devises) anticipent une intervention majeure de la banque centrale depuis des mois et attendent une concrétisation de ces attentes.
Enfin, parce-que la prochaine décision de la BCE pourrait traduire une rupture claire dans les schémas établis jusqu'à présent, en adressant une fin de non-recevoir aux tenants d'une politique monétaire plus orthodoxe et ce, dans un contexte ou l'euroscepticisme monte en puissance dans plusieurs pays européens.
Les déclarations de Mario Draghi depuis des mois et celles de plusieurs membres du Conseil de gouverneurs ont nourri les mouvements de marchés de façon spectaculaire. L'euro est passé en quelques mois de près de 1.4000 dollar à moins de 1.1500 dollar la semaine dernière. Les taux continuent de se détendre et atteignent des niveaux records à la baisse : le 10 ans français a touché les 0.62% pendant que le rendement du Bund flirtait avec les 0.44%...le constat est le même pour la plupart des taux souverains en zone euro qui, malgré les tensions évidentes sur la Grèce, sont restés stables ou orientés à la baisse.
Enfin, les indices actions, malgré une volatilité plus élevée ces dernières semaines, ont réussi à se maintenir proche de leurs plus haut récents (CAC40) ou à battre de nouveaux plus hauts historiques comme le DAX vendredi.
L'action récente et brutale de la Banque Nationale Suisse (BNS), qui a supprimé le seuil de protection à 1.2000 de l'euro par rapport au franc suisse, alimente les spéculations d'une annonce forte de Mario Draghi sur le lancement d'un QE en zone euro. La réaction des marchés, le jour de l'annonce de la BNS, renforce ce scénario: les indices actions ont brutalement plongé dans une phase globale d'aversion au risque compte tenu du caractère inattendu de l'annonce mais ont rapidement corrigé ce mouvement initial pour finir la semaine sur des niveaux biens supérieurs. L'euro a immédiatement accéléré à la baisse face au dollar et les taux souverains se sont encore détendus.
Traduction claire que la BNS, avec une taille de bilan supérieure à 85% du PIB de la Suisse (contre moins de 30% pour la BCE) ne voulait pas prendre le risque de «subir» un effet d'annonce potentiellement puissant de la BCE, accélérant le cycle de faiblesse de l'euro, rendant extrêmement difficile et coûteuse la défense de la devise helvétique...
Autre fait à noter et qui renforce les soupçons d'une annonce dès le 22 janvier par la BCE : lors de sa conférence de presse, quelques heures après avoir annoncé la suppression du taux plancher, le président de la Banque Nationale Suisse, Thomas Jordan, a refusé de commenter sur la communication avec d'autres banques centrales...
Sur le timing, cette décision de la BNS intervient juste après le feu vert de la Cour de Justice Européenne sur le programme OMT. Même si il ne s'agit pas d'une validation finale du programme OMT (permettant d'acheter de la dette souveraine sur le marché secondaire), il s'agit d'un avis positif de l'avocat général de la Cour de Justice ouvrant la voie à la mise en place d'opérations de grande envergure comme le QE.
Benoit Coeuré a également apporté sa pierre à l'édifice spéculatif entourant la prochaine réunion de la BCE en déclarant que pour qu'un QE soit efficace, il fallait qu'il soit de taille significative.
Il y a, là encore, plusieurs hypothèses concernant la forme que prendre la QE : racheter de la dette souveraine en fonction de la répartition dans le capital de la BCE (de chaque Etat Membre), racheter uniquement de la dette très bien notée (AAA) pour pousser les investisseurs en quête de rendement à ventiler leurs positions sur les dettes plus risquées mais plus rentables ou enfin, faire intervenir les banques centrales nationales pour acquérir de la dette souveraine (toujours dans la limite de la répartition au capital de la BCE).
Il semble que cette dernière option ait les faveurs de la BCE. C'est ce que croit savoir la presse allemande (Der Spiegel) qui cite Klaas Knot de la BCE...
Les hypothèses présentées excluent la dette grecque d'un QE de la BCE raison de son rating.
Mais à 3 jours des élections législatives en Grèce, il serait surprenant de ne pas voir Mario Draghi s'exprimer sur le pays.
C'est le risque qui court sur cette réunion du 22 janvier. Si Mario Draghi délivre un message très accommodant et annonce la mise en place d'un QE, l'effet positif de l'annonce pourrait être annulé par la situation politique en Grèce et le résultat des élections.
Le second risque clairement présent lors de cette réunion, c'est de décevoir les marchés avec l'absence d'annonces précises ou l'annonce d'un QE limité et reposant exclusivement sur les banques centrales nationales, mettant à nouveau en relief le manque d'intégration de la zone euro (il y a quelques jours, des informations circulant sur un QE de «seulement» 500 milliards d'euros avaient négativement impacté les marchés).
Le bilan actuel de la BCE plaide pour des annonces importantes : à 2168 milliards d'euros, il reste encore plus de 800 milliards de marge de manœuvre au tacticien italien pour le ramener sur les niveaux de début 2012 au-delà de 3000 milliards d'euro. Le basculement de l'inflation en territoire négatif en zone euro a renforcé les attentes d'une intervention massive malgré les réticences de Jens Weidmann de la Bundesbank.
Une nouvelle fois Mario Draghi devra surprendre les marchés pour ne pas risquer un retour de la volatilité et de l'aversion au risque, avec comme risque à court terme, un essoufflement des tendances actuelles.