Qui achète de la dette à 100 ans ?

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Par Simone Wapler Publié le 9 octobre 2017 à 5h00
Europe Etats Emission Dette Cent Ans
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5 000Les taux d'intérêts n'ont jamais été aussi bas depuis 5 000 ans !

La dette souveraine à 100 ans trouve des acheteurs. C’est – avec les taux négatifs – le signe de la dégénérescence du système financier.

Plusieurs pays ont récemment émis de la dette à 100 ans : Argentine, Autriche, Irlande, Belgique… Pourquoi pas, pourquoi se gêner ? Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas depuis 5 000 ans. Par conséquent, c’est une bonne affaire de s’endetter à 2% sur 100 ans. Voici un graphique amusant qui remonte à la nuit des temps et donne l’évolution des taux d’intérêt depuis 5 000 ans.

Sous Hammourabi, environ 2 000 ans avant JC, les boeufs servaient de monnaie. Le taux d’usure était de 30% et le taux normal de 20%. Comme disent les jeunes, « ça calme ». Ceux qui nous suivent depuis longtemps savent que la consécration de l’or et de l’argent en tant que monnaies fut un premier événement majeur de l’histoire financière (environ 600 ans avant JC). Le deuxième événement majeur se produisit quelque 2 500 ans plus tard : le lien qui reliait l’or au dollar fut coupé en 1971 avec la fin des accords de Bretton Woods.

Pour calmer le jeu de l’inflation qui en résulta, Volcker, le président de la Fed de l’époque, dut presque revenir aux taux de Hammourabi. Puis tout rentra dans l’ordre, plus ou moins, car les crises financières se succèdent à un rythme de plus en plus rapide… L’argent n’existe plus majoritairement que sous forme de crédit et donc de dette. Il n’y a plus de limite matérielle à la création de crédit (et donc de dette). La seule limite est intellectuelle – la foi dans ce système. Aujourd’hui, après 10 années de taux presque nuls, tous les investisseurs institutionnels, les zinzins et les investisseurs particuliers savent que les marchés obligataires et d’actions sont surgonflés à des niveaux jamais atteints.

Les « zinzins » achètent de la dette à 100 ans

Si ceux qui émettent de la dette à 100 ans ont leurs raisons et suivent une logique, quelle est celle des acheteurs ? Egon von Greyerz, un gérant de fonds suisse, a son idée :

« Les acheteurs sont des institutions qui gèrent l’argent des autres, comme les gestionnaires de fonds de pension, qui seront enchantés d’obtenir un rendement de 2% en comparaison aux rendements négatifs à court terme ou juste au-dessus de zéro pour autre chose. Ces gestionnaires espèrent tous être partis à temps avant que quelqu’un ne se rende compte des décisions désastreuses qu’ils ont prises avec l’argent des retraités. Mais le danger pour eux est que l’obligation devienne sans valeur bien avant que les 100 ans ne soient écoulés. Cela pourrait arriver d’ici cinq ans. […] Ces gestionnaires ne seront pas blâmés pour leurs performances catastrophiques. […]. Ils sont protégés, malgré leurs mauvaises performances, étant donné qu’ils ont fait ce que tous les autres gestionnaires font : appauvrir les retraités. Le fonds institutionnel moyen est géré en se basant sur la ‘médiocratie’ – cela ne vaut jamais le coup de prendre un risque et de faire les choses différemment que votre groupe de pairs. Car si vous faites la même chose que vos pairs, vous serez récompensé, même si vous perdez presque tout l’argent. »

Pour acheter de la dette à 100 ans, il faut à la fois être incompétent et irresponsable. Incompétent pour ne pas prévoir le retournement des taux et irresponsable car ces gens-là ne risquent pas leur propre argent. Aucun bipède sain d’esprit n’irait mettre son épargne retraite dans une dette à 100 ans et une monnaie fiduciaire dont personne ne sait si elle survivra à la prochaine crise.

De rares grévistes refusent le système et en dénoncent les dangers

Tous les gérants ne sont pas incompétents et irresponsables, toutefois. Certains ont démissionné, estimant que les politiques monétaires conduites par les banques centrales les empêchaient de faire honnêtement leur métier. Deux stars de la gestion obligataire, Bill Gross et Mohammed El Erian, du fonds américain Pimco, ont démissionné respectivement en septembre et en janvier 2014. Une vérité troublante se dégage au fil de la lecture des articles d’Andrew Balls, un spécialiste de la question, dans The Financial Times : Mohammed El Erian souhaitait engager le fonds sur le marché des dérivés pour retrouver un peu de rendement, puisqu’il était écrasé par la politique de taux zéro de la Fed et par ses rachats obligataires. Bill Gross y était opposé et Mohammed El Erian a démissionné.

Puis, réalisant que l’exercice de son métier (trouver du rendement et assurer un revenu à ses assurés) était devenu impossible avec ces taux zéro et que la normalisation n’était pas pour demain, Bill Gross aurait suivi. Quelques autres gérants ont aussi eu le courage de démissionner par la suite. On se croirait dans La Grève, d’Ayn Rand. Ce roman décrit la démission d’entrepreneurs clés face à la socialisation de l’économie, la montée de l’irresponsabilité et de l’incompétence.

Un gérant honnête devrait aujourd’hui refuser votre argent

La plupart des fonds de pension (Perp, Madelin…) sont gérés par des assureurs. Même en France, où le principe de la retraite dite par répartition est imposé et obligatoire, la collecte de l’assurance-vie ne se dément pas : les Français sont bien conscients des limites du système collectif dit de répartition. Un assureur n’est pas comme une banque. Il n’utilise aucun effet de levier, aucun recours à la dette pour créer du rendement. Ses engagements doivent être à 100% couverts par les dépôts. A défaut, il est techniquement et légalement en faillite. Pour pouvoir servir les rentes qu’il doit, par engagement, verser dans le futur, un assureur s’appuie sur un portefeuille obligataire. Si ce portefeuille lui rapporte moins que le contrat qu’il a signé avec son assuré, l’assureur est en danger.

A taux quasi-nul, l’épargne ne grossit plus et la plupart des fonds de pension sont massivement sous-capitalisés. Selon une étude du Forum économique mondial, l’écart entre l’épargne et le revenu attendu de retraite pourrait dépasser les 400 000 Mds$ en 2050. Savez-vous vraiment ce que fait votre gérant, dans quoi il investit exactement ? Il n’y a pas, il n’y a plus de solution collective loyale et honnête à la gestion de votre épargne. Votre futur ne doit pas dépendre de produits financiers tout faits, gérés par des incompétents.

« Le défi de l’épargne retraite est à un point critique et il faut agir maintenant. […] Il n’y a pas de remède magique pour résoudre la question du déficit des retraites. Les particuliers doivent augmenter leur épargne individuelle et leur culture financière, tandis que le secteur privé et les gouvernements devraient fournir des programmes pour les aider. » Jacques Goulet, président de Health & Wealth at Mercer, à l’origine du rapport du Forum économique mondial.

Je ne sais pas à quoi pense Jacques Goulet lorsqu’il parle de programmes d’aide des gouvernements. Je ne suis pas sûre que l’aide vienne de ce côté, au contraire. Car finalement, tout ceci n’est que la conséquence du créditisme qui n’est rien d’autre que du « socialisme financier ».

- Des monnaies sans aucun ancrage dans le réel ;
- Contrôlées par les Etats ;
- Au service des dettes publiques qui ne sont d’autre que l’étatisation des économies ;
- Diffusées par des banques vivant de rentes et privilèges accordées par les Etats.

Votre première défense, comme nous le répétons sans relâche, est de revenir partiellement, à titre privé, à la monnaie qui a fait ses preuves depuis 2 500 ans (et que les banques centrales conservent toujours) : l’or. Votre deuxième défense consiste effectivement à augmenter votre culture financière pour pouvoir investir profitablement. La valeur ne se créée pas à partir de rien. Pour que les intérêts composés vous enrichissent, il faut que le sous-jacent conserve sa valeur (et rien n’est moins sûr avec les obligations actuelles). Pour dégager une réelle plus-value dans l’immobilier, il faut améliorer vous-même votre bien et avoir su choisir un emplacement judicieux. Pour bien choisir une action, il faut comprendre la valeur ajoutée de l’entreprise, d’où viennent ses bénéfices… La crédulité nourrit le créditisme. Refusez le « socialisme financier » et cultivez votre propre indépendance financière.

Pour plus d’informations et de conseils de ce genre, c’est ici et c’est gratuit

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Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora, spécialisées dans les analyses et conseils financiers. Ingénieur de formation, elle a quitté les laboratoires pour les marchés financiers et vécu l'éclatement de la bulle internet. Grâce à son expertise, elle sert aujourd'hui, non pas la cause des multinationales ou des banquiers, mais celle des particuliers. Elle a publié "Pourquoi la France va faire faillite" (2012), "Comment l'État va faire main basse sur votre argent" (2013), "Pouvez-vous faire confiance à votre banque ?" (2014) et “La fabrique de pauvres” (2015) aux Éditions Ixelles.

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