Que mangerons-nous en 2050 ?

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Par Bruno Parmentier Modifié le 23 février 2013 à 11h52

Notre assiette est très différente de celle des années d’après-guerre : en particulier nous mangeons deux fois plus de viande (85 kilos par an et par habitant), deux fois plus de lait (90 kilos), plus de fruits, mais moins de légumes (total identique 109 kilos), six fois moins de pommes de terre (18 kilos par femme, 25 par homme, contre… 153 kilos en 1950 !), trois fois moins de pain (42 kilos contre 121 en 1950), et toujours trop de sel (3 kilos) et de sucre (40 kilos).

C’est dire si ce serait bien ingénu de penser que dans 50 ans on mangera pareil qu’aujourd’hui ! Notre alimentation va évoluer fortement, en fonction de deux facteurs : la Nature et la Culture.

La Nature tout d’abord, qui va en particulier réguler le marché des produits animaux : des centaines de millions de personnes y accèdent progressivement, en particulier les ouvriers chinois se mettent à la viande (on est passé dans ce pays de 18 à 60 kilos de viande depuis les années 80, pour 1,3 milliards de personnes !), et les employés indiens se mettent au lait (185 millions de bovins là-bas contre 19 en France). Heureusement les chinois ne digèrent pas bien le lait, et les indiens, qui croient à la réincarnation, ne mangent pas de viande. Mais la compétition mondiale pour les ressources végétales ne peut que s’exacerber. Car en effet, comme on aime manger des animaux à sang chaud, leur productivité est très mauvaise : une bonne partie de ce qu’ils absorbent leur sert à se chauffer et non pas à produire de la viande. Il faut de l’ordre de 4 kilos de végétaux pour produire un kilo de poulet, 6 pour le porc et 11 pour le bœuf. Au total près de la moitié des céréales produites dans le monde ne sont plus consommées par les 7 milliards hommes, mais par les 20 milliards de bestiaux qu’ils élèvent, et les trois quart du soja !

Donc, dans 50 ans, on va probablement produire davantage de viande et de lait sur la planète, mais… nettement moins en France ! Et déjà pour commencer, compte tenu des difficultés croissantes de l’accès aux ressources de la planète, on n’élèvera que les animaux qu’on pourra nourrir avec des végétaux français, céréales et protéines. Or actuellement nos protéines proviennent majoritairement du soja d’Amérique du Sud, lequel occupe là-bas 20 millions d’hectares pour l’élevage européen ; à terme la production de ces hectares ira probablement plutôt en Chine, ou sera transformée directement sur place.

Des constatations peu encourageantes pour les éleveurs français, dont la crise ne fait donc que commencer ! Oui, mais arrêtons-nous sur un autre chiffre : la consommation de vin, qui était encore de 141 litres par français en 1950, n’est plus que de 45 litres. Plus de trois fois moins. Est-ce à dire que les vignerons français ont disparu ? Non, malgré les difficultés (on se souvient des nombreuses émeutes dans le Languedoc), ils se sont adaptés, en nous disant en quelque sorte « t’en veux moins, alors ce sera que du bon, que du cher », et ils sont toujours là ! la destinée des éleveurs français est donc de faire pareil : « ah, vous ne voulez manger de la viande que 4 ou 5 fois par semaine, alors ce sera que du bon, que du cher ! ».


La culture se mêlera également de cette affaire de choix de nourriture. Le fait d’ingérer une tonne d’aliments solides et liquides par an à travers notre bouche n’est absolument pas anodin : nous sommes (au sens physique) ce que nous mangeons et nos sociétés se définissent largement pas leurs choix alimentaires. Or nous sommes quand même un peu inconsistants : par oral, à nous en croire, c’est assez simple, nous voulons de la « bonne » nourriture, triplement labellisée bio, locale et équitable (en en plus goûteuse, sûre, traçable, hallal, casher, naturelle, énergétique, belle, abordable, simple, pratique, rapide, diététique, équilibrée, variée, traditionnelle, moderne, exotique, etc.) ! Mais, arrivés au supermarché, nous voulons d’abord du pas cher et du vite fait ; vive le surgelé, les plats tous faits et les barres chocolatées, et à moi les quatre barquettes pour le prix de trois !

Du coup l’agro-industrie et la grande distribution nous servent évidemment du « pas cher vite fait », et ça marche, ils en vivent assez bien, et en rajoutent avec force publicités agressives. Mais ils gagneraient également à faire attention aux valeurs montantes ; d’accord en matière de bio, nous sommes, comme dans d’autres domaines, « croyants mais pas pratiquants » et, malgré une croissance notable de ces produits, nous ne mangeons actuellement que 3 % de bio ! De même le local, ça nous fait plaisir de temps en temps, mais ne représente en fait qu’une toute petite partie de notre assiette. Et ne parlons pas du commerce «équitable, qui, lui, n’arrive même pas à 1 % de nos dépenses alimentaires, malgré notre sympathie affichée pour le bon Max Havelaar.

Mais on aurait tort de mépriser ces formes de consommation actuellement économiquement marginales, car si elles représentent peu du point de vue économique, elles ont gagné la bataille culturelle, et alimentent en fait 70 % de nos conversations. Le bio, le local et l’équitable (plus le hallal), ça sert surtout à nous faire réfléchir sur le sens de notre alimentation, dans une société à la dérive. Alors, quand à trop vouloir faire « pas cher vite fait » on oublie ce puissant mouvement culturel, on se « ramasse » à la première crise car les citoyens ne nous la pardonnent pas. Il est fort à parier que les salariés de Spanghero auront beaucoup de mal à trouver des solidarités pour sauver leurs emplois…

En 2060, ces « valeurs émergentes » auront évidemment fait beaucoup de chemin, en particulier à l’occasion des multiples crises alimentaires qui auront surgi entre temps. Au salon 2063, le bio, le local, l’équitable et les diverses prescriptions religieuses ou para religieuses sur la nourriture auront certainement gagné de nombreuses parts de marché, ainsi que tout ce qui touchera à l’alimentation-santé.

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.

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