Qatar : le soutien présidentiel est indispensable aux entreprises

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Par Pierre-Marie Relecom Modifié le 27 mai 2013 à 11h10

Petit préambule sur ce qu'est le Qatar : petit bout de désert à la frontière de l'Arabie et proche des Emirats, en face de l'Iran et qui recèle aujourd'hui quelques une des plus grandes réserves de gaz LNG au monde. Son voisin d'en face s'appelle l'Iran (et partage un bout de ces champs gaziers)...

1 900 000 habitants, 200 000 qataris, 70 000 personnes locales qui travaillent et réellement une centaine qui tiennent les rênes du pays.

Ces 100 qui tiennent le pays, ont étudié, pour la plupart, en Angleterre ou aux Etats-Unis et sont pour certains des proches du Prince héritier ; mais ils ne sont pas pour autant tous issus d'une grande famille. Ainsi, si l'on retrouve le Sheikh Farhad al Attyiah à la tête de l'important Qatar National Food Security Program, l'on peut aussi citer le très respecté ingénieur Ghanim Al Ibrahim qui a été le porteur du projet Railways, Assad El Thawadi à la tête du comité Qatar 2022 ou Nasser Al-Khelaïfi, ancien joueur de tennis et désormais figure incontournable au Qatar, puisqu'il est directeur général d'Al Jazeera Sport et Président du Paris Saint-Germain.

Et c'est là tout le paradoxe de cette jeune garde : soit une jeune génération oisive, soit au contraire des travailleurs acharnés et volontaires.

Jusqu'à récemment les qataris étaient un peuple de bédouins, c'est-à-dire que toutes les personnes qui ont aujourd'hui plus de 45-50 ans, ont vécu sous des tentes sans la climatisation, connaissent la vie dure et n'ont pas eu accès à une éducation poussée. S'ils n'ont pas les connaissances techniques, ces qataris sont par contre doués d'une intelligence intuitive remarquable qui nous est peu connue.

Fort de ce constat, l'Emir a voulu mettre à profit l'argent du gaz naturel liquéfié pour permettre à son peuple de rentrer de plein pied dans le 21è siècle.
Le revers de la médaille est une jeune génération qui a tout ce qu'elle souhaite sans effort comme ses parents. Cette oisiveté a plusieurs conséquences sociétales et économiques : à la fois la perte de l'intelligence intuitive mais également l'apparition de l'obésité ! A tel point que l'Etat du Qatar va jusqu'à payer les jeunes qataris pour leur faire pratiquer du sport.

De plus, le monde entier se prosterne devant ce petit émirat, espérant pouvoir profiter de sa manne gazière qui coulera à flot pour encore une bonne trentaine d'années.

Une fois que l'on a ces quelques éléments en tête, peut-être est-il plus simple de comprendre et d'appréhender le business avec les Qataris.

Pour ceux qui désirent en savoir plus avant de s'y rendre, je les invite vivement à lire le livre de Messieurs Malbrunot et Chesnot « Qatar : les secrets du coffre-fort ». Cela fait plus de 4 ans que j'y passe 10 jours par mois ; j'ai beaucoup lu sur le sujet. Mais la retranscription qu'ils font du Qatar est le plus justement dite dans leur livre. Un pays ambigue et complexe où l'apparence officielle dissimule toujours des jeux de cour et d'équilibre entre les clans...

Toutefois, on parle beaucoup des investissements qataris en France mais qu'en est-il des Français au Qatar ? La situation économique dans l'UE est-elle à ce point bien portante que l'on peut faire l'impasse sur des pays à fort potentiels, comme le Qatar ou l'Arabie Saoudite ?

J'ai le privilège d'accompagner quelques groupes dans leur développement à l'International et, à part le Qatar, je ne connais que l'Arabie Saoudite qui supplante ce petit émirat en termes d'opportunités de business. Ils ont entre USD 50 et 70 milliards à investir tous les ans qui sont autofinancés par le LNG.

Aussi, il me semble des plus à-propos que l'on s'y intéresse d'un peu plus près et que nos entreprises françaises aient le soutien qu'elles méritent. Nos concurrents, qu'ils proviennent d'Asie, d'Europe, d'Amériques (Nord et Sud) l'ont bien intégré et les Etats soutiennent efficacement et durablement leurs entreprises en envoyant, en sus de la représentation locale, des délégations régulières de ministres ou PM de 1er plan.

Sous l'ancienne présidence, il avait été d'ailleurs donné comme mot d'ordre d'occuper le terrain et qu'un ministre devait s'y rendre une fois par mois en vue de préparer le lancement des grands appels d'offres de demain. Et c'est maintenant, là, en 2013 que tout se joue pour le fameux Qatar 2022 (la coupe du monde de football pour ceux qui ne suivent pas).

Depuis le 6 mai 2012, seuls Monsieur Fabius et Madame Bricq y ont fait une halte de tout au plus 24 heures quand le 1er ministre japonais vient 72 heures pour négocier une extension de 200 000 barils à son contrat de GN, alors que c'est le plus gros acheteur de LNG au Qatar, et de loin !

Alors, qu'en sera-t-il de ce voyage présidentiel qui se tiendra, comme l'annonce Libération, en pleines vacances de pré-ramadan, à Doha...
Il est quelques bases essentielles dont il faudrait peut-être intégrer si l'on souhaite faciliter le développement de nos entreprises dans cette région et particulièrement au Qatar.

Tout d'abord et c'est la base de tout échange dans ce pays : « c'est Dieu qui s'adresse à Dieu » ! C'est ce que l'on appelle un pays en « top-down ». Selon l'évangile de Saint-Jean « Et au commencement était le verbe »... Ici le verbe doit être porté par le plus haut représentant de l'entité visiteuse afin qu'elle soit reçue par les plus hautes autorités. Et qu'elle crée une empathie, un lien de confiance durable, et de loyauté.

Contrairement à chez nous, les dirigeants ne « jouent » pas à cinq ans dans l'espoir d'être réélus. L'objectif de l'émir est de pouvoir porter son pays pendant très longtemps et ensuite de transmettre le flambeau à son fils. Il travaille donc en permanence à l'équilibre des clans.

On peut ainsi en compter 4 que j'appelle « les 4 chapelles ». Et le jeu de carte est présentement en train d'être redistribué dans les mains de la jeune génération.

A chaque clan ses filières, secteurs d'activités associés. En fonction du secteur d'activité, le bon interlocuteur n'est donc jamais le même. Et attention à ne pas confondre le pouvoir politique des intérêts économiques, tant les deux sont intimement liés. Mais seul le pouvoir politique comptera à la fin...

Chacun l'a maintenant compris ou lu à répétion, les qataris n'ont aucun problème de financement. Ne serait-ce que pour la coupe du monde 2022, ils vont investir environ USD 300 milliards rien que pour les infrastructures. Donc s'ils investissent autant à l'étranger, c'est simplement qu'ils ont 70 milliards de dollars net à dépenser tous les ans.

Et ce n'est pas parce qu'ils investissent dans le capital d'entreprises étrangères, qu'ils aideront celles-ci à se développer pour autant au Qatar... Il ne faut donc pas se tromper lorsque l'on souhaite se développer au Qatar : un intérêt économique mais n'est pas la preuve d'un partenariat stratégique...

Si l'on va au Qatar aujourd'hui, c'est avec un vrai projet de long terme qui réponde à leurs problématiques, à leurs enjeux. Les qataris en ont plus qu'assez de se faire draguer par le monde entier, pour leur argent uniquement, sans que l'on s'intéresse ni à leurs préoccupations présentes, ni à leur futur.

Aujourd'hui, les qataris veulent qu'on leur démontre qu'on les aime pour ce qu'ils sont et non pour ce qu'ils ont. Bref, une démonstration d'amour pour le long terme et des projets de développement durable. Prenez le nouveau programme de la Sheikha Mozah, Educate a Child... Ou comment donner une chance à 10 millions d'enfants subsahariens de s'éduquer. Elle s'y est engagée, et elle le fera avec ou sans « notre » aide.

Autant que ce soit avec notre aide. Tant l'Afrique subsaharienne regorge de ressources diverses.
Par ailleurs, c'est un pays qui est à cheval sur un certain protocole, protocole qui n'est pas forcément celui des occidentaux. Là-bas comme je le disais, « dieu parle à dieu et prend le temps de lui parler ». Il est ainsi regrettable que les Français aient la fâcheuse habitude d'envoyer leurs « apôtres », les directeurs de business units, quand un rendez-vous est fixé avec la famille royale elle-même.

La présence systématique du décideur, c'est-à-dire du président serait requise pour ne pas offenser et montrer le sérieux de l'engagement. Si eux peuvent se libérer du temps, il est normal que celui qui espère le contrat, fasse cette courtoisie. Même si cela peut prendre beaucoup de temps avant que l'on aborde vraiment le sujet business.

Petite chose à retenir : les qataris ont l'habitude que l'on vienne à eux, ce ne sont pas eux qui vont vers les autres. Par contre, ils savent se rendre facilement disponibles. Lorsque l'on voyage au Qatar, il est ainsi bienvenu de vérifier que les bons interlocuteurs seront sur place durant notre séjour et de privilégier la prise de rv à la dernière minute en disant qu'on peut les rencontrer à leur convenance. Il ne faut pas espérer poser un rendez-vous 15 jours en avance, c'est infaisable ! Même pour les visites d'Etat.

Par courtoisie et par souci d'efficacité, je recommande aux français qui séjournent au Qatar d'y passer à minima une semaine et de ne jamais dire quand ils repartent. Il faut toujours être prêt à louper son avion ... Avant d'être invité sous la tente, on doit passer beaucoup de temps avec les qataris, créer l'empathie. Une fois la confiance nouée, les sujets concrets pourront être abordés. Passer du temps, être prêt à bouleverser son agenda, c'est leur montrer que l'on a envie d'être avec eux.

Il ne faut pas perdre de vue que la concurrence est mondiale, le monde entier est à leurs pieds, donc si ce ne sont pas les français qui le font ; d'autres le feront. Et le font déjà d'ailleurs et plutôt bien. Je pense notamment aux pays comme le Brésil, la Corée, la Chine, le Japon, la Turquie, l'Allemagne ou les Etats-Unis qui envoient tous les mois des délégations, officielles ou non, pour soutenir localement les actions de leurs entreprises.

Aujourd'hui, le Qatar est face à d'importants enjeux et les opportunités pour nos entreprises ne manquent pas ; mais elles ont besoin d'un appui fort de notre gouvernement. Au Qatar, le soutien institutionnel est indispensable. Si les entreprises françaises n'ont pas un fort soutien de nos politiques, les qataris ne vont pas comprendre et penseront que ladite entreprise n'est pas la bonne car non soutenue par les plus hautes autorités.

Comme je le disais, il y a des enjeux importants dans des secteurs fleurons de notre industrie ; à nous de savoir nous positionner face à la concurrence turque ou coréenne. On peut citer le secteur de la construction, des infrastructures, mais également les secteurs de l'éducation, du transport, de l'agroalimentaire (Qatar national Food Security Programm : 64 milliards de dollars d'investissement), de l'eau ou encore des énergies alternatives. En effet, la femme de l'Emir a la volonté de faire du Qatar le premier pays « vert » du Moyen-Orient.

En fait, 2013 est une année charnière. Dans le secteur des transports par exemple, les grands contrats pour la coupe du monde de 2022 doivent être initiés cette année sinon ils ne seront pas prêts et les Qatari en ont conscience. En ce qui concerne l'eau, on parle de pénurie dès la fin 2014. Face à une consommation en hausse de 20% par an, pour la première fois, ce pays arabe est confronté à une deadline. Notion qu'il n'a pas l'habitude d'appréhender. Il est donc demandeur de conseils et de soutiens. (le Français consomme 400 litres par jour, le Qatari 1 000 litres)

Alors face à toutes ces opportunités, que dire aux entreprises françaises ?
La France a d'énormes atouts. Son plus gros défaut est de ne pas savoir les vendre en pêchant par son arrogance, sa suffisance à l'égard de ses interlocuteurs. Trop peu de PDG du CAC 40 viennent régulièrement, trop peu de nos gouvernants prennent du temps au Qatar. Il faut arrêter les sauts de puce entre Paris et Doha. Le développement d'affaires au Qatar ne s'effectue pas depuis Paris, mais depuis Doha !

Si l'on est capable de créer un vrai lien de confiance, alors les affaires marcheront d'elles-mêmes, même face à la concurrence la plus féroce. Les qataris sont très francophiles et francophones. Ils aiment notre art de vivre, notre culture, notre luxe ... On ne joue pas assez là-dessus. On parle toujours du Qatar en France et souvent de manière insultante et mal comprise. Eux n'ont pas cette intolérance à notre égard.

C'est un pays bien plus tolérant à notre égard que nous le sommes au leur. Tout est à construire, et ils ont besoin des étrangers. Alors, profitons de nos atouts et donnons leur envie. Ils feront appel à celui qui aura vraiment envie de travailler avec eux, qu'il soit ou non le meilleur.

Alors, amis entrepreneurs, levez-vous et marchez ! Vous ne trouverez pas deux pays ayant les moyens de ses ambitions, une gouvernance assez restreinte (quoique compliquée, il faut le dire) et – une première dans un pays arabe, une deadline : 1er semestre 2021 ! Tout doit être prêt pour la coupe des confédérations d'Afrique comme l'impose le règlement FIFA, au risque de perdre l'organisation de la compétition. Cela ne s'est jamais produit et je ne vois pas les Qataris courir une demi-seconde le risque de se la voir retirer après tout le bruit qu'ils ont fait en la gagnant !

Petit point important lorsque vous vous arrêterez sur votre choix de partenaire : n'oubliez pas les jeux de cour... Le passé est le passé, le présent est déjà le passé. Et le futur est en marche... !

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Ancien sportif de haut niveau en voile, Pierre Marie Relecom a été confronté aux challenges de la compétition et aux limités des forces de la nature. Il en a retiré une expérience et une maturité qui lui ont permis d’avancer de manière pragmatique et enthousiaste dans sa vie professionnelle.  Son expérience de directeur du développement chez Egideria, une société de conseil spécialisée dans l'intelligence économique et concurrentielle auprès de multinationales lui a ouvert la voie. En 2007, âgé de 28 ans, il se lance dans le grand bain et crée sa propre société avec pour leitmotiv : promouvoir la dimension culturelle dans la conduite de projets internationaux particulièrement au Moyen Orient, en Asie et en Amérique Latine. La connaissance culturelle étant le seul moyen, selon lui, d’assurer le succès d’implantations d’entreprises françaises dans ces pays.

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