Faut-il réhabiliter le protectionnisme ?

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Par Jacques Bichot Publié le 11 juin 2020 à 5h22
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11%La France table sur une récession de 11% en 2020.

Yves Perez a publié au mois de Janvier, chez L’Artilleur, Les vertus du protectionnisme. En prenant la défense d’une politique que la France a longtemps au moins partiellement appliquée, puis dont elle a pris le contrepied, cet économiste a anticipé le mouvement de méfiance vis-à-vis de la mondialisation qu’a déclenché l’épidémie de Covid-19. De fait, ne sommes-nous pas allés trop loin dans l’ouverture des frontières, dans le renoncement aux prérogatives régaliennes de l’Etat français ?

Les vertus de l’ouverture des frontières

Le protectionnisme a des inconvénients certains : il ralentit les échanges entre peuples et nations, ce qui freine de nombreuses progressions. Les différentes disciplines scientifiques, par exemple, progressent plus vite si les chercheurs de toutes nationalités peuvent librement se rencontrer, se communiquer leurs travaux et en discuter. Les techniques de production les plus efficientes, au lieu de profiter à un nombre restreint d’êtres humains, peuvent être mises en œuvre sur toute la surface du globe, et augmenter plus rapidement le niveau de vie de l’humanité dans son ensemble. Et le vent de liberté qui souffle sur la planète rend plus difficile le maintien des chappes de plomb que les apparatchiks des régimes totalitaires aiment faire peser sur la population.

De plus, des antagonismes bien enracinés sont amoindris. Prenons l’exemple qui nous est familier : la construction européenne, dont l’ouverture des frontières entre pays membres de l’Union est un point crucial, a pacifié d’antiques rivalités. Ainsi la libre concurrence entre les producteurs localisés en Allemagne et leurs homologues français, la complémentarité des productions, minimisent le risque de voir se renouveler les grandes guerres par lesquelles ces deux pays se meurtrirent mutuellement de 1870 à 1945.

Les inconvénients et dangers du mondialisme

L’idéologie mondialiste repose pour une part importante sur l’idée selon laquelle « tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil ». Ce qui, hélas, est loin d’être vrai. Ce n’est pas plus exact à l’intérieur d’un pays qu’au niveau planétaire, mais l’ouverture complète des frontières rend nettement plus difficile la lutte contre les « méchants ». Le trafic de drogue et celui des êtres humains sont grandement favorisés par la mondialisation. Dans les deux cas, les « passeurs » voient leur « commerce » facilité tout comme le commerce des produits et services licites. Les pays ne parviennent plus à protéger leur identité, ni au niveau culturel, ni en matière ethnique. Le mur de séparation avec le Mexique dont le président américain a fait un point fort de sa campagne électorale est symptomatique : même un pays « melting pot », où se sont mêlées des races et des cultures très différentes, est en difficulté pour accueillir davantage d’immigrés.

De plus, nous avons confié les clefs des maisons France, Europe, Etats-Unis, Afrique, à un régime, le communisme chinois, qui ne nous veut pas forcément du bien. Capable de produire en grandes quantités et à bas prix des produits de haute technologie, la Chine communiste s’est rendue indispensable. Certes, l’Occident espère que son goût pour la liberté investira l’espace chinois de la même façon que les produits chinois ont investi quasiment le monde entier. Mais nous sommes loin de mettre en œuvre l’équivalent des « routes de la soie », dernier en date des travaux d’Hercule sur lesquels compte l’empereur Xi pour étendre sa toile d’araignée sur la planète entière. L’Occident a jadis humilié le Céleste Empire en lui faisant victorieusement la guerre pour la pire des raisons : pouvoir lui vendre d’énormes quantité d’opium, qui ont transformé en loques humaines des dizaines de millions de Chinois. Ce grand pays n’est pas près d’oublier, et la mondialisation à outrance lui offre sur un plateau les clés de sa vengeance.

Si vis pacem, para bellum

La sagesse des nations nous l’enseigne : la paix se gagne, non pas en se désarmant unilatéralement, mais en préparant la guerre pour qu’elle n’ait pas lieu. Le libre échange actuel est un désarmement quasi unilatéral. La Chine et ses satellites économiques qui lui fournissent une main d’œuvre à bon marché font l’équivalent de ce que nous avons fait jadis : certes, la bombe atomique ayant remplacé les canonnières, elle ne mène pas une offensive militaire, qui ferait de la planète un champ de ruines radioactives ; elle agit en se rendant indispensable, en produisant aussi bien et bien moins cher, comme les Anglo-saxons et nous l’avons fait à la Belle époque.

La mondialisation est le facteur clé pour l’accession du communisme à la domination planétaire. Certes, le communisme chinois ne ressemble guère à celui de Lénine et de Staline. Mais la différence est en notre défaveur : la Chine a intégré tout ce qui, dans l’économie de marché, peut servir son accession à la domination mondiale. La planification stérilisante du communisme soviétique en a fait un colosse aux pieds d’argile. La main de fer dans un gant de velours pratiquée par le gouvernement chinois actuel est autrement efficace. Et la mondialisation ouvre un champ d’action merveilleux à cette main de fer gantée de velours.

L’atout dont le monde libre pourrait disposer est l’ancien pays phare du communisme : la Russie. Elle a été vaccinée. Le communisme, elle sait ce que c’est, et elle n’en veut plus. C’est une grande puissance amoindrie, humiliée. La Chine convoite la Sibérie. En attendant, elle prend des positions en Afrique, mais ce qu’elle veut ce sont des matières premières et des territoires, pas des hommes, qui plus est si différents. Vide d’hommes, riche en matières premières, la Sibérie est la proie qu’il lui faut. L’Occident doit donc absolument faire alliance avec la Russie et l’aider à garder la Sibérie, en pleine transformation climatique qui provoque l’amenuisement du permafrost.

En sus de s’allier avec la Russie, l’Europe ferait bien de consolider son alliance avec les trois autres grands possesseurs de territoires et de ressources naturelles, peuplés de descendants d’européens : les Etats-Unis, le Canada et l’Australie. Nous n’avons rien à gagner au développement d’un mondialisme béat, mais nous avons le plus grand besoin d’alliances utiles et solides. Nous avons besoin de protection mutuelle : pas un protectionnisme primaire, isolant le pays qui s’y adonne, mais un pacte de protection, économique et militaire, passé entre pays ayant en commun des intérêts et des valeurs. L’Union européenne a bénéficié de beaucoup de temps pour faire ses preuves, et elle ne les a toujours pas faites. Il faut lui substituer une alliance bien plus large et bien moins bureaucratique, réhabilitant le protectionnisme économique modéré, unissant dans une ferme volonté de liberté et donc de capacité militaire des pays forcément concurrents question business.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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