Un professeur à l’université de Turin, Pietro Garibaldi, a fait le 30 novembre, au colloque du COR (Conseil d’orientation des retraites), une communication remarquable, mais déprimante, sur un effet pervers du relèvement de l’âge de la retraite en Italie : tenues de garder leurs « seniors », les entreprises italiennes embauchent beaucoup moins de jeunes, si bien que malgré leur nombre plus que modeste, ceux-ci souffrent d’un chômage épouvantable.
La démographie italienne est catastrophique depuis le milieu des années 1980 : pour un pays dont la population est approximativement aussi nombreuse que celle de la France, moins de 600 000 naissances par an depuis 1985 (contre un million en 1965 !) et seulement 474 000 (face à 608 000 décès) en 2016. Nés dans les années 1990, les jeunes Italiens se présentent aujourd’hui et depuis plus d’une dizaine d’années sur le marché du travail à raison de 550 000 par an environ, au lieu d’à peu près 750 000 en France. Quant aux Italiens qui arrivent à l’âge de la retraite, nés dans les années 1950 ils appartiennent à des classes d’âge de 850 000 approximativement : l’Italie, comme la France, a connu son baby-boom.
Dans ces conditions, les jeunes devraient être accueillis à bras ouverts par les employeurs, comme étant rares et donc précieux ! Or, ce n’est pas du tout ce qui se passe. 37 % des personnes de moins de 25 ans sont au chômage en Italie contre 24 % en France, 19 % en moyenne européenne, et 7 % en Allemagne.
Pourquoi ce chômage incroyable de la jeunesse ?
Une première raison peut être cherchée du côté de l’immigration, nettement plus importante qu’en France : le nombre d’étrangers présents en Italie est passé d’un peu moins de 2 millions en 1990 à un peu plus de 5 millions en 2016, en dépit de très nombreuses naturalisations (jusqu’à 178 000 en 2015). Mais la concurrence des entrées d’immigrés sur le marché de l’emploi italien n’explique pas tout : Pietro Garibaldi montre que la prolongation des carrières professionnelles constitue un facteur statistique très important.
Essayons de décrypter ce phénomène. Il résulte vraisemblablement d’une conjonction de facteurs. Citons en premier lieu l’atonie économique d’un pays vieillissant, dont les entreprises veulent bien conserver leurs travailleurs âgés, parce qu’elles les connaissent et parce qu’ils ne sont plus là pour très longtemps, alors qu’un jeune, en cas de diminution des commandes, devrait être licencié. Deuxièmement, garder un « vieux » une année de plus, c’est comme embaucher en CDD d’un an, avec l’avantage de bien connaître celui dont on s’assure ainsi les services. Troisièmement, les immigrés, quel que soit leur âge, sont souvent moins exigeants. Quatrièmement, les femmes étant peu mobilisées par des grossesses et des responsabilités parentales se portent davantage sur le marché du travail. Cinquièmement, et nous arrêterons là une liste qui pourrait évidemment être prolongée dans une étude plus détaillée, les jeunes les mieux formés n’ont pas tous envie de rester en Italie, loin s’en faut : une forte proportion d’entre eux prend la direction de l’étranger, laissant derrière eux des contemporains moins employables.
Ainsi le recul de l’âge de la retraite est-il dramatique dans un pays où la démographie est en berne, où l’économie est peu dynamique et où l’immigration est forte. De plus la situation risque d’empirer, ou du moins de ne pas s’améliorer, en raison d’effets cumulatifs : moins l’emploi sera bon, plus les jeunes convenablement formés s’expatrieront, moins la production progressera, moins les couples auront le cœur à mettre des enfants au monde, plus il faudra relever l’âge de la retraite et donc moins les jeunes restés au pays trouveront du travail.
Que faire ?
Pour sortir de ce cercle vicieux il convient probablement de ne pas exagérer la vitesse de relèvement de l’âge de la retraite, de freiner le plus possible l’immigration, d’agir énergiquement en faveur de la natalité, et d’améliorer au maximum l’employabilité des jeunes – à cet égard, le système italien de formation initiale, comme son homologue français, a sans doute bien des progrès à accomplir.
La France diffère de l’Italie surtout sur un point : la natalité, bien que décroissante depuis 3 ans – nous activons régulièrement la sonnette d’alarme à ce sujet – n’y est pas aussi catastrophique qu’au sud des Alpes. Il sera un peu moins difficile chez nous de réaliser le maintien au travail des seniors sans sacrifier l’emploi des jeunes, mais cela ne veut pas dire que ce sera facile. L’amélioration de la formation, initiale et continue, le freinage de l’immigration et le renforcement de la politique familiale sont des directions à emprunter dans notre pays comme en Italie. Si nous n’agissons pas sur ces trois leviers avant que la situation ne se dégrade trop, le maintien des seniors au travail en moyenne quelques années de plus, qui devrait être une des grandes évolutions des dix ou 20 prochaines années, débouchera sur des drames analogues à ceux que vivent nos voisins du sud, et particulièrement ceux d’entre eux qui devraient faire leur entrée dans la vie active et se heurtent à une porte, sinon verrouillée, du moins à peine entrouverte.