Monsieur le Président, vous avez fait votre vie à l’abri de la Vie. Votre carrière fut construite sur des examens et quelques concours. Jeune Conseiller Référendaire à la Cour des Comptes, vous vous vantiez même devant la caméra d’un métier qui laisse pas mal de temps libre.
Comme tous vos ministres vous n’avez jamais de votre vie franchi la porte d’une entreprise, sauf en représentation. Comme tous vos ministres, vous n’avez jamais fait une seule fiche de paie. Ni rédigé un CV, cela va sans dire.
Et c’est encore un concours, le dernier de votre carrière, mais de circonstances celui-là, qui vous a placé le 6 mai 2012 là où vous êtes.
Il s’est en effet trouvé dans une France majoritairement à droite quelques électeurs étourdis, déçus ou exaspérés par les manières et les erreurs d’un Président, pour ne pas lui renouveler leur confiance. C’est ce qui vous conduit aujourd’hui à affronter ces tempêtes qui n’ont pas - comme c’est étrange - eu le bon goût de disparaitre avec le grand méchant loup.
La France est en déficit depuis plus de trois décennies. Le tsunami de la dette est à nos portes et nous submergera lorsque les épouvantails grecs et espagnols auront cessé de nous protéger des marchés. Cela vous a conduit à embaucher des milliers d’enseignants mais c’est une autre histoire...
Trente ans de décentralisation a produit ce qu’elle devait inévitablement engendrer : des potentats locaux avec la réélection pour objet social, produisant des clientèles et des obligés et in fine de la dépense et des embauches. Embaucher le fiston ou la nièce fait toujours plaisir à la famille. Vos amis étant à la tête de la quasi-totalité de ces potentats, rien de changera avant 2014.
Et comme il n’est pas question de réviser les missions de l’Etat, de tailler dans les effectifs, les comités et les agences de tout poil, alors on taxe.
On taxe le salarié qui faisait des heures supplémentaires, on taxe les classes supérieures et les classes moyennes, on taxe les gros revenus et les grands entreprises (il est vrai que nous avons trop de sièges sociaux en France..), enfin on taxe les revenus du capital jusqu’à 60 %.
Et là ça m’interroge au niveau du vécu comme dirait l’autre.
Laissez moi vous raconter ma vie d’entrepreneur, modeste et unique ; enfin non, nous sommes quelques-uns encore en France à partager cette expérience.
Entreprendre est un joli nom camarade.
C’est même le plus beau du vocabulaire économique, à vrai dire c’est le plus décisif.
Entreprendre, c’est imaginer un monde meilleur, un monde rendu différent par notre passage sur Terre (j’avais oublié de vous dire, on est un peu égocentrique, mégalomane, fou et naïf Monsieur le Président, quand on est entrepreneur).
Entreprendre, c’est mettre en forme une idée, construire, seul ou à plusieurs, comme nous construisions quand nous étions enfants des villes et des châteaux dans nos chambres. En fait nous sommes toujours des enfants. Et vous savez quoi Monsieur le Président ? On aime ça.
Garder son âme d’enfant permet de rester jeune parait-il et c’est vrai. C‘est même heureux, car il en faut de la vigueur, de l’optimisme et de la foi pour entreprendre. Ca l’est encore plus en France.
Avoir une idée n’est rien, rassembler une équipe, trouver puis mobiliser des compétences et des investisseurs qui vous feront confiance c’est déjà plus difficile. Durer est un exploit.
Entreprendre c’est y penser à chaque instant, nuit et jour, c’est aussi se coltiner l’administration qui vous envoie des courriers comminatoires mais n’est plus là à 16h30 pour vous répondre. C’est gérer les délais, manager des collaborateurs, leurs besoins comme leurs humeurs, c’est jongler avec les échéances.
C’est surtout délaisser sa famille et être souvent absent pour ses enfants. Il n’y a pas plus absent qu’un entrepreneur en famille, même quand il partage le même repas. Nous sommes là sans y être.
Entreprendre c’est se réveiller la nuit en sueur pour tordre encore dans tous les sens son foutu business model et bâtir des hypothèses de travail. Entreprendre c’est avoir peur la nuit. Et quand le jour arrive c’est repartir à l’attaque, sourire à tous pour donner confiance.
Entreprendre c'est aussi aimer passionnément son travail et faire corps avec lui, c'est repousser ses limites d'audace toujours plus loin.
Entreprendre c’est une façon de voir la vie, une façon de se sentir maitre de sa destinée, vivre debout, créer sa case et en faire un océan de liberté au leu d’en remplir une, c’est vivre une aventure, une merveilleuse aventure.
Entreprendre n’est pas un métier normal. On n'est pas comme vous Monsieur le Président.
Alors oui nous sommes des grands enfants inconscients, mais voyez-vous notre PIB d’aujourd’hui est issu de ces rêves d’enfants qui ont éclos il y a des décennies avec de l’innovation, du courage, des investisseurs et des salariés méritants. Oui ce PIB qui vous sert aujourd’hui à calculer le pourcentage de vos déficits publics, il vient de là.
Au fait, Monsieur le Président savez-vous combien de grandes entreprises sont nées depuis trente ou quarante ans en France ? Où sont nos Apple, nos Google ? Je vous laisse faire le calcul, je doute que cela vous prenne 35 heures et plus encore que cela vous amène à réfléchir. Elles se comptenr les doigts d'une main, maximum deux.
Mais revenons à nos moutons, ceux l’on compte la nuit, vous me suivez ?
Cette aventure peut échouer. Ou bien échouer.
Alors, on a tout perdu, vos amis en route souvent, votre femme quelques fois, vos illusions, le temps avec vos enfants, votre estime surtout. Et ce voyage que l’on ne fera jamais. Et l'on n’est même pas une victime de la société, non même pas un chômeur vous dis-je ! On n’est plus rien. Nothing.
Savez-vous que 9 startups sur 10 échouent et que dans ce cas personne ne rembourse le fondateur Monsieur le Président ?
Mais si cette aventure réussit, si on a surmonté ce marathon en forme de sprint et de steeple-chase, alors oui on aura ce sentiment de plénitude et d’accomplissement. Ou pas, c’est selon.
Et on gagnera de l’argent, peut-même beaucoup. Ou plus exactement on récoltera, enfin, le fruit de son travail, ce qui est différent. On n’a pas joué au loto Monsieur le Président.
Cet argent que je n’ai pas encore et que je n’aurai peut-être jamais, vous avez décidé de le taxer à 60 %.
Je vais vous expliquer maintenant pourquoi selon moi c’est du vol, voire du racket.
Monsieur le Président, je ne suis pas le patron d’une entreprise du CAC 40 et n’ai pas négocié cet argent dans le cadre feutré d’un conseil d’administration.
Je ne suis pas un footballeur et ne suis pas payé sur des droits de télévision exorbitants ou parce que le Quatar a décidé de faire du soft power.
Je ne suis pas un artiste de la chanson, auteur de quelques notes qui feront le tour du monde.
Monsieur le Président, on a rien trouvé de mieux pour quantifier une réussite entrepreneuriale que l’argent que d’autres acteurs économiques mettent sur la table pour l’acquérir. Mais cette plus-value n’a strictement rien à voir avec un salaire annuel.
Cet argent je l’aurai gagné sur la durée à la sueur de mes rêves, de ces instants de solitude, ces nuits là, ces nuits blanches où vous n’étiez pas pas là. Ni vous ni personne d’ailleurs.
Ces moments là, ces rêves, ces ambitions, je ne vous reproche pas de ne pas les partager, ni même de ne pas les comprendre, je vous reproche de ne pas les aimer et plus encore de ne pas les faire aimer.
Alors, je vous fais une proposition. Elle est simple. On dit que les meilleures idées sont les plus simples, comme les plaisanteries les plus courtes.
Lorsque je revendrai mes parts, si ce jour arrive, je souhaite que l’Etat me rembourse mes nuits blanches .. Oh, pas tout bien sur Monsieur le Président, je suis raisonnable, non juste 60 %.
Ridicule me direz-vous ? Mes nuits blanches ne seraient pas convertible en euros ? Mais est-ce plus ridicule que d’estimer à seulement 40% (et comment ? avec quelles savantes équations à Bercy ?) la part qui doit me revenir de mon travail, de mes angoisses, de mon talent ou de mes idées ? Je ne crois pas.
Monsieur le Président, il y a des choses qui ne se quantifient pas et qui donc ne devraient pas être imposées selon les règles communes.
Imaginez un explorateur du XVIème siècle, parti sans aide et qui en pleine mer apprend que son pays a décidé de capter la grande majorité de ce qu’il ramène. Je vous fait le pari qu’il jettera un coup d’oeil sur ses cartes pour arriver à meilleur port.
A ce propos, dernière chose Monsieur le Président.
Si jamais, sous des cieux plus cléments je décidais un jour de passer mes nuits blanches, je vous en prie, ne lancez pas à mes basques vos commissaires de la pensée et surtout gardez pour vos militants vos odes à la Patrie.
Patriote, je le suis plus que tout, plus que beaucoup, j’aime mon pays comme on aime une femme, passionnément, pour sa voix, sa vie, son corps, c’est à dire, sa littérature, son histoire et sa géographie. Bref comme on l’aimait naguère. Mais qui s’en souci aujourd’hui dans’s pays comme on jacte quand on ne veut plus dire le mot France.
Non, ne nous faites pas le coup du patriotisme Monsieur le Président.
Si vous voulez vraiment faire quelque chose pour votre Pays, alors de grâce foutez la paix aux entrepreneurs, aux explorateurs, aux aventuriers et à ceux qui investissent à leur risque à leur coté, ils sont prêt à payer des impôts mais pas à subir un racket ; Et surtout faites que dans vos écoles on apprenne à connaitre et aimer la France à nouveau.
Tenez ! Essayez donc avec vos enseignants !
Bonne nuit Monsieur le Président.
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Article initialement publié le 01/10/2012