Pendant des décennies, la vidéo a emprunté un chemin à sens unique, du diffuseur au consommateur : les producteurs et directeurs des programmes des chaînes de télévision, diffuseurs uniques, construisaient une offre destinée à être diffusée en masse à une audience agrégée. Ce modèle « one to many » répondait parfaitement aux objectifs de la consommation de masse, basée sur une culture de masse et une publicité suivant les mêmes procédés.
Avec Internet, ce modèle est désormais dépassé : la fascination pour les supermarchés disparaît, la musique conçue comme un produit universel cohabite avec les petits labels qui trouvent leur audience sur le web, alors que la légitimité des sachants s’affaiblit progressivement avec Facebook et les réseaux sociaux. De nombreux secteurs économiques, tels que la musique, le tourisme, le crédit ou encore les taxis et transports individuels, ont été remis en question par cette nouvelle horizontalité de la société et des moyens de communication.
Nous sommes entrés dans l’ère de la disruption, qui laisse encore aujourd’hui les pouvoirs publics perplexes. Jusqu’ici la télévision a tenu le choc : les audiences ont beau s’être un peu détournées de la télévision comme objet central de leur lieu de vie, les créateurs de programmes que sont TF1, France TV, Canal Plus, BFM-TV ou M6 tiennent encore le haut du pavé en ce qui concerne la création de phénomènes d’audience. En effet, ils ont eu la chance de pouvoir observer comment le cinéma et la musique ont été frappés par la vague Internet, et de pouvoir surfer dessus plutôt que de la prendre de face.
L’avenir (proche) de la télévision passe par la personnalisation
Avec une offre vidéo devenue pléthorique aujourd’hui, l’enjeu de fidélisation dépasse celui de l’acquisition de l’audience. Lorsqu’un internaute arrive sur une vidéo via un clic sur un moteur de recherche ou sur un réseau social, l’enjeu de l’éditeur est de le faire rester, en lui proposant, dès la fin de la vidéo, une suivante qui soit pertinente. Cette pertinence doit être déterminée en fonction du contexte, du moment de la journée, du terminal utilisé mais surtout de l’utilisateur lui-même.
Une étude CMO Council récemment publiée par eMarketer le confirme et révèle que, pour 56% des éditeurs TV, l’usage de stratégies de personnalisation des contenus accroît l’engagement de l’audience et sa fidélité sur les sites des chaînes. Cette ultra personnalisation est la clé du succès de Netflix qui semble vous connaître au point de savoir ce que vous avez envie de regarder. C’est aussi la promesse de Molotov.tv qui se propose de révolutionner l’accès aux chaînes françaises par le biais de l’individualisation de l’expérience.
Le succès des services de Replay témoigne de cette envie de regarder des programmes choisis, individuels et à un moment différent de celui décidé par les Directeurs de Programmes. La culture de masse existe toujours, mais elle devient asynchrone et tend à faire disparaître les carrefours d’audience. En parallèle de ces nouvelles tendances, il faut préciser que, selon la même étude, 59% des éditeurs TV ne sont dotés ni des outils ni des systèmes de collecte de données pour mettre en œuvre ce type de stratégie.
Des stratégies publicitaires sur-mesure
Travailler sur la personnalisation de l’expérience passe forcément par la personnalisation du modèle économique des chaînes de télévision gratuites ou payantes. La personnalisation parfois extrême de la publicité online n’est plus une surprise aujourd’hui. En effet, nous savons tous à quel point un site de e-commerce peut être persévérant et nous suivre pour nous convaincre d’acheter une paire de chaussures que nous avons brièvement consultée, par le biais du ciblage et du reciblage.
Considérons maintenant le point de vue d’un éditeur TV. En télévision « classique » (celle qui passe par une antenne et arrive dans votre meuble de salon), les espaces publicitaires sont vendus en point de couverture GRP. Cela signifie que la chaîne fixe les tarifs publicitaires en fonction du pourcentage de la population ciblée par l’annonceur qui se trouvera devant sa télé pendant la diffusion du spot. Ces tarifs sont ensuite ajustés et finalisés le lendemain, après le rendu des résultats d’audience par Médiamétrie.
Ce système de calcul implique que la chaîne de TV ne gagne rien sur les personnes qui regardent elles aussi la télévision à ce moment-là mais qui ne correspondent pas à la cible recherchée. Sans parler du fait que ces spectateurs, hors catégorie pour l’annonceur, doivent regarder des publicités qui ne les intéressent pas. Cela représente non seulement un manque à gagner pour la chaîne de télévision, mais aussi une pollution de l’espace télévisuel pour les autres publics non concernés. Ce modèle économique crée également un effet pervers sur les programmes eux-mêmes, car les chaînes cherchent de plus en plus à concevoir des programmes hyper-segmentant pour attirer une population homogène et optimiser la composition de la cible. Touche Pas à Mon Poste pour une audience, Télématin pour une autre. Cette logique sonne le glas du bon vieux film du dimanche soir qui rassemblait toute la famille.
C’est précisément ce problème que se propose de régler la « publicité adressable », ou encore « Programmatique TV » dont il est de plus en plus question ces temps-ci, qui prévoit de diffuser des publicités adaptées à chaque foyer en fonction de sa composition. Au-delà du ciblage, il faut aussi considérer la question de la pression publicitaire. La publicité, en tant que modèle économique principal des médias, est incontournable. En effet, fabriquer et diffuser des programmes télévisuels coûte cher, que ce soit via des moyens de distribution traditionnels ou par Internet. Les annonceurs font bel et bien vivre la télévision et cela n’est pas près de s’arrêter. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille faire n’importe quoi et pousser la pression publicitaire au-delà du raisonnable, comme l’ont fait de nombreux sites internet. Car le résultat est désastreux : plus de 25% des internautes ont installé un ad-blocker, tarissant rapidement les ressources des éditeurs internet.
La pression publicitaire, partie intégrante de l’expérience TV online, doit être traitée avec le même égard que la personnalisation des contenus
Pour l’instant, la pression publicitaire dépend de la durée des contenus : à titre indicatif, 30 secondes avant une vidéo de 2 minutes, 3 minutes avant une vidéo d’une demi-heure. Pourtant, aujourd’hui, il faut aller vers un modèle où la pression publicitaire se fait en fonction de l’audience. Un internaute n’a souvent aucune envie de voir des publicités le matin, car c’est le moment de la journée où il souhaite passer rapidement d’un contenu à un autre, alors qu’il l’accepterait plus volontiers après 20 heures par exemple. Les outils doivent maintenant pouvoir comprendre ces besoins et adapter les stratégies des éditeurs.
L’arrivée de players vidéos centrés sur les données
Pour pouvoir construire cette expérience individualisée sur tous les types d’écrans, il faut impérativement avoir recours à un lecteur vidéo piloté par les données. Il s’agit du hub que les éditeurs utilisent aujourd’hui pour interagir avec leurs spectateurs.
Un lecteur vidéo intègre beaucoup plus qu’un écran et un bouton « Lecture » : il collecte des données qui aident les éditeurs à répondre à des questions complexes du type :
- Pourquoi mon audience chute-t-elle brutalement pendant la diffusion d’un événement sportif ?
- Quel type de contenus privilégier sur mon site d’actualités professionnelles pour que les internautes s’y attardent plus longtemps ?
- Comment adapter au mieux mon contenu pour les écrans mobiles ?
Grâce à cela, il est aujourd’hui possible d’ajuster les contenus vidéo et les publicités à chaque consommateur.
Le nerf de la guerre : collecter et comprendre les données
La donnée est l’élément moteur de n’importe quelle plateforme vidéo. Analyser les données permet de tout savoir, depuis l’engagement du spectateur sur les différents appareils qu’il utilise jusqu’à l’état des flux vidéos et des publicités diffusées. A terme, les chaînes seront capables de prendre des décisions en ligne directe avec les enseignements tirés des données.
Les modules de recommandation : des directeurs des programmes virtuels
Avec l’approche traditionnelle de recherche de contenu vidéo pour les consommateurs, les recommandations se basaient sur une sélection de contenus éditoriaux déterminés de façon manuelle, telle que les vidéos les plus populaires. L’arrivée des moteurs de recommandation basiques a simplifié la sélection, la faisant dépendre du contenu : en clair, un internaute ayant regardé une vidéo de tennis se voyait proposer d’autres vidéos de tennis ou de thématiques proches. Aujourd’hui, les moteurs plus élaborés, basés sur des systèmes neuronaux, réalisent des recommandations personnalisées pour chaque utilisateur, en se basant sur les goûts des internautes ayant un schéma de consommation similaire, mais aussi en intégrant des éléments externes (terminaux, horaires, bases tierces etc..). Grâce à cela, le consommateur est plus efficacement accompagné dans l’exploration des contenus disponibles. Il dispose de son propre directeur des programmes. Personnalisation des contenus, ajustement de la pression et du ciblage publicitaire, c’est une approche radicalement différente de l’expérience TV qui s’ouvre à nous et que nous allons devoir apprendre à gérer.