Lors de son «discours pour le redressement économique du 10 juillet dernier, Arnaud Montebourg a annoncé l'adoption prochaine d'une «loi de croissance et de pouvoir d'achat destinée notamment à supprimer le monopole de certaines professions réglementées. Seraient visés les «huissiers, les greffiers des tribunaux de commerce, les avocats, certaines professions de santé, et beaucoup d'autres secteurs réglementés : auto écoles, prothésistes dentaires» dont les monopoles fausseraient le jeu de la concurrence et entraveraient la libre fixation des prix. Selon un rapport de l'Inspection Générale des Finances (l'IGF) (qui vise 37 professions réglementées), une telle «libéralisation» permettrait de restituer aux Français 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat.
Un tel empressement peut apparaître surprenant alors que le 3 juin dernier, l'Autorité de la concurrence (l'ADLC) avait été saisie par le même ministre d'une demande d'avis limitée aux officiers publics et ministériels (commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, notaires), aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires et qu'elle avait annoncé un avis pour la fin de l'année. Son objectif est de distinguer les activités qui relèvent de façon incontestable de missions de service public (qui resteraient en monopole) de celles qui « participent d'une logique économique » (qui pourraient par conséquent être soumises à concurrence). Même si une « version provisoire » de l'avis est annoncée pour la rentrée , il aurait pu être préférable de laisser à l'ADLC le temps nécessaire pour effectuer les travaux d'analyse de marché les plus poussées, recueillir les commentaires des intervenants du secteur et formuler les recommandations les plus précises et pertinentes possibles (par exemple, l'enquête sectorielle de l'ADLC sur le médicament en ville avait duré 11 mois ).
Il aurait également pu être préférable d'élargir le champ de la saisine de l'ADLC afin d'englober toutes les professions réglementées visées par la future loi. Le rapport entre les différentes professions réglementées et la concurrence est en effet très largement disparate.
Par exemple, sous l'impulsion d'un avis de l'ADLC , la loi Consommation a retiré aux pharmaciens le monopole de la vente de tests de grossesse et de produits d'entretien pour lentilles qui pourront désormais être vendus en grande surface. Il convient de souligner que l'ADLC recommandait également que les produits d'automédication (tels que les médicaments contre le rhume, les douleurs et fièvres, les maux de gorge ou les jambes lourdes) puissent également être vendus en grandes surfaces (sous réserve d'un encadrement destiné à garantir la sécurité des patients). À l'époque, le gouvernement n'avait pas suivi cette recommandation. La loi annoncée pourrait contenir des dispositions en ce sens.
De même, la proposition de loi relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur , adoptée en 1ère lecture le 10 juillet 2014 à l'Assemblée Nationale et élaborée à la suite du rapport Thévenoud et, là encore, d'un avis de l'ADLC sur le sujet , vise notamment à pérenniser et encadrer l'activité des VTC, supprimant en cela une partie du monopole autrefois détenu par les taxis et à instaurer une concurrence par les prix entre les taxis et les VTC. En revanche, elle ne supprime pas le monopole sur la maraude (la prise en charge des clients dans la rue sans réservation), suppression qui n'était d'ailleurs pas envisagée par l'ADLC.
En dehors des interventions législatives, certaines professions réglementées sont également soumises à la concurrence en raison du faible champ d'application de leur monopole. C'est par exemple le cas des avocats. Ils disposent d'un monopole pour l'assistance et la représentation en justice devant certaines juridictions de première instance (principalement les tribunaux de grande instance ) et au niveau de l'appel. En revanche, toute l'activité de consultation juridique et de rédaction de contrats, d'actes ou de transactions sous seing privés sont en dehors de ce monopole. Les notaires et les experts comptables d'ont d'ailleurs très actifs dans ces champs de compétence. On voit mal dans ce cadre les bénéfices qui pourraient être tirés de la suppression du monopole en question.
Ces trois exemples démontrent que loin d'être uniforme, la catégorie des professions réglementées regroupe en réalité de nombreuses situations hétéroclites et que toute tentative de «libéralisation», si elle doit être saluée en ce qu'elle vise à restituer du pouvoir d'achat aux Français, devrait être précédée d'un examen détaillé et scrupuleux de l'existence et de l'intensité de la concurrence par profession, examen qui pourrait par exemple découler sur l'instauration de degrés de concurrence variables en fonction des professions et des impératifs de service et de santé publics.